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Gaza : et maintenant l’épisode « ouverture des négociations »

par Pierre Morville

Publie le vendredi 8 août 2014 par Pierre Morville - Open-Publishing

On ne sait pas si jamais elles aboutiront, mais les négociations qui s’ouvrent seront longues, difficiles et à rebonds.

Vendredi dernier, Barack Obama exigeait « une libération rapide et sans délai » d’un soldat israélien capturé à Gaza. Mis en cause, le Hamas : « nous avons condamné sans équivoque le Hamas et les factions palestiniennes qui sont responsables de la mort de deux soldats israéliens et de l’enlèvement d’un troisième quelques minutes seulement après l’annonce d’un cessez-le-feu. « S’ils sont sérieux dans leur volonté d’essayer de trouver une solution à cette situation, ce soldat doit être libéré sans condition, dès que possible », a affirmé le président américain, estimant qu’il n’était « pas particulièrement important » de savoir si le Hamas ou une autre faction était responsable de cet enlèvement ».

Rappelons que le « cessez-le-feu » de 72 heures avait été décidé unilatéralement par Israël et que l’enlèvement du lieutenant Hadar Goldin entraîna immédiatement des bombardements causant la mort de centaines de civils palestiniens, malgré les protestations du Hamas qui démentait tout « enlèvement ».

Le fait fut corroboré quelques jours plus tard par l’armée israélienne qui reconnut que la lieutenant était « mort au combat » et non pas « kidnappé ». Il faut néanmoins retenir deux leçons de cette affaire qui fit la « une » de tous les journaux internationaux. Tout d’abord, quand un soldat israélien tombe dans les mains du Hamas, ce n’est pas, comme ailleurs dans n’importe quel conflit armé, un « prisonnier de guerre », c’est un « kidnappé ». Il est vrai que quand un combattant du Hamas tombe dans les mains de l’armée israélienne, ce n’est pas non plus un prisonnier de guerre, c’est un terroriste qui part, au mieux, pour de nombreuses années dans une geôle.

L’autre constat est que par cette déclaration imprudente et solennelle concernant le soldat Hadar Goldin, Barack Obama avait réaffirmé une fois de plus sa solidarité avec l’armée israélienne et couvert ses actes de guerre contre la population palestinienne de Gaza.

OUVERTURE D’UNE TRES FRAGILE NEGOCIATION

Depuis, les bombardements ont continué. On dénombre à ce jour, plus de 1800 morts et une dizaine de milliers de blessés palestiniens, dont l’immense majorité sont des civils. Et il ne s’agit que des corps retrouvés. La ville est en effet est en ruine. Selon l’ONU, 270 000 personnes sont réfugiés dans des bâtiments internationaux (régulièrement bombardés) et 200 000 autres personnes sont déplacées du fait de la perte ou des menaces sur leur maison. Gaza, la plus forte densité urbaine du monde, compte 1,8 millions d’habitants. 43,4% des gazaouis ont moins de 14 ans et 40% des adultes sont au chômage.

La poursuite des bombardements aveugles ou volontaires de populations civiles a finit par émouvoir les puissances occidentales. Laurent Fabius et François Hollande ont évoqué le mot de « massacre », tentant de corriger ainsi les déclarations malvenues et maladroites de soutien à Israël au début du conflit. En Angleterre, Sayeeda Warsi, première femme musulmane secrétaire d’État au Royaume-Uni, a démissionné en disant ne plus pouvoir « soutenir la politique du gouvernement sur Gaza » qu’elle a qualifiée de « moralement indéfendable ». Aux Etats-Unis même, le gouvernement ne cache plus son inquiétude devant la dégradation de la situation et dans les coulisses, John Kerry, le secrétaire d’état américain chargé du dossier ne masque pas son agacement devant l’intransigeance israélienne. Il est vrai qu’il a découvert que son téléphone avait été écouté par les services israéliens…

Les pressions occidentales auxquelles il faut rajouter les prises de position de la Chine et de la Russie et de l’ONU, ont donc entrainé lundi une nouvelle trêve de 72 heures renouvelables, conclue sous la médiation égyptienne et accepté par Israël et le Hamas. Des négociations devraient s’ouvrir au Caire entre les parties. Les États-Unis ont indiqué qu’ils participeraient « probablement » aux négociations entre Israéliens et Palestiniens. « Nous déterminons à quel niveau, à quel titre et à quel moment », a déclaré la porte-parole du département d’État, Jennifer Psaki. La porte-parole a assuré que les « efforts » et « l’implication » des États-Unis depuis le début ont été bien accueillis par les parties israélienne et palestinienne. Un propos quelque peu optimiste quand l’on sait le traditionnel et constant engagement américain en faveur du gouvernement israélien. L’Europe du fait de ses hésitations, ne pèsera pas ou peu dans les éventuelles discussions qui vont s’ouvrir, pas plus que la Russie ou la Chine. Reste l’ONU…

Autre difficulté, la position du médiateur égyptien. Le général Al-Sissi a joué un rôle déterminant dans la pause actuelle du conflit à Gaza, après un mois de guerre. Mais le nouveau chef de l’Egypte n’a jamais caché sa méfiance voire sa forte opposition au Hamas. Le Caire a souvent accusé la formation palestinienne d’aider les frères musulmans égyptiens a fomenter des « attaques terroristes » en Egypte.

La négociation débute donc sur un certain déséquilibre dans l’instance de médiation.

Israël a certes, retiré ponctuellement ses troupes de la bande de 2/3 km que son armée occupait dans Gaza. Celle-ci a cessé pour l’instant ses bombardements aériens mais elle reste « l’arme au pied », prête à intervenir à tout moment. Le retrait des troupes israéliennes de Gaza ne signifie pas pour autant la fin de l’opération « Bordure protectrice ». L’Etat hébreu a prévenu : il n’hésitera pas à bombarder en cas de nouvelle attaque.

Le gouvernement israélien reste apparemment divisé entre les jusqu’auboutistes qui souhaite éradiquer physiquement le Hamas et ceux qui attendent de la négociation un renforcement de la position d’Israël dans la zone.

LA FIN DU BLOCUS ?

La principale demande des négociateurs israéliens est simple : Tel Aviv souhaite une démilitarisation complète de la Bande de Gaza, avec la possibilité exprimée par l’enragé Avidgor Lieberman, le ministre des affaires étrangères israélien, d’un placement de la Bande de Gaza sous mandat international de l’ONU. Ce serait donc les Casques bleus qui démilitariseraient le Hamas ? Hypothèse compliquée... D’autant que l’armement est le seul argument tangible dont dispose la formation qui, selon la presse internationale, bénéficie dorénavant d’un soutien accrue de la population de Gaza.

Quant aux revendications palestinienne, elles tiennent en un terme tout aussi simple mais avec de multiples conséquences : la fin du blocus qui fait de Gaza une grande prison affamée et depuis le conflit, menacée d’une catastrophe humanitaire. Comme le note le site Mediapart, les demandes sont nombreuses :

 une limitation draconienne des entrées et sorties de Gaza avec de longues périodes de frontière hermétique en dehors des urgences médicales vitales. L’Egypte a également imposé de son coté une fermeture de points de passage sur Gaza.

 sur les 6 000 produits considérés comme d’importance vitale par l’ONU, Israël ne tolère l’entrée dans la bande de Gaza que de 30 à 40 d’entre eux, sachant que 90% de la population dépend de l’aide alimentaire de l’ONU.

 les exportations agricoles et industrielles sont interdites à quelques rares exceptions.

 les importations sont aussi extrêmement limitées, si bien que les bâtiments détruits par les bombardements israéliens ne peuvent pas à l’heure actuelle, être reconstruits.

 le blocus maritime, qui s’ajoute au blocus terrestre, se resserre comme un étau : 20 miles nautiques en 1995, 12 en 2002, 6 en 2006, 3 en 2009 et 2 milles (moins de 4000 mètres) aujourd’hui. Ce rend impossible toute pêche industrielle et prive la population d’une ressource précieuse.

 la fourniture d’électricité par Israël est vitale pour les habitants de Gaza. Déjà détruite par Israël en 2006, la seule centrale électrique de Gaza a de nouveau été bombardée et mise hors d’état de fonctionner le 29 juillet dernier. Contrôlant ainsi l’accès de Gaza à l’électricité, Israël interrompt (tout comme l’Egypte) de façon unilatérale cet approvisionnement avec tous les risques humanitaires que cela suppose pour les malades dans les différents hôpitaux et les contraintes pour tous les autres habitants.

ET LA CISJORDANIE ?

Notons enfin que les zones tampons imposées par Israël occupent une part significative de la bande de Gaza (près de 14% du territoire et 44% des zones cultivables).

Dernière revendication palestinienne : des libérations de prisonniers détenus en Israël, notamment le groupe d’une vingtaine de condamnés à de lourdes peines, que l’Etat hébreu s’était engagé à relâcher au printemps dernier et qui se trouvent toujours derrière les barreaux.

La négociation qui s’ouvre va donc être difficile et fragile. Elle peut être interrompue ponctuellement ou durablement par n’importe quelle provocation sur le terrain, provenant d’une partie ou d’une autre.

La première inconnue réside dans les intentions d’Israël. Le bilan militaire de l’opération « Bordure protectrice » est mitigé. La destruction de quelques tunnels a pour l’état hébreu, une lourde contrepartie diplomatique, avec une nette dégradation de l’image d’Israël dans la communauté internationale. Contrairement aux autres opérations militaires, la dernière offensive israélienne sur Gaza n’a pas eu également les succès escomptés au regard des pertes enregistrées et du coût financier de l’opération. La supériorité militaire israélienne n’interdira pas non plus le Hamas de se réarmer rapidement. Le groupe islamiste qui avait perdu de l’audience et avait été contraint de négocier avec le Fatah et l’Autorité palestinienne a retrouvé un crédit international et dans la population de Gaza.

Une réelle levée du blocus parait peu imaginable avec le gouvernement israélien actuel qui masque ses impasses stratégiques (et une mauvaise situation de l’économie israélienne) dans des discours ultranationalistes.

La négociation devra nécessairement aborder également la situation des territoires occupés en Cisjordanie. Les questions de la colonisation sans fin des territoires, la reconnaissance internationale de l’état palestinien ne peuvent pas être occultées de la table des discussions.

L’Autorité palestinienne participe d’ailleurs à la négociation, tout comme la formation « Djihad islamique ». Existera-t-il, sur Gaza, la Cisjordanie et bien d’autres problèmes, des positions unifiées dans la délégation palestinienne ?

Hors l’Egypte, le monde arabe, troublé par de nombreux conflits intérieurs (Syrie, Irak, Libye…), pèsera peu dans la négociation à venir. Mais cela n’est peut-être pas un handicap…

Enfin, il est notoire que l’état hébreu ne se sent ni concerné par les résolutions de l’ONU, pas même engagé par les accords qu’il a signé, comme les accords d’Oslo en septembre 1993 : Dans une entrevue de 2001, ne sachant pas que les caméras tournaient, Netanyahou s’est vanté d’avoir fait échouer les accords d’Oslo au moyen de fausses représentations et d’ambiguïtés. À cette époque, il déclarait :« J’interpréterai les accords de telle manière qu’il sera possible de mettre fin à cet emballement pour les lignes d’armistice de 67. Comment nous l’avons fait ? Personne n’avait défini précisément ce qu’étaient les zones militaires. Les zones militaires, j’ai dit, sont des zones de sécurité ; ainsi, pour ma part, la vallée du Jourdain est une zone militaire » (Wikipedia).