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Grasso : "Ne présentez pas de candidats sous enquête"

Publie le vendredi 3 février 2006 par Open-Publishing

L’appel aux partis du procureur national Antimafia au meeting de Refondation à Palerme. "Il y a un risque d’infiltration directe de la mafia dans la politique". Dans la salle, les jeunes de Corleone avec les produits, les pâtes et le vin, fruit de la gestion des terres confisquées aux mafiosi

de Gemma Contin, Palerme traduit de l’italien par karl&rosa

"Mafia et politique" ou "mafia est politique" ? Une question ni stupide ni inutile, au centre du débat d’hier dans le cadre du meeting sur "Institutions, société civile, pouvoirs criminels" organisé à Palerme par Refondation communiste. Et ce n’est pas un jeu de mots, étant donné le poids et le conditionnement de tels pouvoirs sur l’ordre institutionnel de notre pays en ce moment et leur interférence envahissante dans tous les ganglions vitaux de la cohabitation civile et de la vie économique et démocratique, en Sicile et sur le territoire national tout entier.

Que peut et que doit alors faire la politique, au sens de forces politiques et sociales alternatives, dans la lutte contre la criminalité mafieuse ? C’est de là que repartent, avec une relation très dense et complexe de Francesco Forgione, les travaux d’une confrontation serrée et d’un très haut niveau, sans la moindre bavure ou chute de tension pendant les deux jours de son déroulement, avec la participation de personnalités telles que la candidate de l’Union à la présidence de la Région Sicile, Rita Borsellino, le chef des procureurs de la Direction des Investigations contre la Mafia (DIA) Pietro Grasso, le procureur Antonino Ingroia, la juge Franca Imbergamo,l’ancien Commissaire contre le racket Tano Grasso et Giovanni Impastato, frère de Peppino et fils de Felicia, qui dans une intervention très émouvante et la voix tremblante a entraîné et ému tout le parterre des 299 petits fauteuils rouges, le long des murs et dans les couloirs devant le salon des meetings du San Paolo Palace, un hôtel confisqué à des entrepreneurs mafieux au cœur du quartier Brancaccio, où vécut et mourut l’abbé Pino Puglisi.

Au cours de cette deuxième journée de débat, après l’échange de vendredi dernier sur le rôle de l’information, hier une réflexion collective sur les "analyses et les propositions du PRC pour un programme contre la mafia" a été proposée. Entre temps, devant le palais de justice de Palerme se déroulait la manifestations des procureurs et des juges démocratiques à l’ouverture de l’année judiciaire contre les procédures et les limitations du nouveau cérémonial imposé par le ministre de la Justice Castelli qui, entre autre, au milieu de discours formels et de processions de robes bordées d’hermine, a annulé l’intervention de l’association nationale des magistrats, permise depuis toujours au syndicat pour faire entendre non seulement la voix des hiérarchies mais aussi celle de ceux qui oeuvrent sur le terrain.

Dans la salle il y a aussi, au premier rang, la veuve et la fille du journaliste Beppe Alfano, nombre de jeunes magistrats, l’ancien maire du "printemps" de Palerme Leoluca Orlando, le député des DS Beppe Lumia et tant d’hommes et de femmes qui ont fait de la lutte à la mafia leur raison de vivre, d’étudier, de travailler, de s’engager. Dans un coin de la salle, les jeunes de Corleone ont préparé un petit banc et vendent les produits, des pâtes et du vin, fruit de la gestion des terres et des biens confisqués aux mafiosi et assignés aux coopératives qui adhèrent à l’association Libera de l’abbé Luigi Ciotti.

Après le discours de Forgione, dont nous tenterons un impossible résumé, et nombre de relations, certaines ponctuelles sur le poids des affaires et des revenus de la mafia dans l’économie globalisée (entre 5 et 10 points du PIB mondial) ou sur les marchés publics et les "grandes affaires" provenant des "grands ouvrages" (cycle des expropriations, du ciment et de l’acier lié au Pont sur le Détroit), d’autres fortement émouvantes comme ce cri des jeunes de Locri "et maintenant, tuez-nous tous" rappelé par le responsable des Jeunes communistes Michele De Palma, les gens dans la salle ont eu le souffle coupé par les deux interventions centrales de la matinée, faites par Pietro Grasso et Rita Borsellino, et dans l’après-midi par celle du procureur Antonino Ingroia qui, en faisant l’analyse d’un processus "voulu et scientifiquement conduit" de dégénération et d’éloignement progressif de l’idée de justice du concept de légalité, en est arrivé à parler de "justice de classe", en citant les lois ad personam et les loi contra personam (celle qui a exclu Giancarlo Caselli du Parquet Antimafia) approuvées par le gouvernement Berlusconi en alourdissant les peines pour les pauvres malheureux et en effaçant les délits pour les puissants.

Les points essentiels de l’intervention, longue et très applaudie, du chef de la DIA Pietro Grasso sont au nombre de trois : primo, une reconnaissance officielle adressée à la gauche, la seule force politique qui s’est toujours opposée avec cohérence à la mafia ; secundo, les magistrats continueront leur lutte pour une justice juste, certaine, égale pour tout le monde ; tertio, la lutte contre la mafia on ne peut pas la faire seulement a posteriori avec les appareils répressifs de la magistrature et des forces de l’ordre, mais elle doit être faite par une action préventive sur le territoire et dans la société dont la politique doit se charger.

Des concepts qui coïncident et sont contenus dans la relation de Forgione qui, comme tout le monde le sait, a passé toutes les années de ses deux mandats de député régional à lutter contre Cosa Nostra et contre l’écheveau d’intrications de pouvoir qui se sont agglutinés et nichés progressivement au fond de la vie publique et de la politique régionale.

Une relation qui a eu le mérite de hausser le ton et de viser plus haut dans la discussion comme on ne l’entendait plus depuis longtemps - si bien que Refondation communiste peut se porter vraiment candidate à reprendre le témoin de tant de luttes glorieuses trop souvent refoulées - bien au dessus de récents ou lointains "professionnalismes contre la mafia", en le centrant sur les questions concernant le développement concret d’une politique alternative et la possibilité, en Sicile aussi, d’amorcer, après le "printemps" une nouvelle saison de participation populaire et de changement venant d’en bas.

Il est impossible de résumer ici tout ce qui a été dit et qui a eu la rigueur et l’importance de mettre à feu des aspects spécifiques ou globaux de la lutte contre la mafia ou de l’analyse du phénomène mafieux comme ceux qu’ a développés le professeur Ciconte ou Giovanni Russo Spena, ou les interventions développées par des syndicalistes, des économistes, des représentants des administrations locales méridionales, des femmes et des hommes.

Les reprendront point par point, dans un effort de synthèse et de nouvelle proposition finale, les conclusions de Fausto Bertinotti qui, en reconnaissant "le haut niveau d’élaboration et d’engagement qui se dégage de ces deux journés de colloque", a dit qu’il représente "le début d’un nouveau parcours pour ramener les termes de la lutte contre la mafia et de la question méridionale dans un cadre stratégique national de changement".

On veut, a-t-il dit, "un Sud indéchiffrable, s’accompagnant de déséquilibres, décomposé en zones de richesse à drainer et en poches de sous-développement, avec une mafia mise entre parenthèses comme si elle n’était qu’un phénomène criminel".

On doit opposer à cela : primo, un point de rupture par rapport aux interprétations selon lesquelles la mafia est un phénomène résiduel d’une pathologie du sous-développement, alors qu’elle est un élément propulsif et dynamique du nouveau modèle de développement imposé et mis en œuvre par le capitalisme global, dans son point de suture entre dépression locale et exploitation planétaire. Secundo, il faut une nouvelle analyse critique ne remettant plus la mafia dans un rapport symbiotique avec la politique et l’économie mais à l’intérieur d’une identification organique, substitutive, dans la politique et l’économie, l’une et l’autre transformées en activités se pliant aux logiques et aux intérêts privés d’accumulation du capital criminel et de son recyclage dans les circuits des grands réseaux financiers, à travers les multinationales, dans les paradis fiscaux. Tertio, travailler pour la défaite du phénomène mafieux et lutter en même temps contre le retard du Sud en reconduisant l’un et l’autre à l’intérieur de l’élaboration prioritaire perdue depuis des années par la gauche et par la politique, en faisant un "double pas" : d’en haut, en réformant les institutions de l’intérieur et d’en bas, dans la société, non seulement en détruisant un bouillon de culture où la mafia et le retard ont pu prospérer en osmose, mais en relançant aussi le développement local centré sur lui-même en tant que moment apte à mettre fin à une telle osmose, un moment de croissance citoyenne, de cohésion sociale, d’interprétation alternative de la politique en partant de soi et de sa propre histoire.

Il ne s’agit pas d’une recette abstraite, velléitaire, d’éloignement rêveur. C’est ce que sont déjà en train de faire les jeunes de Libera et les associations du circuit créé par l’abbé Ciotti et Rita Borsellino. Cela ne suffira pas pour battre le capitalisme mafieux et la justice de classe, a dit Bertinotti : "Il faut aussi battre Berlusconi". Cela ne suffit pas, mais c’est un bon début.

http://www.liberazione.it/giornale/060129/default.asp