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Fuego amigo (Bien le bonjour du Mexique)

Publie le jeudi 18 août 2005 par Open-Publishing

de George Lapierre

Les zapatistes ont senti venir le danger avec Andrés Manuel López Obrador,
alias señor AMLO. Ils ont senti les cornes du taureau, et nous devons leur
reconnaître une intelligence de la guerre peu commune. Si AMLO gagne les
élections, et il a de fortes chances de les gagner s’il a le soutien des
Etats-Unis, il mettra tout en œuvre pour en finir avec les zapatistes. Il
pourra d’autant mieux arriver à ses fins qu’il se présentera comme un
"démocrate sincère" et "homme de gauche", proche des gens.

Les Etats-Unis
le savent et le fait qu’il se soit entouré de transfuges du PRI, anciens
compagnons d’armes de Salinas de Gortari, confirme les excellentes
intentions, aux yeux de l’empire du Nord, du señor AMLO. Il fallait donc
en toute hâte élever un pare-feu, c’est "l’autre campagne" lancée par les
zapatistes, qui n’est pas une campagne électorale, mais un appel à la
mobilisation des forces de gauche : attention, le PRD est en train de nous
trahir, du moins ceux qui composent la coupole du parti et qui sont aux
commandes.

Certes, ce n’est pas dit d’une façon aussi brutale car il faut
ménager le militant de base de ce parti, qui a souvent risqué sa vie pour
le PRD, comme dans le Guerrero où il y a eu des centaines d’assassinats de
militants, qui a toujours soutenu les zapatistes et qui ne saisit pas ce
qui se passe ; il s’agit donc d’amener ce militant à prendre conscience de
l’énorme fracture qui existe désormais entre le parti et sa base sociale,
c’est le but de "l’autre campagne". Disons pour les Français que Lopez
Obrador est le François Mitterrand du Mexique, qui va se prévaloir des
idéaux de la gauche pour faire avaler la pilule du néolibéralisme.

Le feu est dans la maison

L’EZLN avait perçu le danger depuis quelque temps, non seulement quand
elle s’est rendu compte qu’AMLO allait avoir le soutien des Etats-Unis, et
nous pouvons supposer à quelles conditions, mais dès avril 2001, quand le
PRD a rejoint les partis de droite, le PAN et le PRI, pour falsifier les
accords de San Andrés sur l’autonomie indienne. Cela signifiait que les
bureaucrates du PRD, "los bribones y sinvergüenzas", ne voulaient pas que
l’EZLN retournât à la vie politique et qu’ils entendaient garder ainsi la
haute main sur la gauche mexicaine. Marcos a fort bien révélé ces
manœuvres secrètes du PRD dans une de ses "stèles", écrites à la suite de
la Marche de la couleur de la terre.

L’EZLN était devenue l’ennemi à
abattre des bureaucrates de gauche. Ce premier indice a été confirmé
ensuite par l’attitude des gens de ce parti au Chiapas envers les
zapatistes. A Zinacantán, par exemple, la mairie aux mains du PRD a coupé
l’eau aux zapatistes parce que ceux-ci refusaient de faire partie du
conseil municipal. Cet événement me paraît assez révélateur de ce qui
risque de se passer avec el señor AMLO à la tête de l’Etat : ou vous jouez
le jeu du pouvoir et nous vous faisons une petite place, ou vous
disparaissez. L’équipe municipale et les militants de base n’ont pas
hésité à tirer sur les zapatistes lors d’une manifestation pacifique. Un
peu partout, quand ils avaient une parcelle de pouvoir, les militants du
PRD ont cherché noise aux zapatistes.

A Las Margaritas, ce furent les
militants d’une organisation paysanne perrediste [du PRD], la CIOAC, qui,
avec l’appui de la municipalité, ont séquestré des compagnons zapatistes
pour une vague histoire de dette et de camion ; à Ocosingo et Altamirano,
ce furent les militants d’une autre organisation paysanne du PRD, l’ORCAO,
qui s’en sont pris aux bases d’appui zapatistes pour une question de
privatisation de la terre à laquelle s’opposaient les zapatistes.

En 2006, avec l’élection présidentielle, se joue l’avenir de l’EZLN. Les
gens du PRI et du PAN n’ont ni l’envergure "morale" ni le soutien
populaire qui leur permettraient d’en finir avec le mouvement zapatiste,
López Obrador, oui, qui a su se construire une image d’homme politique
sérieux et presque honnête, réformiste, certes, ayant l’appui d’hommes
d’affaires qui ne semblent pas trop compromis avec les cartels de la
drogue, mais, tout de même, homme de gauche, qui a aidé les vieux (plus de
70 ans) de la capitale.

La bêtise des hommes politiques de droite,
cherchant à le mettre hors jeu en lui intentant un mauvais procès, a fait
le reste, il a désormais un soutien populaire indéfectible. La situation
est critique et extrêmement préoccupante pour l’EZLN. Au risque de ne pas
être comprise et de créer un trouble dans les esprits de "gauche", trouble
qui pourrait se retourner contre elle, l’Armée zapatiste de libération
nationale se devait de prendre cette initiative d’une "autre campagne"
afin de tenter de contrebalancer l’effet AMLO. Si la constitution d’une
force de gauche s’appuyant sur les organisations sociales, les
organisations indiennes, les partis d’extrême gauche, ne parvient pas à
empêcher l’élection de López Obrador, du moins évitera-t-elle le
démantèlement "annoncé" de l’EZLN. Nous pouvons espérer qu’AMLO, face à ce
mouvement de gauche en alerte et vigilant, hésitera à deux fois avant de
prendre des mesures définitives.

Oaxaca, le 12 août 2005