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Après le référendum : médias et démocratie ...

Publie le mercredi 29 juin 2005 par Open-Publishing

Avec Jacques Cotta, Journaliste, Instigateur de la pétition "Le "non" censuré dans les médias, ça suffit !"

EMISSION DU 24 MAI 2005

Pascale Fourier : Et notre invité aujourd’hui :

Jacques Cotta : Jacques Cotta, journaliste à France 2, documentariste, et un des investigateurs, un parmi d’autres, de la pétition, avant le référendum : « Le non censuré dans les médias, ça suffit ! »

[Ambiance : soirée élection à Aligre]
A la TV : « Il est 21h... 59 min... et 55sec ... voici maintenant notre estimation IPSOS des résultats de ce référendum : les français rejettent... »
[Immenses cris de joie...]

Pascale Fourier : Ça c’était le bruit qu’on a fait, un certain 29... avril ... c’est mai ?

Jacques Cotta : C’est 29 mai... Ce n’est pas si lointain...

Pascale Fourier : Oui, mais on a l’impression justement que ça date de Mathusalem... parce que depuis, c’est assez étonnant, on a l’impression qu’il ne s’est rien passé... rien rien rien.

Jacques Cotta : C’est souvent, en effet, la réaction qu’on a pu avoir, c’est-à-dire que depuis on a même le sentiment qu’il s’est passé le contraire de la réalité. Enfin, on a eu ce sentiment à un certain moment et puis les choses se sont un petit peu réajustées. C’est-à-dire qu’on a le sentiment, tous comptes faits, que si le « oui » l’avait emporté le 29 mai, ça n’aurait pas été très différent : le ton aurait été le même et les réactions auraient été les mêmes, ce qui suscite, je dois dire, -ce qu’on peut voir à travers notamment nous nos messages que l’on peut recevoir sur le site que l’on a créé -, un certain nombre de réactions qui sont assez unanimes. Ce n’est pas bien vécu, quoi ! Les gens ont le sentiment vraiment qu’on leur vole quelque chose ; on voulait leur voler leur décision au départ, et puis ils ont le sentiment qu’on leur vole leur résultat : ça fait deux vols, ça fait beaucoup.

Pascale Fourier : Et au lendemain, le 30, quand même, on s’est fait traiter de populistes, de xénophobes... Ça a été assez étonnant, non ?

Jacques Cotta : C’est-à-dire, ce qui est étonnant, c’est que ça a commencé avant le 30, bien sûr. Il y a deux choses à mon avis. Il y a d’une part les arguments qui ont été mis en avant - on peut les discuter, les uns et les autres en fonction de nos positions. Et puis il y a la façon dont ces arguments ont été relayés, c’est-à-dire le rôle que les médias ont joué. Et là on est plus spécifiquement dans ce que l’on a pu constesté, dans les responsabilités que l’on a pu prendre, en tant que journaliste, avec des citoyens, et dans ce que l’on a crée dans notre appel, dans notre association.

Sur les arguments eux-mêmes, ça a commencé avant. Moi, je dois dire qu’il y en a un certain nombre qui m’ont quand même terriblement surpris : cette utilisation du « plombier polonais » ! L’explication est toute simple, c’est qu’on crée une Europe, et ’on élargit, et il n’y a pas d’argent supplémentaire, et on explique aux pays qui arrivent : " C’est par le dumping social et fiscal que vous allez vous en sortir"...le « plombier polonais », c’est ça que ça veut dire, c’est-à-dire que tout est tiré vers le bas. Le fait d’avoir entendu dire à partir de cette argumentation qui était simple que tout comptes faits les gens qui l’utilisaient étaient des gens xénophobes, racistes... et puis alors allons-y à partir de là, dans le superlatif, il n’y avait plus de limites ! Je dois dire que ça, ça m’a sidéré. Ce qui m’a sidéré aussi, c’est la façon dont ça a été relayé,. , notamment dans la presse écrite plus qu’à la télé et la radio d’ailleurs. Il y a eu une série de papiers qui a été absolument incroyables. Moi, j’ai en mémoire par exemple à partir de l’histoire du « plombier polonais » un article du Monde, qui attaquait Fabius -et alors à nouveau peu importe ce qu’on pense des uns des autres, ce n’est pas le débat, c’est la façon dont les arguments sont mis en avant- j’ai en mémoire un article, donc, du quotidien du soir, qui attaquait Fabius et qui en gros expliquait deux choses. Un, à l’époque Fabius avait dit : « Le Pen peut poser de bonnes questions, mais apporte toujours les mauvaises réponses ». Et deux paragraphes plus loin, la conclusion était : « Ce n’est pas étonnant que Le Pen et Fabius soit sur la même position aujourd’hui ». Là, je dois dire, que quand on en est là, il n’y a plus de limites ! C’est très violent ! On dénature tellement les positions des uns et des autres que c’est terrible.

Pascale Fourier : J’ai peut-être une question un peu bête, mais : les journalistes, normalement, ils ne doivent pas rendre compte de la réalité ?

Jacques Cotta : Si, mais alors là, c’est compliqué parce qu’en fait, la question que vous posez, c’est celle du ressort de ce type de réactions, de ce type d’attitudes ou de ce type d’activités professionnelles. Alors, moi je crois que ça, c’est très compliqué : il y a une vision, qui -moi je vois de l’intérieur- qui est fausse, cette vision selon laquelle une espèce de chape de plomb existerait avec une censure , avec une discipline des consciences, avec une espèce de fonctionnement dictatorial, avec une hiérarchie qui .... Je pense que c’est beaucoup plus compliqué que ça. Si c’est plus simple, si c’est plus compliqué, on n’en est plus là, je veux dire. On en est au stade en réalité où l’autocensure joue d’elle-même. Vous savez quand on a dit : « Ce vote du 29 mai, c’est un vote de classes », c’est aussi un vote de castes. Eh bien, je crois que rien n’y échappe, les médias non plus. Et que, assez vite, il y a une espèce de pensée généralisée qui a été une espèce de pensée unique, qui s’est imposée et puis... et puis voilà, et puis la machine s’est emballée elle-même. Et puis , - c’est pour l’ensemble des médias, et puis vous avez un certain nombre de confrères qui sont soit chroniqueurs, soit qu’ils font office -disent-ils- de pédagogues dans ce type de moment, et dont on se rend compte que ce qu’ils ont développé, ça n’avaient rien à voir avec le pluralisme que l’on peut attendre, ni avec l’impartialité qui théoriquement doit être celle du journaliste.

Pascale Fourier : Mais justement : « pluralisme », c’est presque un gros mot là que vous avez sorti ?

Jacques Cotta : Le pluralisme ... un gros mot ... Disons qu’à l’image de ce qui s’est développé dans les médias sur la question du référendum, oui, ça peut faire office, sinon de gros mot, du moins de pensée incongrue. Mais pourtant qu’est-ce qu’attend le public, si vous voulez ? Moi je ne reproche pas à des gens d’avoir des positions. Ça me semble à peu près normal, qu’il y ait des gens qui aient des positions et qui notamment aient considéré qu’il fallait voter « oui » au référendum. Pourquoi pas, je veux dire ?! C’est à peu près normal, c’est discutable ! Ce que je trouve anormal, c’est que face à cette espèce de machine qui s’est emballée, l’autre voix n’a pas eu droit de cité, ne s’est pas fait entendre. Et alors, non seulement elle ne s’est pas fait entendre, mais dès que des velléités existaient, en gros, tous les arguments ont été mis en avant pour dévaloriser ce point de vue. Et ça c’est terrible, c’est ça qui est très violent.

Alors les arguments c’est simple, on a fait ressortir tout ceux qui devaient ressortir, jusqu’à Lionel Jospin qui est venu nous dire que, si on était intelligent, il fallait comprendre, et que si on comprenait, si on était intelligent, on ne pouvait voter que d’une seule façon. En gros, ils nous ont dit, pendant des jours et des jours, qu’il y avait deux possibilités : le « oui » ou le « non », et qu’en réalité, pour les êtres sensés il n’y en avait qu’une, c’était le « oui ». Et ça c’est terrible ! Et vous voyez, le cri que l’on a entendu en introduction de votre émission, moi c’est comme ça que je le comprends entre autre, c’est-à-dire que c’est le cri d’une gigantesque libération. On nous a dit, pendant des mois, pendant des semaines : « Si vous êtes sensés, si vous êtes intelligents, voilà ce qu’il faut voter ». Tout le monde l’a dit. Personne n’a fait exception : dans les grands partis, dans les grands médias, dans ceux que l’on appelle les grands penseurs, bref, tout le monde. Eh bien malgré cela, vous avez des gens qui sont en bas, des gens à qui on a tapé sur la tête -c’est comme ça que ça a été ressenti- , à qui on a tapé sur la tête pendant des semaines, qui ont décidé, eux, malgré cette campagne gigantesque, de dire : « Voilà ce que nous nous pensons ». Ils l’ont dit et ils ont gagné.

Faux éditoriaux écrits par des auditeurs le 29 avant les résultats...
« Loin des angoisses nationalistes qui le firent frissonner ces derniers jours, le peuple français, une fois encore, a su dans les ultimes instants faire triompher l’avenir. Un avenir plein de promesses, un avenir où, main dans la main avec le plombier polonais, ils combattront pour un monde plus juste. Un avenir, où, au côté des nouveaux entrants, notre pays se battra pour la paix, la prospérité et, n’ayons pas peur, en ce jour historique, de le souhaiter... pour l’amour. »

« Malgré l’effort de pédagogie des journalistes, des explications acharnées et réitérées des personnalités éminentes assénées dans les médias depuis plusieurs mois, les français ont majoritairement rejeté ce projet de traité de constitution européenne. Plusieurs explications peuvent être émises. Je retiendrai celle qui me paraît la plus plausible : ce projet, envoyé à chaque électeur, depuis déjà bientôt un mois, n’a pas été compris et les français n’ont pas saisi les avancées sociales et démocratiques qu’il contenait. Serait-ce à dire que les français sont des imbéciles, des peureux ? Je crois surtout que cela traduit de façon criante les manques de notre système éducatif. Le pourcentage d’élèves en difficulté en lecture à l’entrée en sixième va croissant. Heureusement, la loi Fillon a été adoptée et permettra un meilleur niveau de compétences. En attendant, nous continuerons notre travail de pédagogie tout au long des mois qui viennent, pour que ce texte soit compris par tous... lors d’un nouveau référendum. »

« Ceux qui ont eut confiance en la démocratie ont été récompensé ce soir. Le travail d’explication de la constitution, inlassable, mené sur le terrain, pour éclairer les français, a rencontré leur désir d’Europe, et a réussi à faire taire leurs peurs. Pourtant, que de mensonges on aura entendu durant cette campagne ? Combien de démagogues auront tenté de jouer sur les angoisses des français, pour attiser leur génie de la guerre civile ? Et quels étranges attelages aura-t-on vu se former pour le « non », ravivant le souvenir des pestes brunes et rouges, que le grand projet européen a su combattre ? Ce soir, l’Europe regardait la France, et la France a été à la hauteur. Pour une fois, elle a su oublier sa propension à la grogne, sa manie des querelles hexagonales, et justifier la confiance des européens. De Madrid à Berlin, de Rome à Copenhague, le « oui » de la France, c’est l’avenir de l’Europe. »