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Cesare libero, le combat continue

Publie le samedi 6 mars 2004 par Open-Publishing
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En attendant le 7 avril et le jugement sur le fond de sa demande
d’extradition, Cesare Battisti a été remis en liberté le, 3 mars, par la
chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris. Après nous être gelés à
quelques centaines devant le palais de Justice de Paris (tandis que d’autres
faisaient de même, notamment à Montpellier et à Lyon), nous n’allions pas
bouder notre plaisir, et nous nous sommes embrassés sans retenue : c’est
bien une première victoire. Une victoire contre les gouvernements italien et
français lancés dans un spectacle électoral-sécuritaire, une victoire contre
le cynisme, l’arbitraire et le mensonge, une victoire contre le
découragement et la passivité engendrées par les avancées législatives de
l’état d’urgence permanent et des politiques sociales réactionnaires.

Toutefois, nous savons la bataille loin d’être gagnée : il faut obtenir que
non seulement, le 7 avril, un avis défavorable à l’extradition soit rendu,
mais encore que le gouvernement français renonce à toute autre extradition
de réfugiés italiens, conformément aux engagements pris par les
représentants de l’Etat pendant plus de vingt ans.
A ce stade, on peut dresser un premier bilan de la mobilisation
exceptionnelle qu’a suscité le cas Battisti, et en tirer pour la suite des
leçons qui concernent autant notre sort que le sien. Car elles touchent des
questions bien plus vastes que sa seule personne.

Une mobilisation multiforme en réseaux

Ce qui frappe, dans la mobilisation qu’a suscitée le cas Battisti, c’est
d’abord sa forme en réseaux : de multiples initiatives se sont fédérées,
sans centralisation excessive (le Comité de soutien est, de manière
informelle, un petit groupe d’amis et connaissances qui tente d’organiser le
chaos), en s’appuyant sur le Web et sur des rendez-vous non virtuels (sous
les murs de la Santé ou du Palais de Justice, dans ceux de la Ligue des
Droits de l’homme ou de la Société des gens de lettre). Cela fait plusieurs
années qu’on a pu assister à des agrégations de révoltes par l’intermédiaire
du net, un exemple récent étant fourni par la campagne anti-pub dans le
métro. Mais ici, le net n’aura été qu’un des vecteurs permettant la mise en
contact et le renforcement mutuel des initiatives : il faudrait parler aussi
du réseau des librairies, de celui des bibliothèques publiques, et aussi des
réseaux individuels, avec ces dizaines de gens qui ont décidé de manière
autonome d’alerter leurs amis. Si la pétition en faveur de Cesare a pu
recueillir à ce jour près de 15000 signatures, c’est aussi grâce au réseau
informel de Cesare : à travers sa participation aux festivals de polar, aux
résidences d’auteur, aux ateliers d’écritures et autres rencontres
littéraires, il a su se faire apprécier à des centaines de personnes ses
qualités humaines, et leur faire comprendre les particularités de son
histoire et de celles de sa génération italienne.

Si aujourd’hui, des
retraitées de La Mure, dans les Alpes, et des ouvriers de Saint Nazaire, sur
l’Atlantique, savent ce qu’est un repenti ou ce qu’étaient les motivations
des révoltés des années 70, on le doit d’abord à Cesare. On observera aussi,
avec Valerio Evangelisti, le rôle éminent de deux sites dévolus aux
littératures noire et de s-f, Mauvais Genres en France et Carmillaonline en
Italie, ce qui ne manquera pas de renforcer la conviction que c’est de ce
côté-là de la littérature, et de la culture en général, que se trouve le
dynamisme et le contact avec le social.

Cette mobilisation a pris bien des visages, qu’on peut trouver suivant les
cas et les orientations idéologiques, sympathiques, ou gênants ou carrément
déplaisants. La ville de Frontignan déclarant Cesare citoyen d’honneur, les
élus du Conseil de Paris venus le soutenir écharpe au vent, les centaines de
lettres reçues en prison : dans le film de cette histoire, on aurait déjà du
mal à choisir les images. Pour moi, je prendrais, pour le meilleur, la
chorale de la Canaille réunissant pour une sérénade sous les murs de la
Santé un anar basque septuagénaire, Dominique Grange (chanteuse emblématique
des années 70, qui émut mes hormones post-pubertaires et toujours sur la
brèche), un jeune gaillard de la CNT qui chantait fort et faux et Oreste
Scalzone à l’accordéon.

Pour le pire, je retiendrais le confusionisme
gauchiste de certaines réactions de mes camarades. Dans les huées qui
accueillaient les questions agressives de certains journalistes lors de la
conférence de presse à la ligue des droits de l’homme, j’entendais les voix
de mes amis en même temps que l’expression des faiblesses d’un milieu dont
je suis issu.

Petites misères gauchistes et nécessités stratégiques
L’incapacité à concevoir l’opposition au monde en termes historiques et
stratégiques, l’incapacité à se déterminer en fonction du lieu et du moment
sans perdre la boussole, cette double incapacité est le produit d’une
facilité de pensée que nous avons trop longtemps supporté, la tendance à
l’équivalence généralisée qui fait proférer des âneries mettant sur le même
plan démocratie parlementaire et dictature, ou l’aliénation publicitaire de
la femme moderne et la domination masculine dans sa forme islamique. Ce
qu’exprimaient les cris des gens qui confondaient une conférence de presse
dans les locaux d’une ONG avec une assemblée générale en amphi, c’était
outre le simplisme de leur vision du monde, le fait qu’ils fonctionnaient
principalement à l’indignation.

Quand on n’est plus porteur d’un projet de
transformation sociale, quand on n’agit plus que par réaction aux coups les
plus bas du pouvoir, on est condamné à cette posture de l’indigné confus qui
se bat pour des victimes.
J’imagine ce que les indignés auraient dit si le PS (étrangement, la
présence du PC dérange moins : indulgence éternelle du gauchisme à l’égard
du stalinisme et de ses avatars) avait regardé ailleurs : que ces crapules
avaient oublié la parole donnée par Mitterrand, et de fait, cela aurait été
plus simple, on aurait pu dénoncer droite et gauche (la dénonciation étant
l’une des activités préférées de ce milieu auquel je me flatte toujours
moins d’appartenir) sans avoir à opérer de distinguo fatiguant entre les
différents politiciens. Il ne sert à rien d’invoquer les Basques et les
Sans-Papiers (nous n’avons pas non plus songé à réclamer l’abolition du
travail salarié) pour éviter d’analyser un peu précisément la situation
créée par la mise sous écrou extraditionnel de Cesare et nos possibilités
réelles d’intervention.

Pour résumer, nous nous battons le dos au mur ‹ ou
plutôt, pour nos amis réfugiés italiens, le dos à l’entrée de la prison.
Quand De Luca parle d’une génération vaincue, cela veut dire que nous devons
nous battre presque entièrement sur le terrain de l’ennemi, celui de la
démocratie capitaliste, pour obtenir au moins qu’elle respecte ses propres
règles. Ensuite, s’il doit y avoir un débouché politique à ce combat, ce
sera d’aider les courants, encore très minoritaires dans la péninsule, qui
demandent l’amnistie. Sur ce terrain, tous les alliés qui ne réclament pas
de nos camarades de renier leur histoire et leurs idéaux, sont bons à
prendre. Qu’il y ait même dans le soutien à Cesare des élus de droite est
une excellente nouvelle (incohérence de la radicalite : tout à coup, le
distinguo droite-gauche redeviendrait opérant pour alimenter l’indignation),
comme il est excellent que Cossiga, l’un des principaux artisans des lois
d’exception, dialogue aujourd’hui avec Persichetti sur le thème de la
nécessité de l’amnistie.

Qu’il s’agisse de Cossiga ou des élus français, les
motivations des politiciens sont forcément politiciennes, et donc
entièrement étrangères aux nôtres. Cela signifie simplement que nous devons
nous situer avec eux uniquement sur le terrain de l’aide pratique, dans
toutes ses composantes, y compris symboliques (tout est bon à prendre, les
citoyennetés d’honneur et autres fariboles), du moment qu’elles sont
clairement destinées à la protection de Cesare et des autres contre
l’extradition. A nous aussi de les pousser à donner les formes les plus
concrètes possibles à cette protection.

La peur de la « récupération par les démocrates » qu’on entend exprimer,
paraît-il, ici et là, repose, me semble-t-il, sur une méconnaissance du
rapport de forces et de la réalité de l’Italie d’aujourd’hui. Se battre pour
le « respect de la parole donnée », c’est mettre les gouvernants français
face à leurs contradictions et éviter de s’aventurer sur le terrain glissant
de l’innocentisme (glissant parce qu’il entraînerait la négation du
caractère collectif de la révolte, et de la férocité anti-éthique de sa
répression). Le mouvement de solidarité envers Cesare a déchaîné les plumes
serves d’outre-Alpes, de droite comme de gauche. En Italie, la Gauche de
gouvernement et ses relais journalistique ont voulu mettre la pierre tombale
d’une vérité officielle (et donc mensongère) sur le mouvement social des
années 70, rassemblé de manière indiscriminé sous l’appellation « années de
plomb ».

Parce que cette gauche voue une haine durable à une époque et un
mouvement qui avait ébranlé son hégémonie sur la culture et sur les classes
populaires, et aussi, raison humainement plus acceptable, parce que certains
de ses plus éminents représentants ont laissé leur peau dans les attentats
de l’époque. Aujourd’hui, que cette gauche est toujours en train de chercher
comment être de gauche, alors qu’elle quête son identité entre Blair et
Clinton, elle a moins que jamais envie qu’on lui rappelle que les activistes
d’extrême gauche sont souvent passés à la lutte armée (ainsi des BR) en
reprenant les armes laissées ou carrément transmises par les anciens
partisans communistes des maquis anti-fascistes. Alors, dès qu’elle voit
qu’on défend, en France, une sorte d’amnistie de fait, elle n’hésite pas
(voir la Repubblica de ce jour), à ressortir les vieilles ficelles :
interviewes des « victimes du terrorisme », rappel que « l’Italie n’était
pas le Chili » (qui l’a jamais prétendu ?). Et je pense que nous n’avons pas
encore tout vu, en matière de distorsion et de falsification du passé. Donc,
le climat est rien moins que favorable.

Quant à ceux qui prétendent qu’une « défense démocratique » nous
contraindrait à nous désolidariser des « camarades » victimes de la
répression en Italie, cela manifeste un risible aveuglement sur la réalité
socio-politique de ce pays aujourd’hui. Hormis l’onction de quelques détenus
en quête désespérée d’un débouché à leur discours fossilisé, et des
opérations de copier-coller sur les vieilles « résolutions » des années 70,
les pseudo-néo-BR d’aujourd’hui ne peuvent se revendiquer d’aucune
continuité avec les BR historiques, en tout cas pas de la seule qui vaille,
la continuité sociale. Si, à l’époque, on pouvait déjà s’interroger sur les
dégâts que le stalinisme et le militarisme de cette organisation ont fait
sur un mouvement social multiforme, il était vrai qu’elle possédait une base
dans les usines et dans la jeunesse. Aujourd’hui, où sont les racines
sociales des néo-BR ?

Et qui comprend quelque chose aux colis piégés
attribués aux anarchistes insurrectionnalistes ? Le recours aux armes, dans
les années 70, s’il peut s’expliquer, était déjà, quand il n’était pas
purement défensif, une impasse tragique. Dans l’Italie d’aujourd’hui, ce
n’est plus qu’un « phénomène de société » qui entretient à peine plus de
rapports avec la politique que les menaces du groupe AZF en France. Nous
n’avons pas à nous solidariser ou nous désolidariser des faiseurs d’attentat
italiens d’aujourd’hui : en tant qu’expression d’un malaise, en tant que
victimes de la dépolitisation et d’éventuelles manipulations, en tant que
prisonniers, ils ont droit comme les autres à notre soutien humain. C’est
tout.

Là-dessus, je m’arrête, en attendant le déluge de merde que ces quelques
remarques vont me valoir. Cela ne m’empêchera pas d’essayer, dans une
dernière partie, de tirer quelques leçons positives de la mobilisation
contre l’extradition de Cesare et de ses camarades. Cela nous empêchera
encore moins de la maintenir et de la porter à un niveau plus vaste.

Messages

  • Pourquoi pas n’organiser un événement politique, des débats,une petite manif.,un petit journal(titre après marx,7 Avril)etc. etc. manifester" aussi " devant l’ambassade et centres culturels italiens,pour le temoignage de cette mensonge du 7 avril ?C"est possible s’inventer quelque chose ,initiative ,et un petit livre de cette géneration (77)etc.pour organiser un ’autre’7 avril",le notre ",... et fair "rappeller "en italie les mensonges ,le réfoulement (Guattari/Deleuze)et l’oubli ’politicien’ ..vers cette page d’histoire,où le seul,(sic,)mr Kossiga a eu le "courage", de dire quelque chose ,meme si à sa manière "".???Alors cher écrivain S.Q.,organisons ensemble avec tous les italiens résidents et francais etc. etc.une.. initiative pour le 7 avril..pour cesare,paolo et aussi pour l’histoire /memoire ,du processus italien de ces années ..., ..""aussi "de fete pour le mouvement des indiens metropolitains du 77..,dans la rage mais quand -meme, dans la joie de cette période qui a donné radio alice,revues comme a/traverso,la théorie des besoins,les non/garantis ,nouveaux sujets sociaux,l’ouvrier social,etc.etc....discutons aussi du bouillon culturel,du langage,etc.des révolutions culturelles de cette génération de l’autonomie créative de l ’époque... . ;des suggestions pour toi ...et les autres. salutations cyberdada.,. des artiste militants italiens ,ex indiens métropolitains...compagnons de route du c.Bciao..etc./...cesare libre,le combat/débat continue...on y va à la manif des intermittents chomeurs,des femmes, et des autres invisibles ,sans voix,matraqués par la domination ultraliberale..et pour lutter contre la domestication des "etres"(Sloterdik..),et pour une nouvelle culture,ésthetique,philosophie quotidienne rélationelle, ..new global..,altermondialisation..6 MARS 2004 METRO MONTAGALLET..h 14..pardon pour cette réponse délire pressé...SALUTATIONS FRATERNELLES compris oreste et co. et pardon. pour les blessures,involontaires,infligées à votre belle langue volée.