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Equateur : avec la chute de Gutiérrez, Washington perd un allié

Publie le lundi 25 avril 2005 par Open-Publishing

Le président équatorien s’est enfui par la petite porte. Lucio Gutiérrez ne pouvait plus contenir la rue qui lui reprochait, entre autres, son alignement sur Washington.

de Sergio Ferrari

La mobilisation sociale qui a enflammé les rues de Quito, capitale de l’Equateur -un peu plus de 13 millions d’habitants et classé 100e (sur 177 pays) dans l’échelle du développement humain de l’ONU-, a contraint le président Lucio Gutiérrez à démissionner. Son sort est incertain. Les autorités brésiliennes assurent qu’il s’est réfugié dans leur ambassade [1]. Alors que des officiels équatoriens affirment que l’ex-président est détenu dans une garnison proche de Quito. [2]

En tout cas, Gutiérrez s’est échappé avant-hier du palais présidentiel par la petite porte puis en hélicoptère. Le tout dans un climat d’insurrection qui était devenu impossible à contenir. Les présidents argentin et bolivien avaient connu le même sort, respectivement à la fin 2001 et en 2003.

La démission précipitée du colonel devenu politicien n’est pas une surprise. Le 16 janvier 2005, 200.000 personnes avaient manifesté dans la capitale pour rejeter les visées « dictatoriales » du président et exiger une gestion réellement démocratique.

Simultanément, la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur, la puissante CONAIE, avait lancé un processus de manifestations. Avec trois objectifs : empêcher les nouvelles privatisations prévues par le gouvernement, rejeter le Plan Colombie et s’opposer ouvertement à l’adhésion de l’Equateur au Traité de libre commerce (TLC) [3] exigée par les Etats-Unis.

Deux blocs face à face

La crise équatorienne s’inscrit dans les évolutions qui traversent tout le continent latino-américain. Pour la première fois depuis les années 1960, plusieurs gouvernements s’opposent clairement à Washington : Cuba et le Venezuela, bien sûr, mais aussi l’Uruguay, l’Argentine et le Brésil. Tous défendent le droit à un développement continental (par exemple, dans le cadre de l’alliance commerciale du MERCOSUR) et travaillent à une plus grande marge de manoeuvre face aux Etats-Unis.

Washington tente de contre-attaquer en renforçant son propre axe d’alliés inconditionnels. Aux premiers rangs : la Colombie et les pays andins, où l’Equateur de Gutiérrez, occupait une place clé.

L’un des principaux reproches adressés par les mouvements populaires équatoriens au président déchu était sa servilité totale envers Washington. L’ancien colonel ne s’est-il pas défini comme le « meilleur allié » de Bush ? Il y aussi la situation militaire régionale. « Gutiérrez a mis le pays à deux doigts d’une déclaration de guerre totale contre les insurgés colombiens [4] », signalait le commentateur équatorien René Baéz.
Le « plan Patriote » -révélé en juin dernier- est l’offensive la plus ambitieuse contre la guérilla colombienne. Il s’agit d’une opération engageant 17 000 soldats et couvrant une surface de 260 000km au sud de la Colombie, où l’on note une forte présence des FARC. Le but consiste à blinder militairement les frontières de ces pays avec la Colombie. Une seule étincelle peut faire exploser toute la région.

Tout reste ouvert

« Nous exigeons que notre pays suspende les négociations du TLC avec les USA, ferme la base militaire de Manta (cédée par l’Equateur aux forces armées étasuniennes, ndlr) et refuse de s’impliquer dans le Plan Colombie, financé par Washington et dirigé contre la guérilla, sous prétexte de lutte contre le trafic de drogue », a déclaré Luis Macas, dirigeant de la CONAIE, il y a quelques heures.

Derrière la crise équatorienne, on trouve un mouvement social virulent, qui ne supporte plus les ajustements structurels néolibéraux et qui ne veut pas de la transformation du pays en chair à canon d’une guerre régionale. Même si tout reste ouvert, les millions d’Equatoriens écoeurés ont déjà obtenu « que Lucio s’en aille ».

NOTES :

[1] Selon les dernières informations, le Brésil lui aurait accordé l’asile politique. (ndlr)

[2] On lui reproche d’avoir réprimé la manifestation de la nuit de mardi à mercredi. Un photographe a perdu la vie, asphyxié par les gaz lacrymogènes, et de nombreuses personnes ont été blessées.

[3] Les opposants à ce traité relèvent que ses initiales, TLC (« Tratado de libro comercio ») correspondent bien plus au concept de « Total locura capitalista » (folie capitaliste totale)...

[4] Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l’Armée de libération nationale (ELN).

Traduction : H. P. Renk. Collaboration : E-Changer.

http://www.risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1338