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Communiqué FIDH/LDH : "Télé-réalité coloniale sur France 2" et lettre ouverte

Publie le mercredi 21 juin 2006 par Open-Publishing
8 commentaires

COMMUNIQUÉ COMMUN FIDH/LDH

Paris, le 20 juin 2006

Télé-réalité coloniale sur France 2

La FIDH et la LDH, associations indépendantes à l’abri de toute pression, ont décidé de rendre la lettre ouverte publique qu’elles ont adressée ce jour à France 2 et au CSA, pour protester contre le projet "Les caméléons", produit par Extra Box, filiale d’Endemol, pour France 2.

L’accès à la culture est un droit de l’Homme affirmé par la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Il s’agit d’un accès égal pour tous, dans lequel le spectateur ne doit pas être réduit à un consommateur, et le sujet filmé, en particulier lorsqu’il s’agit d’un être humain, ne doit pas devenir un objet.

Nous, organisations de défense des droits de l’Homme, affirmons que le projet « Les caméléons » contrevient aux obligations de la principale chaîne publique qui doit selon son cahier des charges, « promouvoir les valeurs d’intégration, de solidarité et de civisme » et non le spectacle affligeant des vieux clichés de l’exotisme colonial.

Nous rappelons à France 2 que l’attention qu’elle doit porter à son audience, toujours selon son cahier des charges, « exprime plus une exigence vis-à-vis du public qu’une volonté de performance commerciale ».

Nous dénonçons la revendication par le directeur de la chaîne de la qualité de « documentaire » pour qualifier cette émission purement commerciale.

Nous attendons de France 2 qu’elle renonce à ce projet qui relève de la même idéologie que les zoos humains dans lesquels on exhibait les peuples colonisés.

Nous rappelons enfin que le CSA a pour devoir de contrôler les dérives des sociétés de télévision et nous lui demandons d’intervenir auprès de France 2 pour obtenir le retrait de ce projet d’émission.

Contact :

FIDH : Karine APPY - kappy@fidh.org - 01 43 55 14 12

LDH : Pavlina Novotny - pavlina.novotny@ldh-france.org - 01 56 55 51 08


LETTRE OUVERTE AUX PRESIDENTS DE FRANCE 2 ET DU CSA

La dérive de France 2 vers la télé-réalité coloniale est inadmissible.

L’émission « Les caméléons », produite par Extra Box, filiale d’Endemol, est actuellement en tournage pour France 2, et devrait être diffusée à l’automne prochain.

Le directeur des programmes de France 2, Jean-Baptiste Jouy, défend ce projet dans le quotidien Le Monde en le qualifiant de « jeu documentaire d’aventures ». Nous, organisations de défense des droits de l’Homme, affirmons que ce projet est en contradiction avec les obligations légales de la télévision publique et avec les principes des droits de l’Homme dont le simple respect dû à l’être humain.

L’idée d’envoyer des équipes de tournage et un groupe de candidats pour vivre la vie tribale de peuples autochtones d’Afrique, d’Asie et d’Océanie, ne peut représenter un jeu que pour ceux qui en maîtrisent les règles. Tel n’est évidemment pas le cas pour ces êtres humains dont l’image sera exploitée alors qu’ils n’ont aucun moyen de contrôler ce qui leur arrive. A titre d’exemple, l’une des « tribus » choisie, les Hadzadés, vit en Tanzanie sans habitat, par groupe d’une vingtaine de membres. Ce peuple de chasseurs cueilleurs est menacé. Il ne comprendrait plus qu’un millier d’individus. L’intrusion d’une filiale d’Endemol, dont on connaît le niveau de conscience et d’éthique télévisuelle, ne saurait dans ces conditions assurer le « respect constant de la personne humaine », obligation de France 2 selon son cahier des charges.

Selon son cahier des charges, la principale chaîne publique doit « promouvoir les valeurs d’intégration, de solidarité et de civisme ». Nos organisations entendent rappeler à France 2 que l’attention qu’elle doit porter à son audience « exprime plus une exigence vis-à-vis du public qu’une volonté de performance commerciale ». Si France 2 désire offrir « une porte d’entrée gourmande, humaniste, joyeuse, au grand public, pour lui permettre de découvrir des cultures méconnues », comme l’affirme son directeur des programmes, il y a évidemment d’autres voies que le « cannibalisme » audiovisuel.

Pour ce qui est de la nature du programme, nous dénonçons la revendication par le directeur de la chaîne de la qualité de « documentaire » pour qualifier cette émission. Un documentaire impliquerait une toute autre responsabilité de son auteur, une toute autre éthique vis-à-vis des personnes filmées et une toute autre relation au public que le format de télévision envisagée.

Pour ce qui est enfin de la caution scientifique invoquée par la chaîne, France 2 a, dans le cadre de son cahier des charges, l’obligation de proposer des émissions à caractère culturel et scientifique. Ce n’est certainement pas en faisant appel, pour les candidats, à des guides « en général ethnologues de formation » que celle-ci sera remplie. Aucun ethnologue digne de ce nom ne se compromettrait dans une telle mascarade.

L’accès à la culture est affirmé par la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Il s’agit d’un accès égal pour tous, dans lequel le spectateur doit avoir la possibilité de se faire sa propre opinion sur ce qui lui est présenté, et dans lequel les personnes filmées ne doivent pas être traités comme des objets. Il en va de la responsabilité éthique et politique des diffuseurs comme de ceux qui produisent ou réalisent les images.

La France a pris à juste titre une part active dans l’élaboration de la Convention de l’UNESCO du 20 octobre 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, qui implique « ...la reconnaissance de l’égale dignité et du respect de toutes les cultures, y compris celles des personnes appartenant aux minorités et celles des peuples autochtones » (article 2 paragraphe 3).

La diffusion des « Caméléons » par le service public signerait un double discours flagrant entre une priorité affichée comme essentielle par le Président de la République au niveau international, et une pratique interne contraire des autorités françaises.

Nous attendons de France 2 qu’elle renonce à ce projet qui relève de l’exotisme colonial, comme les zoos humains dans lesquels on exhibait les peuples colonisés.

Nous rappelons que le CSA a pour devoir de contrôler les dérives des sociétés de télévision et nous lui demandons d’intervenir auprès de France 2 pour obtenir le retrait de ce projet d’émission.

Sidiki Kaba Président de la FIDH

Jean-Pierre Dubois Président de la LDH

Messages

  • N’est il pas la preuve de l’apologie du colonialisme au pays des droits de l’homme ?

    • S’agissant du pays des droits de l’homme, Eric HAZAN remet les choses à leur juste place dans un petit bouquin intitulé "LQR, La propagande au quotidien" (Raisons d’agir, 2006)

      « La France pays des droits de l’homme, la France terre d’accueil, ces expressions récurrentes n’ont été justifiées qu’à des moments historiques très courts :
      quelques mois pendant la Révolution, quelques semaines pendant la Commune de Paris - dont le ministre du Travail était Léo Frankel, un ouvrier allemand, et qui avait confié à deux immigrés polonais (il s’agit de Dombrowski, qui sera tué sur les barricades, et de Wroblewski) la conduite de ses combattants. Le reste du temps - c’est-à-dire, en somme, presque tout le temps -, les étrangers ont été au mieux harcelés et au pire persécutés, le régime de Vichy et le pouvoir actuel étant allés jusqu’à punir sévèrement l’hébergement de ceux qui étaient/sont en situation « irrégulière ». Villepin, auteur d’un livre que la critique aux ordres a qualifié d’humaniste, souhaite parvenir à « 20 000 éloignements [admirez l’euphémisme] d’étrangers en situation irrégulière en 2005 » et insiste pour que les préfets s’assurent de « la validité des certificats d’hébergement » Le Monde, 10 décembre 2004).
      Ma famille et moi-même devons notre survie à des fonctionnaires de la mairie de Marseille qui ont pris le risque, en 1943, de ne pas obéir à pareilles injonctions.

      Pendant les soixante-dix ans de la IIIe République entre la répression de la Commune sous l’œil des Prussiens et la reddition au Maréchal en juin 1940 à Bordeaux -, il était plutôt question de la mission civilisatrice de la France. Je me souviens d’avoir reçu autrefois, à une distribution des prix, des livres d’une collection qui s’appelait « 110 millions de Français ». L’expression est aujourd’hui comique, mais les manuels scolaires continuent à maintenir l’équilibre entre crimes et « bienfaits » de la colonisation française, toujours présentée comme plus humaine que les autres, celle de Léopold au Congo, du Kaiser chez les Herreros. des Anglais en Inde. Dans le discours de Raffarin au futur musée de l’immigration, la seule allusion au fait que « l’épopée coloniale » n’a pas toujours été une idylle tient en une phrase d’une absolue symétrie : « La colonisation et la décolonisation font partie de notre histoire, avec les ombres et les lumières, les réalisations et les drames atroces, le bonheur et les guerres. » Gageons que si ce musée voit le jour, on n’y verra pas de salles consacrées aux massacres ordonnés par les généraux dont le nom a été donné à des rues et des avenues dans toute la France, de Bugeaud à Faidherbe, de Lyautey à de Lattre.
      S’agissant de l’immigration, on n’y évoquera sans doute ni le drame des Indochinois importés de force pour servir de main-d’œuvre dans les usines d’armement pendant la Première Guerre mondiale ; ni la petite île de Poulo-Condor au sud de la Cochinchine, qui servit de lieu d’enfermement et de torture aux militants nationalistes ; ni le sort des « tirailleurs sénégalais » (terme générique pour tous les africains enrôlés dans les Forces françaises libres) ; ni les Algériens jetés dans la Seine le 17 octobre 1961.
      Le devoir de mémoire correspond à une forme de négationnisme : n’oublions pas les malheurs que nous avons subis, mais maintenons autant qu’il est possible le silence sur nos propres forfaits. »

      Valère

  • C’est juste une suggestion mais si tout le monde ici présent envoie, à titre individuel une copie de cette lettre....ça n’aura de toute façon pas le même impact que si seule la LDH s’exprime.
    On peut également saturer la boîte "contact" de France2 ou leur forum s’ils en ont.

    Isabelle

  • France 2 s’est déjà engagée dans la télé réalité au sein de nos provinces françaises, à savoir dans le sud de la Haute-Garonne. C’est certainement une autre forme de colonialisme, celui des franciliens qui filment les pauvres "pequenauds" franchouillards que nous sommes dans les autres régions.
    Commande de France 2 à Be happy Productions, filiale de Fremantle médias, il s’agit de filmer le quotidien de personnes en grandes difficultés économiques et sociales, pour l’essentiel des chômeurs de longue durée de la région parisienne, qui ont été "transplantés" selon l’expression du Monde du 18 juin, pour une réinsertion et un"délocalisation réussie" selon l’AFP du 11 avril en midi-pyrénées.
    Seul problème, j’ai révélé ce tournage dès son début dans l’hebdomadaire pour lequel j’écris, c’est-à-dire le 2 février 2006.
    Et, récemment, j’ai été contacté par un des "candidats à la candidature" qui n’a pas été retenu par la production.
    Faits troublants pour des dirigeants qui se défendent de faire de la téléréalité, les critères de sélection des candidats à la réinsertion : 30 minutes de bout d’essai, un dossier d’une quinzaine de pages à remplir, une enquête de moralité dans la famille, et, fin du fin, un extrait de casier judiciaire !!!
    Y aurait-il une forme de discrimination à l’embauche pour ce tournage sur la foi d’informations dont ils n’ont aucune raison de disposer ?
    Tous les renseignements sur le lieu du tournage sont disponibles sur http://tele.blogs.fr, et ceux du candidat recalé sur http://europhil.blogspot.com

    Jérôme HOTTA