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BENAZIR BHUTTO PORTE-MALHEUR DU PAKISTAN

Publie le lundi 12 novembre 2007 par Open-Publishing
2 commentaires

UNE BOMBE NOMMÉE DÉMOCRATIE

Le coup d’état du général Pervez Musharraf, au Pakistan, n’a pas entraîné l’insurrection des bidonvilles de Karachi.

Sa prise de pouvoir, en 1999 (1), n’a pas changé la vie de l’ouvrier qui vend sa force de travail, 80 roupies la journée, sur les nombreux « labour chowk » de Rawalpindi.

Les avocats, juges, bourgeois, cravachés par la police, ici, sont un plaisant divertissement pour le peuple des cireurs de chaussure qui survivent avec à peine 1 euro par jour.

« Ce n’est pas le bulletin de vote qui a engraissé le penjâbi » ricane le gavroche, regardant le maigre groupe de contestataires, bien habillés, conspuant le général.

L’indignation n’est ressentie qu’à Wall Street et dans les milieux friqués d’Islamabad où les rejetons de la bourgeoise qui ne deviennent pas ministres ou marchand font, parfois, carrière dans la justice.

Il y a trente-deux ans, en Inde, Indira Gandhi décrétait, pendant dix-neuf mois, l’état d’urgence pour des motifs similaires : un juge de la cour suprême voulait invalider son élection, pour fraudes électorales (2).

La lutte entre « l’impératrice des Indes », qui avait derrière elle, l’armée, le Congrès, les masses et le juge de la cour suprême était bien inégale ; et montra vite les limites de la démocratie parlementaire héritée du Raj.

Son slogan « Garibi Hatao ! » (dehors la pauvreté !) plaisait à des centaines de millions d’Indiens.

La déesse Durga nationalisait les banques, les assurances ; supprimait rentes et privilèges laissés, à l’Indépendance, aux maharadjas et nababs.

Un journaliste à la solde du Times écrivait clandestinement : « Même les chiens ne peuvent aboyer sans sa permission. »

Personne n’écrirait cela à Lahore, aujourd’hui, dans les colonnes du « Dawn », à propos du coup d’éclat du général « Bushsharraf ».

En dépit de quelques centaines d’arrestations, son état d’urgence fait pâle figure auprès de celui d’Indira Gandhi.

Il est vrai que cette dernière était soutenue par l’Union soviétique et sortait d’une grande victoire militaire, la libération du Bengladesh en 1971.

Et là nous touchons au défaut majeur du général.

C’est un vaincu.

Le Pakistan de Musharraf n’est plus en mesure de s’imposer politiquement, lors même il disposerait de la Bombe : « il a perdu la guerre contre le terrorisme ; il a perdu la confiance du bazar, de la madrasa, des ambassades et pourrait connaître la fin accidentelle du général Mohammad Zia » explique, avec un certain plaisir, un diplomate.

Même la Chine qui construit en eau profonde, un port stratégique à Gwadar, ne soutient plus fermement le général.

Robert Gates, le remplacement de Rumsfeld, était à Bejing lorsque Musharraf décrétait l’état d’urgence, lui fermant ainsi son dernier recours.

Il pourrait certes se rapprocher de l’Iran et donner en échange quelques kilos d’uranium, mais le général n’est pas un colonel Nasser et n’ose pas, en apparence, affronter les grandes puissances.

Les Etats-Unis ont interdit impérativement à l’Inde et au Pakistan tout échange économique et politique avec la république islamique.

C’est dire la vassalisation des nations malgré la possession de l’arme nucléaire…

Pour l’Inde, ils ont même conditionné la fourniture d’uranium à cette interdiction.

Dans un discours simpliste, on nous présente maintenant Benazir Bhutto comme un prix Nobel birman.

L’alternative au général est encensée par une presse mondiale qui méprise profondément le peuple pakistanais et le Pakistan.

Or la dame extrêmement corrompue préconise la multiplication des bases US sur son propre sol et le bombardement de sa propre population, dans les provinces du nord-ouest, rebelles à tout pouvoir.

La guerre que livre une bourgeoisie compradore, laquais de l’impérialisme, aux masses pakistanaises, atteint ici des hauteurs himalayennes.

Combien le chant du muezzin semble doux aux habitants de la vallée de Swat, massacrés par les bombes de la Démocratie…

Depuis le 11-Septembre 2001, le général Busharraf est sommé de déclarer la guerre à sa propre religion, de décréter la loi martiale dans les régions mitoyennes de l’Afghanistan et d’y taxer terroristes les élèves, à peine pubères, des écoles coraniques, les Talib.

Résultat : la révolte talibane gagne l’ensemble du pays.

Chaque attentat qui éclabousse nos journaux est la conséquence d’une guerre impitoyable dont nous voyons rarement les images.

L’Amérique, l’Europe souhaitent-elles rayer de la carte le Pakistan comme la Yougoslavie ?

Le drame du « pays des purs » est qu’il a été créé, en 1947, non pas pour être souverain, libre et indépendant mais pour servir des intérêts.

L’armée pakistanaise a été bâtie selon un mode colonial.

Équipée par les Américains et les Chinois, sa mission était d’endiguer l’expansionnisme indien jadis allié aux Soviétiques.

Aujourd’hui, on poursuit les habitudes jusqu’à l’absurde.

Les cantonnements militaires, au pays de Jinnah, sont des sortes de Green Zone où le soldat est cultivé comme un arbre de malheur.

« De leurs mains ne sortent rien que le sable et la mort » disent les paysans du Sindh.

Us et coutumes d’un régime colonial et féodal : les terres arables sont partagées entre officiers ; et les jeunes cadets, pour la plupart issus du Pendjab, sont éduqués dans les Académies militaires de Sandhurst ou de West point avant de revenir civiliser leurs semblables.

Durant cinquante ans, l’armée pakistanaise et, en particulier l’ISI, ont été des instruments dociles aux mains de la CIA.

Jusqu’à l’aventure de Kargil, l’armée a servi toutes les tentations : elle a signé les pactes atlantistes et anticommunistes (pacte de Bagdad, CENTCOM), fournit les mercenaires, l’argent, les armes, la drogue, pour saper les régimes prosoviétiques d’Asie centrale.

Le Pakistan a servi de pont et d’intermédiaire dans toutes les alliances secrètes entre les Etats-Unis et la Chine contre le bloc soviétique.

L’insurrection de 1989, au Cachemire, la première explosion nucléaire en 1998, l’embargo qui s’en est suivi, la guerre surprise de Kargil en 1999 et bien sûr les conséquences du 11-Septembre marquent cependant l’éveil chaotique d’une nation.

Par bien des aspects, la crise actuelle avec le tuteur américain ressemble à celle de 1971 où l’armée pakistanaise avait perdu le contrôle de l’Ouest Pakistan et failli à sa mission.

Après un bain de sang mémorable, le Bengale était libéré par l’armée indienne et les Mukti Sena supportés par les Soviétiques, au grand dam des Etats-Unis et des Chinois.

Aujourd’hui, le renversement stratégique d’alliance, le « soft deal » entre Washington et New Delhi, autorise l’armée indienne à envisager une possible conquête des régions, au nord-ouest himalayen, qui donne accès à l’Asie centrale.

Le couloir qui longe au nord le Pakistan et la frontière chinoise pour rejoindre l’Afghanistan fait partie de cette revendication.

La carte politique, éditées par The Survey of India, n’englobe-t-elle pas l’ensemble du Cachemire et, presque, le corridor du Wakhan ?

Preuves tangibles d’un tel dessein :

Le Border Road Organization, le génie militaire indien, est chargé par l’OTAN de reconstruire les routes en Afghanistan ; l’armée britannique fait des manœuvres avec les jawans, dans une région disputée aux confins du Ladakh.

Et cela au mépris total de la ligne de cessez-le-feu, the Lign of Control sous la surveillance de l’ONU.

Cette dernière manœuvre, en novembre 2007 (4), au pied du glacier Sachien, semble ne pas être étranger aux derniers coups de griffe du tigre Musharraf.

L’armée pakistanaise mise à mal, dans sa zone d’influence, se détermine par atavisme davantage contre l’ennemi intime que contre l’Oncle Sam.

Pour l’intelligence bureau pakistanais, les troubles fomentés au Baloutchistan, à la frontière iranienne, seraient l’œuvre du RAW, les services secrets indiens.

Il est curieux de voir combien l’État major épargne la CIA et le M16.

Les forces de l’OTAN pourtant ont allumé une bombe, par leur présence dans l’Hindu Kuch, prête à exploser bien au-delà de la région…

Le Jihad qui a lieu actuellement au Warizistan et dans la vallée de Swat est pour les militaires locaux le fruit amer de l’Invasion.

Les Scouts de Gilgit se seraient bien passé d’intervenir dans ces montagnes, historiquement « autonomes », ultime marche de l’empire.

Les Pakistanais ne peuvent occuper ces régions de la même façon que l’armée indienne quadrille le Jammu et Cachemire.

Il en va de la fragile architecture du Pakistan.

Terra incognita, puits à fantasmes de tous les experts en terrorisme.

Ces zones tribales arbitrairement réunies sous protectorat britannique sont disputées depuis toujours avec l’Afghanistan.

La ligne Durand, dessinée par les géographes anglais au XIXe siècle, en pays pachtoune, n’a jamais été reconnue comme frontières par les différents gouvernements afghans successifs.

C’est cette zone, toujours rebelle au gouvernement de type colonial, qui est au cœur de toute l’affaire.

Plus invisibles que le Yéti, le mythique Ben Laden et sa mystérieuse légion hanteraient les lieux, éclairés par un ténébreux croissant islamique.

La vérité est beaucoup moins romantique.

Il n’y a pas un jour qui passe sans qu’un village ici soit bombardé, des dizaines d’enfants déchiquetés par des mines parachutées made in Israël.

Des moudjahiddines, comme du temps de l’empire soviétique, tiennent tête, avec des mousquets fabriqués à la main, aux norias d’hélicoptère de combat.

L’armée française participe à ces carnages.

Chaque jour des Rafales ou des Mirages s’envolent de la base militaire de Douchanbé, au Tadjikistan, pour mitrailler le pli bleuté de ces montagnes.

Qui nous parlera du déshonneur de ces pilotes et de leurs crimes commis en catimini ?

Les veuves et les orphelins pachtounes attendent le reporter du « Monde diplomatique » ou le french doctor pour témoigner du martyr enduré au nom de la guerre contre le terrorisme.

L’agitation bourgeoise autour de l’état d’urgence, à Islamabad, comparés aux massacres de la frontière afghane, apparaît comme une sinistre plaisanterie.

Car, enfin, ce qu’on reproche à Musharraf, c’est non pas qu’il soit un dictateur ou un assassin mais qu’il ne tue pas suffisamment son peuple !

HIMALOVE

1. L’auteur de l’opération Kargil a pris le pouvoir à la faveur d’un contre-coup d’état ; le Premier ministre Sharrif et les Américains, à la fin de l’année 1999, avaient planifié la destitution du Commandant en chef de l’armée pakistanaise.
2. La cour suprême ne sert pas à protéger des pogroms et des états d’exception en Inde : la loi martiale est en vigueur, depuis les années 1980, au Jammu et Cachemire et au Manipur ; et en février 2002, sous le règne du Bhartrihari Janacek Parti, 3000 musulmans étaient massacrés au Gujarat sans que cela ne provoque une moindre intervention de la Cour suprême…
3. Le général Zia ul Haq dirigea le coup d’état militaire de juillet 1977 au Pakistan ; devenu président de la République islamique en 1978, il fit exécuter l’ancien Premier ministre Zulficar Ali Bhutto ; il mourut dans un étrange accident d’avion… .
4. Lire la dernière livraison du magazine indien, « Tehelka ».

Messages

  • Merci à l’équipe de Bellacio d’avoir accepter mon article sur le Pakistan.

    Il m’a été refusé, sans commentaire, sur l’ensemble des indymedia.

    Sans doute, mon traitement à contre-pied du sujet, alors que la presse internationale essaye de donner une dimension politique nationale à Bénazir Bhutto, chose qu’elle n’a pas, et ma tentative de voir l’Evenement comme un cireur de chaussure ou un talib me valent-elles le mépris des journalistes...

    Mais ce que j’écris, je n’ai pas été le piquer aux agences du Mensonge officiel, je l’ai longuement mûri et rapproché des images et sensations que j’ai éprouvé lors de mes voyages au Pakistan, Inde, Iran.

    J’ai essayé comme tout journaliste, de savoir, en épluchant la presse indienne, pourquoi cette crise pakistanaise advient maintenant...

    Bénazir Bhutto n’a pas quitté son exil doré de Londres avec pour seule raison la nostalgie du pays ou le désir de l’immense majorité des Pakistanais de la revoir, mais avec une mission urgente confiée par les Américains et les Anglais.

    Ces derniers se trouvent dans d’énormes difficultés en Afghanistan ; et la clef de leurs succès ou échecs est dans les mains des militaires pakistanais.

    Je le répète : pour une foule de raisons, les militaires pakistanais ne peuvent, sous peine de faire éclater le pays, occuper avec les méthodes de l’armée indienne, au Jammu et Cachemire, ou celle de Tsahal, en Palestine, les provinces du Nord-Ouest.

    Devant le refus des généraux pakistanais d’obtempérer aux ordres du pentagone et de la CIA, les anglais et les américains tentent la carte Bénazir Bhutto afin d’écarter de la direction politique du pays Musharraf.

    "La guerre est vraiment une chose trop sérieuse pour la laisser aux militaires"

    HIMALOVE

  • Les manoeuvres militaires anglo-indiennes, qui ont lieu entre octobre et novembre 2007, au pied du glacier Sachien, dans un endroit disputé du Cachemire, portent le nom de "Himalayan Warrior".

    Elles ont engagé du côté britannique une centaine de marines, qui se battent en Afghanistan.

    Ces manoeuvres ont été très mal perçues par la population cachemirie et le gouvernement pakistanais. Elles sont, peut-être, à l’origine de l’Etat d’urgence décrété par Musharraf.

    Aucun journaux et reporters occidentaux n’ont fait la relation ; c’est dire les connivences de l’appareil médiatique avec les maîtres du Monde.

    Dans un entretien avec un journal italien, Musharraf qualifie Bénazir Bhutto de "traître à la nation".

    HIMALOVE