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Fred Vargas : LETTRE DE SERGE QUADRUPPANI A ARIANE CHEMIN (Le Monde)

Publie le mardi 25 mai 2004 par Open-Publishing

Ci-après, précisions envoyées à Ariane-fait-son-Chemin, journaliste au Monde :

Madame Chemin,

Absent de Paris pour longtemps, j’ai pris connaissance avec retard de votre
recension du livre de Fred Vargas. Au détour d’une phrase, nous attribuez, à
l’auteur, à Valerio Evangelisti et à moi une idée d’une rare stupidité : la
nouvelle demande d’extradition qui vise Cesare Battisti serait due à "un
complot fasciste de la justice italienne".

Fred Vargas a choisi de ne pas répondre à une affirmation qui insulte ses
qualités d’historienne. J’avais écrit une lettre de réponse où je vous
exposais nos véritables positions, à Valerio et moi. Cela me conduisait à
vous expliquer qu’il n’est nul besoin de nous attribuer une théorie du
complot totalement étrangère à nos conceptions politiques pour comprendre
qu’il y a derrière l’acharnement de certains contre Battisti un déni de
mémoire.

Ce déni, si bien expliqué par Nanni Ballestrini et Antonio Negri
dans une récente tribune de Libération, ce déni, donc, est l’oeuvre
d’importants faiseurs d’opinion mais aussi, et c’est le principal verrou de
bloquage dans l’affaire, d’une bonne part de la gauche institutionnelle
italienne et de ses héros magistrats. Mais me voilà reparti à vouloir
m’expliquer, et comme m’a dit Valerio à propos de ma tentative de réponse,
c’est un marteau pilon pour écraser une mouche et ça ne servirait qu’à
élargir la mouche. (La mouche, ce n’est pas vous, évidemment, mais la petite
trace que vous laissez autour de nos noms).

Je voudrais seulement relever
que vous seriez bien en peine de citer un seul propos de nous qui
contiendrait l’ânerie que vous nous prêtez. Comme vous n’avez pas pris la
peine de nous consulter là-dessus (or nous sommes l’un et l’autre joignables
par mail et nos mails sont présents sur toutes les listes de discussion
concernant l’affaire Battisti), je suis bien obligé de penser que vous êtes
allée chercher vos informations nous concernant dans les échos déformés de
débats internes au milieu des réfugiés italiens et des soutiens de Battisti
dont vous invoquez in fine leur désapprobation à notre égard - et là, je
suis assez impressionné par votre capacité à saisir l’opinion dominante d’un
milieu sur lequel les données statistitiques et les études qualitatives
manquent tout de même sérieusement.

Cette tendance (certainement
involontaire) à provoquer des débats biaisés, attiser des désaccords et des
malentendus, je l’ai déjà vue à l’oeuvre, me concernant, dans une autre
affaire, où mon gagne-pain, et, c’est plus grave, mon honneur, ont été
gravemment compromis - en particulier, directement, par vous(1).
Je vous serais reconnaissant de mieux vérifier vos sources - et si possible
de me demander mon opinion - la prochaine fois que vous jugerez
indispensable de parler de moi. Et même comme, à chaque fois que vous le
faites, apparemment, pour des raisons qui m’échappent, vous falsifiez
(involontairement, j’en suis sûr) profondément ce que je dis, le mieux,
évidemement, serait que vous m’oubliiez.
Je vous souhaite tout le bien possible.

Serge Quadruppani

(1)Pourquoi, à l’époque, est-ce que je ne n’ai pas attaqué mes diffamateurs
devant les tribunaux ? Je vous renvoie, pour comprendre ce mystère, à
l’excellent ouvrage de Persichetti et Scalzone sur la dérive justicialiste
de la politique.