Accueil > Faut-il brûler Cesare Battisti ?

Faut-il brûler Cesare Battisti ?

Publie le vendredi 16 avril 2004 par Open-Publishing

C’est une vieille histoire. Si vieille. En publiant cet article sur "l’affaire Battisti", le journal Libération du 10 avril 2004 donne sa réponse implicite à une question que, pourtant, il n’avait guère envie de se poser :

Oui. La société des hommes a besoin d’exorcisme.

Oui. La société des hommes a toujours besoin de sacrifier l¹un de ses enfants pour exorciser ses peurs.

Oui. La société des hommes trouve toujours des princes pour décider de ces sacrifices, des juges pour les entériner, des bourreaux pour les appliquer, et des chroniqueurs pour les justifier.

Car Cesare Battisti, hier encore illustre inconnu pour la plupart des Français et surtout des Italiens, n’est pas le responsable de tous les problèmes de l’Italie de l’après-guerre, ni le commanditaire de tous les attentats des années 1970, ni l’auteur de tous les meurtres, ni le stratège de l’ensemble de la lutte armée à l’époque. Il n’est rien de tout cela, et tout le monde le sait. Pire.

Battisti n’a jamais été chef de quoi que ce soit. En plus, il nie les crimes dont on l’accuse. L’ingrat ! Nous savons que les " magistrats " qui se sont exprimés dans les colonnes de Libé sont parmi les responsables des lois d’exception d’alors, dénoncées par Amnesty International. Nous savons aussi que leur accusation reposait sur le témoignage d’un " repenti ".

Avec le rituel du sacrifice, l’article de Libération consacre cette autre figure surgie du fond des âges. C’est Le Moine de Lewis, revisité par Antonin Artaud. Rappelez-vous Un prêtre, au charisme extraordinaire, beau, intransigeant, bascule un jour dans le pêché. À partir de ce moment, plus aucune morale ne peut freiner sa descente vers les ténèbres. Il devient le parfait négatif de ce qu’il était, aussi excessif dans le péché qu’il l’était dans la vertu.

Et voici que s’avance le cortège lugubre des repentis, entraînant dans son sillage les "moines rouges" d’hier, tête basse, applaudis par la "gauche" italienne d’aujourd’hui, qui demande pardon, et se fouette jusqu’au sang, pour se punir d’avoir rêvé d’un autre monde. Ils ont signé le Pacte. Ils pactisent, et rien ne peut les empêcher de basculer totalement. Arrivés au terme du pèlerinage, certains se jettent dans les bras de Berlusconi. Quand il n’y a plus rien, il reste encore le Diable ! D’autres se tournent vers leurs amis magistrats, les suppliant de mettre le Diable en prison avant qu’il ne soit trop tard. Mais il est déjà trop tard. Ils n’ont plus d’idée, plus de programme. Les Italiens votent pour le Diable. Alors, ils crient , ils hurlent, ils entrent en transe, et demandent n’importe quoi. Donnez-nous la tête de Battisti, tiens ! Ce sacrifice effacera toute culpabilité, toute duplicité, toute trahison. Il doit payer ! Payer pourquoi ? Payer à qui ? On ne sait même pas ce qu’il a fait. On s’en fout, d’ailleurs, puisqu’il ne peut se défendre, ne peut être rejugé. Chargeons-le de tous les maux !

Ce retour à une société primitive, mélange d’Inquisition espagnole et de rituel aztèque, trouve donc des défenseurs, en Italie et en France. On attendrait pourtant, dans ces sociétés où l’État de droit est censé nous protéger d¹un retour à la barbarie, que l’homme politique et le journaliste jouent pleinement leurs rôles. Le premier, en permettant la concorde civile, en arrêtant la spirale de la vengeance. Je te tue. Tu me tues. Je t’enferme. Je t’aveugle. Je te lobotomise. Et je t’humilie ! Le second en se gardant des tentatives de manipulation.

Des dizaines de Battisti vivent aujourd’hui en France, et chacun sait qu’ils ne constituent aucune menace pour la société. Si, peut-être Ils risquent de dire leur vérité sur un monde où tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. Pour cela aussi, il faut les faire taire. Surtout si l’on est un adepte de cette fameuse " fin de l’Histoire ", qui consacre la victoire d’un modèle d’organisation de la société sur tous les autres. Dans celui-ci, la violence de l’État et du marché est la seule qui soit juste. Devant elle doivent s’effacer toutes les révoltes passées, présentes et à venir.

Enfin, si Battisti était un "repenti", c’est-à-dire un lâche et un délateur, on lui foutrait la paix.

Il vous plait, ce monde-là, M. Jozsef (auteur de l’article) ? À moi, il ne me plait pas.

Gérard Alle
Écrivain, journaliste,