Accueil > 220.000 RÉUNIONNAIS CONDAMNÉS À LA SURVIE

220.000 RÉUNIONNAIS CONDAMNÉS À LA SURVIE

Publie le jeudi 7 septembre 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

Le cri du érémiste : "Okilé l’emploi !"

Hier, comme tous les 6 de chaque mois, c’était le jour du versement du RMI. 220.000 Réunionnais sont concernés par cette prestation de solidarité qui est versée à 70.000 personnes. Mais force est de constater l’insuffisance du montant de cette allocation : "avec le RMI, nou pe pa viv !". Une grande partie de la société est condamnée à survivre dans ces conditions, avec un revenu insuffisant pour rechercher un emploi. Alors comment développer le pays avec une telle injustice touchant autant de Réunionnais qui traduisent leur sentiment en un mot : Ziskakan ?

COMME des dizaines de milliers de Réunionnais Titèf (1) patiente sur le trottoir, juste devant l’entrée de la Poste du Port. Il est 11 heures 30, il est arrivé à 4 heures du matin et explique que la file d’attente atteignait des dizaines de mètres. Pour Titèf, le bout du tunnel approche si l’on peut dire car il lui reste à patienter encore quelques dizaines de minutes. C’est le temps nécessaire pour que les agents débordés par l’affluence servent tous ceux qui sont avant lui dans la file. Tous les mois, le même scénario se répète : des dizaines de milliers de Réunionnais patientent sous un soleil de plomb ou sous la pluie pour recevoir ce que leur doit la société au titre de la solidarité envers les personnes privées d’emploi. Pour Titèf, célibataire, l’allocation est de 382 euros.

Insuffisant pour chercher un emploi

382 euros alors que l’on est demandeur d’emploi. D’ores et déjà se pose le problème de l’insuffisance du montant de cette allocation pour qu’un travailleur puisse vivre dignement. Une étude de la CGT a chiffré à 400 euros par mois le coût de la recherche d’un emploi pour un chômeur. De plus, à La Réunion, l’unanimité se fait autour d’un constat : la vie est plus chère qu’en France. Sachant que ces 400 euros sont le résultat d’une étude réalisée par des syndicalistes français, il est facile d’en déduire qu’à La Réunion, le coût de la recherche d’emploi pour le travailleur qui en est privé est plus élevé. Malgré cela, Titèf doit se contenter de 382 euros par mois.
Érémiste, Titèf est animé par la volonté de vivre du fruit de son travail. Mais la faiblesse de ces revenus l’a contraint à renoncer à des offres d’emploi. Comment payer un ticket de bus quand on a à peine de quoi manger et régler son loyer ? Il aurait pu être aide-cuisinier à Saint-Paul, mais comment revenir au Port à une heure où les bus ne circulent plus lorsque l’on a des revenus qui ne sont pas suffisants pour passer le permis et acheter une voiture ?
Alors, comme des dizaines de milliers de Réunionnais, il est astreint à passer une grande partie du 6 de chaque mois sous le soleil ou la pluie, car l’urgence est pour lui de toucher son RMI afin de tenter de survivre.

Survivre

Survivre, car comme le précise Titèf, "avec le RMI, nou vi pa". Cette affirmation est confirmée par tous ceux qui sont à ces côtés, dans cette file qui avance lentement.
"Si nou gagne larzan le 6, le 9 na pli", explique-t-il. "Mi paye mon manzé, EDF, eau, loyer, comment i viv èk sa ?". Par exemple, ce mois-ci, Titèf doit régler une facture d’eau s’élevant à 221 euros. Que reste-t-il après pour la nourriture, le loyer... D’ailleurs, dès qu’il sortira de la Poste, Titèf ira acheter du riz, de l’huile, des cuisses de poulet, du boucané, du savon, de quoi tenir une partie du mois. En ce jour de marché dans la cité maritime, les étals des forains sont hors de prix : "un kilo de tomates 2 euros, un kilo d’oignons à 1 euro 50, 3 pieds de salades pour un euro : nou vi pa un mèrd èk sa".
Ce qui fait que dans les jours qui précèdent le versement du RMI, Titèf n’a plus rien : "nou manz pli". Il est alors condamné à aller chercher de quoi se nourrir auprès de structures publiques ou d’association où il peut obtenir de quoi survivre : un repas, des sardines, boîtes bœuf, bonbon.
"Okilé l’emploi, okilé le contrat d’avenir, okilé l’emploi pour les jeunes ?", interroge-t-il avec force avant de conclure : "à La Réunion, on est assis sur la touche".
Ce cri contre l’injustice, il est partagé par tous ceux qui sont condamnés à se contenter du revenu minimum pour survivre. Ils veulent travailler, ils ont la volonté de participer au développement de leur pays, mais ils se sentent exclus de la bataille. Malgré tout, Titèf trouve en lui l’énergie de survivre à la violence de l’injustice. Cette bataille quotidienne livrée par les plus pauvres montre que leur combat est une des richesses du peuple réunionnais.

Manuel Marchal
Temoignages .
Publié dans l’édition du jeudi 7 septembre 2006

Messages