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des travailleurs handicapés

Des bâtons dans les roues 
des travailleurs handicapés

Publie le mardi 13 avril 2010 par Open-Publishing

Manque de moyens des Maisons des personnes handicapées (MDPH) et des associations chargées de les accompagner, déficit de structures de formation spécialisées, absence de volonté de nombreuses entreprises… pour les handicapés, l’accès à l’emploi reste un parcours d’obstacles.

Désolation dans le monde du handicap.

Au 1er janvier 2010, les entreprises sans travailleur handicapé auraient dû payer 13 000 euros de surcontribution par emploi manquant. Cinq ans après la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, cette mesure visant les entreprises de 20 à 250 salariés n’ayant rien fait pour atteindre les 6 % de handicapés employés entrait enfin en vigueur.

Sauf qu’en décembre, l’espoir est retombé comme un soufflé. Sous la pression de la CGPME (Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises), Nadine Morano, secrétaire d’État à la Famille et à la Solidarité, laisse un délai de six mois supplémentaire aux patrons. Les associations, de l’APF (Association des paralysés de France) à la Fnath (Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés), crient au scandale. « Quel est le projet de société du gouvernement pour les personnes handicapées  ? » s’interroge Solange Fasoli, chargée de mission à la CGT sur cette question. Avec un taux de chômage endémique autour de 20 % chez les handicapés, cette mesure était attendue pour redresser la barre.

D’autant qu’en 2009, le nombre de chômeurs a augmenté de 10,3 %. Ils sont 250 449 à la recherche d’un emploi. Dans les entreprises, le quota plafonne à 4,1 %, loin des 6 % inscrits dans la loi. Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fnath, juge la loi de 2005 plutôt bonne, notamment pour l’obligation de 6 % de handicapés dans la fonction publique. « Des Maisons des personnes handicapées (MDPH) ont aussi été créées. Elles centralisent les démarches des handicapés, Il y a un référent pour les questions professionnelles. Mais cela a mis du temps à se mettre en place et les MDPH sont confrontées à des problèmes financiers.  »
Ces mêmes MDPH informent sur le statut de travailleurs handicapés, délivré par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).

Ensuite, Cap emploi, l’équivalent de Pôle emploi pour les travailleurs handicapés, prend souvent le relais.
Reconnu par la loi de 2005, il insère près de 50 000 personnes par an.

Dix-huit à vingt-quatre mois sont nécessaires pour débusquer un job. « Un agent s’occupe de 230 dossiers en même temps. Comment voulez-vous offrir un service optimal  ? » interroge Franck Seurin, directeur général de l’Unirh (Union pour l’insertion et la réinsertion professionnelle des personnes handicapées), association qui gère une grande partie des Cap emploi. Il confesse que leurs subventions n’ont pas été augmentées depuis 2003-2004. Alors que le nombre de demandeurs d’emploi explose.

Même constat d’un manque de considération chez Félix Abecia, directeur du centre de rééducation professionnelle (CRP) Jean-Pierre-Timbaud à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Chaque année, il accueille 283 handicapés en reconversion dans ce centre qui conjugue formation dans le domaine tertiaire et soins médico-sociaux spécifiques aux handicapés. « Il existe très peu de ces structures financées par l’assurance maladie. Seulement 6 000 handicapés passent chaque année dans les CRP. Pourtant, 69 % trouvent un emploi à la sortie », explique-t-il.

Et la tendance ne semble pas à l’ouverture de nouveaux centres. « L’agence régionale de santé (ARS) prévoit de faire des appels d’offres pour les formations. Les formations spécifiques des CRP et les formations lambda seraient mises en concurrence. »

Outre le déficit de moyens et de volonté politique, Alain Blanc, professeur de sociologie à l’université Pierre-Mendès-France à Grenoble, avance un autre élément pour expliquer le chômage récurrent des handicapés. « 80% d’entre eux ont un faible niveau d’études. Et, en période de crise, les travailleurs peu qualifiés sont plus pénalisés. » L’argument fait bondir Solange Fasoli  : « C’est toujours l’excuse. Il y a surtout une réelle incapacité à considérer le handicapé comme un travailleur à part entière », juge-t-elle. Elle stigmatise un manque de volonté des entreprises. Et évoque le cas d’une salariée malentendante, pour laquelle l’employeur s’était engagé à aménager le poste. « Un an après son arrivée, rien n’avait encore été commencé. L’employeur a été condamné aux prud’hommes. »

Marie a fait les frais de cette discrimination larvée. Titulaire de deux bacs + 4 en comptabilité, bilingue en anglais, elle est atteinte d’une maladie auto-immune, qui provoque de violents maux de dos et d’articulations.

Après six mois de chômage, elle postule dans un grand groupe d’audit. Lors de l’entretien, elle spécifie qu’elle ne peut travailler plus de trente-cinq heures. « La RH s’est réjouie de mon statut de travailleur handicapé. J’avais enfin l’impression qu’on comprenait ma situation. »

En période d’essai, elle est convoquée un mois plus tard.
« Une des responsables m’apprend qu’elle met fin à mon contrat parce que je suis trop lente sur deux dossiers. Je me demande toujours si c’était prémédité ou s’ils se sont rendu compte que je ne pouvais pas bosser quarante-deux heures comme tout le monde. En attendant, la boîte avait perçu la première partie des subventions de l’Agefiph (Association pour la gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) pour m’avoir engagée.

Quand j’ai demandé de l’aide, à l’organisme verseur de fonds et l’inspecteur du travail, personne n’a pu faire quoi que ce soit. »

Aujourd’hui, Marie est en période d’essai dans une nouvelle entreprise, mais elle « évite de faire des plans sur la comète ».

Avec ce report d’application de la loi de 2005, les patrons récalcitrants ont jusqu’au 30 juin pour changer leur vision du handicap. « Mais il manque toujours une vraie politique ambitieuse sur le travail des handicapés », déplore Solange Fasoli.

Cécile Rousseau

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