Accueil > Entre François Chérèque et Bernard Thibault, des divergences stratégiques (...)

Entre François Chérèque et Bernard Thibault, des divergences stratégiques qui demeurent

Publie le samedi 29 mai 2004 par Open-Publishing

LE MONDE

Quelques jours avant de connaître la décision du syndicat de François Chérèque d’appeler, jeudi 27
mai, à la journée de mobilisation du 5 juin pour la défense de la Sécurité sociale, Bernard
Thibault confiait : "Si la CFDT manifeste, cela signifie que la pression est forte. " Ce commentaire du
secrétaire général de la CGT éclaire la nature des relations entre les deux principales
confédérations françaises : nécessaires, mais conflictuelles.

Les dirigeants syndicaux se réjouissent de défiler ensemble, le 5 juin, et M. Thibault a même jugé
que le ralliement de la centrale cédétiste était "une très bonne chose". Mais aucun ne se risque à
y voir l’amorce d’une unité syndicale : les désaccords restent nombreux, et seul le plan de
réforme de l’assurance-maladie annoncé par le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, a permis
d’afficher cette cohésion de façade.

L’addition des sigles au bas de l’appel à manifester — avec, dans l’ordre d’entrée en scène, la
CGT, la FSU, l’UNSA, le Groupe des dix, la CFTC, FO, puis la CFE-CGC et, enfin, la CFDT — va sans
aucun doute permettre de réunir plus de monde derrière les banderoles ; elle ne traduit pas un
rapprochement sur le fond, comme celui qui s’était esquissé au printemps 2003, au début de la bataille
contre la réforme des retraites. Avant que François Fillon n’engage des discussions avec les
syndicats et le Medef, sept organisations - dont la CFDT - avaient signé une déclaration, en janvier
2003, proposant des axes de mobilisation commune.

La suite est connue : après quelques mois et
plusieurs journées nationales de manifestation, la CFDT et la CFE-CGC décidaient finalement, le 15 mai,
de soutenir le plan Fillon, entraînant la rupture du front syndical et le gel des relations entre
les centrales de M. Chérèque et M. Thibault.
Aujourd’hui encore, les divergences demeurent, malgré une rencontre entre les deux secrétaires
généraux, lundi 17 mai (Le Mondedu 19 mai). "Il faudra plus d’une réunion pour rapprocher les points
de vue", avait expliqué M. Thibault, quand M. Chérèque, tout en se félicitant de la reprise de
contact au plus haut niveau, reconnaissait qu’il était important "d’échanger sur les conceptions
mêmes du syndicalisme".

Car il s’agit bien de cela. Avant toute divergence éventuelle sur tel ou tel mot d’ordre précis,
les deux confédérations se reprochent mutuellement leur stratégie. "La CGT ne franchit pas le pas
et préfère l’immobilisme, qui vaut mieux, selon elle, que tout mouvement qui mécontenterait une
partie de ses troupes", analyse Jean-François Trogrlic, secrétaire national de la CFDT. En clair, la
CGT n’arriverait pas à appliquer sa stratégie réformiste, pourtant affirmée lors de son 47e
congrès confédéral, en mars 2003, et elle resterait figée dans une posture contestataire, prisonnière
d’une base qui l’empêcherait d’évoluer, estime-t-on à la CFDT. "Ce n’est pas une question de volonté
politique, explique encore M. Trogrlic, mais les circonstances, les rapports de forces ne le lui
permettent pas."

"PRENDRE SES RESPONSABILITÉS"

La CGT répond, elle, qu’elle n’entend pas soutenir une réforme par principe et reproche à sa
rivale une vision limitée de ses objectifs syndicaux. "Pour la CFDT, il semble que le champ du possible
soit extrêmement réduit,explique M. Thibault. Ils intègrent le cadre proposé par les pouvoirs
publics et le patronat."De fait, les deux centrales syndicales ne semblent pas partager la même
approche du paritarisme. "La CFDT fait du paritarisme une espèce de modèle, d’outil incontournable,
alors que, pour nous, celui-ci ne fonctionne pas à l’avantage des salariés", explique encore M. 
Thibault.

La CFDT soupçonne la CGT de continuer à privilégier une approche politique sur une démarche
contractuelle. "Le contrat, pour elle, est quelque part inférieur à ce que dit la loi, à l’action
politique elle-même", analyse M. Trogrlic. Il espère néanmoins que l’introduction de l’accord
majoritaire dans le cadre de la réforme du dialogue social fera changer la CGT, l’amenant à "prendre ses
responsabilités"et à signer plus d’accords interprofessionnels.

"Nous revendiquons simplement que l’Etat reste garant de l’intérêt général et soit autant à
l’écoute des salariés que du patronat", justifie le secrétaire général de la CGT. Il reproche à la
centrale de M. Chérèque de ne pas vouloir articuler négociation et mobilisation pour "construire un
rapport de forces" contre le gouvernement. "Pour la CFDT, ce n’est ni avant, ni pendant, ni après",
juge-t-on à la CGT. L’appel de la CFDT à manifester le 5 juin ne suffira sans doute pas à modifier
le jugement de la centrale cégétiste.

http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-366606,0.html