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Augmenter les minima sociaux, une exigence économique

Publie le vendredi 25 mars 2005 par Open-Publishing

de Jean Gadrey

Il était temps que la question des salaires revienne en force sur le devant de la scène, avec le retour d’une certaine croissance et dans une période de progression des profits.

Il serait bon que la pauvreté, celle que les minima sociaux permettent d’atténuer, ne soit pas la grande oubliée des choix à venir. Or on peut le craindre, compte tenu du freinage délibéré des recettes publiques et des budgets sociaux. Un cas exemplaire est celui du RMI. On vient d’apprendre que le nombre de ses bénéficiaires a bondi de 9 % en 2004, après une progression forte en 2003 (5,3 %). Ce que l’on sait moins, c’est que le pouvoir d’achat des RMistes n’a cessé de décrocher, depuis 1990, par rapport à la richesse économique par habitant et au niveau de vie moyen. Et même par rapport au seuil de pauvreté.

Entre 1990 et 2004, le produit intérieur brut par personne a progressé de 20,1 %, contre seulement 4,6 % pour le pouvoir d’achat du RMI ­ une divergence spectaculaire. En 1990, le niveau de vie moyen en France représentait environ 3,8 fois celui d’un RMiste. En 2002, ce rapport était passé à 4,2 ; et il a encore progressé depuis cette date.

Le RMI a décroché aussi par rapport au seuil de pauvreté, défini comme la moitié de la"médiane"des revenus. En 1990, le montant du RMI pour une personne seule représentait 70 % du seuil de pauvreté. En 2001, il n’en valait plus que 66 %. Il est certain que les années 2002 à 2004, pour lesquelles on ne dispose pas encore de données, vont encore creuser l’écart.

Dernier chiffre : en 1990, le RMI mensuel équivalait à 67 smic horaires brut. En 2004, ce chiffre n’est plus que de 50. Comparé au smic, le RMI a perdu 25 % de sa valeur !

Les salariés et les retraités ont pour eux des organisations syndicales disposant de pouvoirs reconnus de grève et de négociation, et qui les défendent lorsque le patronat et le gouvernement refusent de "partager les fruits de la croissance". Les plus pauvres, eux, n’ont rien de tout cela, en dehors de réseaux associatifs qui s’efforcent, avec des moyens limités, de faire connaître leur situation et leurs exigences de dignité.

Les revalorisations annuelles des minima sociaux sont décidées par des gouvernements qui, au cours de cette période, ont été obsédés, d’une part, par la baisse des prélèvements obligatoires et, d’autre part, par la crainte non fondée que le RMI n’incite les pauvres à la paresse (la "désincitation" au travail).

La dégradation continue du pouvoir d’achat du RMI s’est produite sur un fond idéologique de culpabilisation des pauvres, qu’il fallait remettre au travail en leur montrant que celui-ci "paie". Cela devait réduire le chômage. Or, en contradiction complète avec ce raisonnement, le chômage a progressé alors que l’écart s’est nettement creusé entre RMI et bas salaires.

Enfin, puisqu’il est beaucoup question de relancer la consommation des ménages (le "moral des ménages") au nom de la croissance et de l’emploi, rappelons une évidence : contrairement aux 10 % des ménages les plus riches, qui épargnent 40 % de leur revenu, les pauvres le dépensent en totalité. Ils sont les meilleurs acteurs d’une relance de la consommation !

La "cohésion sociale" est partout invoquée. Un ministère lui est même consacré. Sa première priorité ne devrait-elle pas consister à éviter que le pouvoir d’achat des plus pauvres ne décroche par rapport au niveau de vie moyen ?

Augmenter fortement les minima sociaux, c’est bon pour l’emploi, c’est une exigence morale et c’est, aujourd’hui, une urgence sociale.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-630530,0.html