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Interview de Fausto Bertinotti : "L’Alliance n’a pas d’alternative"

Publie le dimanche 16 janvier 2005 par Open-Publishing


Monsieur Bertinotti, au Congrès de Refondation Communiste, quatre motions
alternatives à la vôtre ont été présentées, toutes contraires à l’adhésion de
votre parti à l’Alliance et à l’entrée dans un éventuel gouvernement de centre-gauche.
La chose ne vous inquiète-t-elle pas ?


"D’abord, le point central du congrès n’est pas la question du gouvernement.
Avec ce rendez-vous s’accomplit le virage réalisé par le choix du positionnement dans les mouvements. Le point fondamental est la refondation d’une pensée et d’une pratique communes. Nous recherchons depuis longtemps une sortie à gauche de la crise du mouvement ouvrier, qui porte aujourd’hui - et ce n’est pas un hasard - à l’accumulation d’éléments d’innovation qui vont de la rupture avec le stalinisme jusqu’au choix de la non-violence".

Mais dans les discussions internes au parti l’adhésion à l’Alliance a fini par prendre le dessus.

"La crise profonde que la politique vit en Europe, la véritable crise de civilisation qu’a produite cette révolution capitaliste, se traduit en Italie par la présence du gouvernement Berlusconi. Sur ce terrain, la question est : comment faire pour chasser Berlusconi ? Si on ne trouve pas de réponse à cette question, une force de gauche peut bien prendre sa retraite, parce qu’elle n’intercepte pas la question fondamentale qui vient des peuples de la gauche".

Et quelle serait la réponse ?

"Construire une alternative de gouvernement, évidemment".

Le président des sénateurs Prc, Luigi Malabarba, premier signataire de la motion numéro 4, soutient que de toute façon ce ne serait pas un gouvernement d’alternative, et que Refondation communiste ne devrait donc pas en faire partie.

"La construction de l’Alliance démocratique ne peut pas être évitée si on ne veut pas ouvrir une crise de fond avec la demande qui vient de tout le peuple de la gauche. Les objections me semblent le fruit d’une résistance qui ne propose aucune alternative politique, sinon celle qui dit qu’on ne peut pas aller au gouvernement dans cette phase du développement capitaliste".

Dans votre parti il y en a qui proposent de ne pas conclure avec le centre-gauche une alliance programmatique et de gouvernement mais plutôt un pacte politico électoral soutenu ensuite de l’extérieur par le Prc.

"Et quel en serait le résultat ? Celui de battre Berlusconi et puis de ne pas déterminer les conditions pour qu’il y ait une majorité dans le pays pour gouverner ? La plus grande ambition de cette position serait de faire en sorte que Refondation communiste soit non influente et non déterminante dans la construction de l’alternative, ce pourquoi on pourrait s’en passer. Heureusement, nous sommes, au contraire, déterminants, comme le disent les chiffres ".

C’est un discours concernant les votes, donc les élections, pas forcément le gouvernement.

"Quelle que soit le positionnement que Refondation communiste choisisse par rapport au gouvernement, si l’on décide de contribuer à l’alternative à Berlusconi, il faut que l’on sache que ses votes sont déterminants. Or, qu’ils soient déterminants dans le gouvernement ou hors du gouvernement est négligeable pour tout citoyen. Nous, nous disons qu’il n’y a qu’une chose qui n’existe pas : le désistement. Aujourd’hui il est impraticable et il faut donc travailler pour construire un programme commun".

En l’état actuel, compte tenu également des propositions avancées par Rutelli ces derniers jours, voyez-vous des marges pour la réalisation d’un programme partagé ?

"Le programme partagé, comme le disait un grand révolutionnaire, n’est pas un dîner de gala, c’est une lutte politique et sociale, c’est un processus politique où il y a le consensus et le conflit. Ce qui est déjà sûr, dés à présent, c’est que pour le construire il faut battre des propensions néo centristes qui existent dans la coalition".

Elles vous préoccupent ?

"Ce qui me préoccupe, ce sont ceux qui croient que l’on peut combattre la précarité, qui devra être un objectif du gouvernement de coalition démocratique, sans abolir la loi 30, la loi Bossi-Fini et la loi Moratti".

Selon Malabarba, quand on entrera dans le vif de la discussion programmatique, la distance qui vous sépare du centre gauche se fera jour et vous serez obligé de vous détourner de l’accord de gouvernement vers le pacte politico-électoral.

"Nous sommes en train de faire un congrès dans lequel ce passage est limpide. Dans le document de la majorité, nous proposons que se construisent l’Alliance démocratique en alternative à Berlusconi et le programme partagé, Refondation Communiste doit faire part à plein titre de la formation du gouvernement. Ce sont les deux passages prévus".

Pensez-vous réussir à conduire jusqu’au bout le parti dans ce processus même si vous n’obtenez pas un large consensus au congrès ?

"Je voudrais qu’il soit clair que le congrès décide avec 51%. Il en a le pouvoir, autrement on enlève légitimité et valeur au vote des inscrits au parti. Garantir que la majorité fera vivre sa ligne est un élément de responsabilité nécessaire pour donner dignité au vote de chaque inscrit".

Au dernier comité politique national la ligne de la majorité a obtenu environ 56% des consensus. Est-il possible que vous cherchiez un accord avec les parties de la minorité les moins éloignées pour essayer de mener à bien le processus ?

"Moi, je ne suis pas un secrétaire de synthèse. La catégorie de la synthèse est une catégorie qui ne m’appartient pas. Un parti, comme tout organisme démocratique, c’est mieux s’il réussit à être le plus unitaire et convergent possible dans un choix. Mais dans tous les cas, vaut la démocratie : on choisit et on pratique nettement des choix et l’on s’expose à la vérification du congrès qui dira si la ligne construite a le consensus ou ne l’a pas. Mais si elle dépasse les 50 % cela veut dire qu’elle l’a, le consensus, point, on gouverne le parti et on mène à bien cette ligne".

La construction de l’Alliance ne risque-t-elle pas de retarder la création d’un rassemblement de gauche alternative, dont vous dites qu’il est votre objectif ?

"Pas du tout, les deux choses sont même liées parce que le point est toujours la construction d’un programme d’alternative. Et pour déplacer à gauche l’axe programmatique de cette coalition, pour le déplacer dans la direction de la transformation, il faut une subjectivité politique qui ait la force nécessaire pour accomplir cette opération. Et Refondation Communiste pense pouvoir le faire avec d’autres, étant donné que ces dernières années, des forces politiques, sociales, culturelles, de mouvement et d’association se sont développées en configurant une capacité significative de convergence sur des objectifs et sur des programmes, allant même au-delà des positions du parti".

Les difficultés rencontrées par Prodi depuis son retour en Italie vous préoccupent-elles compte tenu que vous avez construit votre opération sur une Alliance conduite par lui ?

"Il s’agit d’un processus de construction d’une coalition et dans ce processus il y a naturellement le rôle reconnu de Prodi, à moins qu’il y ait des primaires."

Que voulez-vous dire ? Prodi est-il, oui ou non, selon vous, le leader de l’Alliance ?

"Oui, mais si les primaires ont lieu, moi je me porte candidat et il est naturel que je me propose de gagner le plus de consensus possibles".

Dans votre parti il y en a aussi qui ne voient pas votre candidature d’un bon œil. Le premier signataire de la motion numéro 2, Claudio Grassi, fait remarquer que les primaires sont propres au système majoritaire et alimentent la personnalisation de la politique, elles ne sont donc pas le terrain propre à Refondation communiste.

"Est-ce que, peut-être, parce que nous sommes partisans de la proportionnelle, nous ne nous présentons pas aux élections au scrutin majoritaire ? Les primaires, si cela ne dépendait que de nous, nous ne les aurions pas faites. Mais à partir du moment où elles sont proposées, elles deviennent un terrain d’initiative politique, au point de pouvoir même constituer des éléments utiles pour garantir une participation impossible autrement, comme le prouve le cas des Pouilles. Je pense même qu’il est juste de continuer sur cette voie à propos des thèmes programmatiques aussi parce que l’idée que cette Alliance fasse de la démocratie un des éléments d’inspiration générale de ses propres comportements peut devenir une grande opportunité".

Traduit de l’italien par Karl & Rosa de Bellaciao

http://www.unita.it/index.asp?SEZIO...