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E-démocratie

Publie le mardi 21 juin 2005 par Open-Publishing

Par Patrick SABATIER
La mésaventure du blogueur putéolien n’a rien de nouveau ni d’exceptionnel
hormis l’outil qu’il a employé pour commettre son prétendu forfait de lèse-majesté. De tout temps et en tous lieux, les potentats ont cherché à museler les enquiquineurs qui osaient proclamer que le roi est nu, au comptoir du bistrot, dans des pamphlets imprimés, sur des tracts tirés à la Roneo, sur les ondes de radios pirates, ou dans les bons vieux journaux.

Inversement, la démocratie britannique n’a pas attendu Internet pour inventer Hyde Park Corner, où tout un chacun peut, juché sur une caisse, haranguer les badauds. La différence, c’est que la blogosphère génère les enquiquineurs en nombres exponentiels. Et que, du haut de leur caisse électronique, ceux-ci s’adressent à la Terre entière. Tout citoyen devient potentiellement Voltaire (même si tous hélas n’en ont pas le talent, ni l’intelligence).

Cette démocratisation quasi sans limites de la liberté d’expression publique déstabilise les entreprises, les écoles, les notables locaux, à Puteaux et ailleurs ­ sans parler des mollahs iraniens ou des commissaires politiques chinois, qui imposent à leurs blogueurs surveillance et censure.

La loi doit certes punir la rumeur malveillante, la diffamation ou la
menace. Le fait qu’un blog soit le fait d’un individu n’exonère pas des
règles communes celui qui prétend jouer au média et informer ses
concitoyens. (Et ne lui confère pas davantage de crédibilité a priori). Mais
il est encore plus important que la loi ne soit pas détournée par ceux qui
veulent restreindre le champ de la liberté d’expression et de critique. Car
les blogs peuvent être un outil puissant au service de la démocratie, et de
l’implication des citoyens dans la vie de la cité.

Internet Dominique Cardon, sociologue, analyse ce nouvel outil de critique
sociale :
« Le blog permet de créer son petit média personnel »
Par Christophe FORCARI

Dominique Cardon, chercheur au laboratoire de sociologie des usages à France
Télécom est l’auteur d’un article sur les « Médias alternatifs et médias
activistes » dans l’ouvrage collectif l’Altermondialisme en France. Genèse et
dynamique d’un mouvement social. Il voit dans le développement des blogs la
manifestation d’une volonté de critiquer et d’analyser la vie publique en
sortant des cadres jugés trop conventionnels que sont les médias.

Le blog traduit-il une volonté de contester le système devant son écran
plutôt que dans la rue ?

Il peut éventuellement servir d’outil de contestation. Il l’autorise, mais
comme il autorise beaucoup d’autres choses. Il répond avant tout à une
dynamique d’autoproduction, c’est-à-dire qu’il permet à des amateurs de
réaliser ce que font habituellement des professionnels. Les Anglo-Saxons
désignent ce phénomène sous le nom de proam, contraction de
« professionnel-amateur ». Il est facilité par la diminution des coûts du
numérique, donc sa plus grande accessibilité. Les blogs s’ajoutent à un
autre phénomène, celui de la coopération sur Internet. En clair, ceux qui
lisent les blogs sont surtout des blogueurs. Le blog reste avant tout un
outil d’expression personnelle centré autour de l’individu et qui sert à
prendre contact avec les autres. A force de se commenter les uns les autres,
les blogueurs finissent par se regrouper par affinités. C’est un outil de
recrutement social.

Pourtant de nombreux blogs ont vu le jour pendant la campagne sur la
Constitution européenne ?

On peut même dire qu’une partie de la campagne s’est jouée dans les blogs.
Ils n’ont pas fait à eux seuls le résultat, mais ils ont traduit les
dynamiques à l’oeuvre dans la société française. Ils les ont d’autant plus
fortement exprimées que leurs auteurs avaient l’impression que leurs
opinions, leurs avis n’apparaissaient pas dans les médias, plutôt orientés
en faveur du oui. Via les e-mails, les blogs et les forums de discussion, il
s’est véritablement passé quelque chose autour du non.

La logique d’autoproduction que vous évoquiez permet-elle de contourner les
médias ?

Les blogs et Internet en général rendent tout à fait possible la création de
son petit média personnel. Chacun peut le faire, mais pas tout le monde. Par
exemple, à propos de la campagne sur la Constitution européenne, si vous
regardez les catégories sociales qui ont voté pour le non, ce sont en fait
généralement celles qui ont le moins facilement accès à ces outils.
L’activité de critique sociale par des groupes de citoyens est, en France,
largement moins répandue qu’elle ne l’est aux Etats-Unis où existent depuis
les années 70 des groupes appelés watchdog (chiens de garde). Là-bas, des
citoyens échangent des informations et exercent une activité de vigilance
critique sur les institutions, les partis, les médias.

Les blogs ne traduisent-ils pas tout simplement la crise de représentativité
des institutions et des médias ?

On ne peut pas considérer qu’un outil technique, comme le blog, peut à lui
seul résoudre une question aussi importante que celle de la représentativité
des politiques ou des médias. Il permet en revanche d’élargir l’espace de la
critique et de permettre à différents acteurs, à des microréseaux de
s’exprimer, de porter justement une critique qui déborde les cadres et les
canons traditionnels de la contestation.

La démocratie participative en marche
Les blogs citoyens se multiplient en France, allant de l’informatif au
contestataire.

Par Frédérique ROUSSEL

On les appelle blogs citoyens. Ils sont dédiés à une ville, un quartier ou
un arrondissement. Parfois à une cause « citoyenne ». Ce type d’expression en
ligne n’est pas nouveau. Mais les blogs, faciles à ouvrir et d’expression
très personnelle, lui ont sans doute donné un nouveau souffle. Autant que la
caisse de résonance jouée par la blogosphère. « On assiste à un développement
incroyable, dit Loïc Le Meur, directeur Europe de Six Apart, un hébergeur de
blogs. L’exemple de MonPuteaux.com a inspiré beaucoup d’autres citoyens qui
ne font d’ailleurs pas forcément dans la contestation. » Est né dans la même
veine MonToulouse.com ­ -« Pour changer la vie, changeons la ville »-, qui
« s’est librement inspiré de son savoir-faire ». On y trouve pêle-mêle un
sondage sur l’installation d’un casino dans l’île du Ramier et des points de
vue sur le référendum du 29 mai.

Plus fréquents sont les blogs collectifs, qui incitent les habitants à
participer. Exemple : Montparsud, consacré au quartier sud de Montparnasse à
Paris (XIVe). On y trouve une kyrielle de photos ­ des pompiers en pleine
action aux travaux rue du Moulin-Vert en passant par l’adresse d’un resto
sympa. Même chose sur le weblog du VIIe arrondissement de Paris, qui liste
tous les rendez-vous du quartier, les associations, les musées et les
organismes. Le Romanais fédère des blogs de Romans-sur-Isère (Drôme) et se
veut un autre exemple de travail d’information collaboratif et local.
« Demain, on verra peut-être sur ces blogs des petites annonces et de la
publicité pour les commerces du coin », avance Philippe Pinault, responsable
d’une plate-forme de blogs française, Blogspirit.

Dans les municipalités « dures », l’expression se veut plus contestataire. Sur
Asnierois.org, à mi-chemin entre le site et le blog, on recense douze
plaintes en citation directe et en référé et 70 droits de réponse envoyés
par la mairie. Le couperet est tombé trois mois après l’ouverture du site.
« Le tribunal de Nanterre se demande s’il ne va pas ouvrir une seconde séance
mensuelle rien que pour Asnières », plaisante Philippe Vasset, un de ses
rédacteurs.

Sur l’île de Ré, Jean-Claude Oudry a ouvert « le Meuil de Ré » exprimant le
« ras-le-bol d’un citoyen ordinaire qui à chaque fois qu’il posait une
question se faisait envoyer sur les roses par les élus ». Pour combler ce
qu’il considère comme un manque de démocratie participative, il est parti en
guerre sollicitant qui veut à apporter de l’eau à son moulin. Argument
massue : « En tant que citoyen, je peux contester la politique qui est faite
en notre nom. » Une libre expression qui ne fuit pas la critique, et qui
s’expose donc à des représailles...

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