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Italie : abolir la loi 30, un changement de perspective

Publie le jeudi 3 février 2005 par Open-Publishing

de Cesare Salvi* Traduit de l’italien par karl&rosa

Quand on demande l’abrogation de la loi 30 on ne formule pas - comme on le dit parfois - une proposition démagogique, mais on pose une question politique et programmatique fondamentale pour le centre gauche tout entier : la demande d’un changement de direction, d’une solution de continuité par rapport aux politiques de Berlusconi, mais aussi, il faut le dire avec clarté, par rapport aux politiques de gouvernement du centre-gauche.

Dans leurs interviews avec Liberazione, Cesare Damiano et Tiziano Treu ont dit des choses qui représentent un pas en avant significatif et positif par rapport aux positions prédominantes jusqu’ici chez les Ds et la Margherita.

Toutefois, le refus de prendre acte que le processus de détérioration des conditions de travail qui a transformé la précarité en condition normale pour la création d’emplois a commencé à partir du "paquet" Treu, laisse plus d’un doute. A part tout cela, ce "paquet" Treu appartient au gouvernement Prodi : il a été voté par toute la palette actuelle de la Gad (Grande alliance démocratique, NdT) et concerté avec tous les syndicats. Ce n’est donc pas un problème de controverse entre ceux qui avaient raison et ceux qui avaient tort à l’époque ; le problème est celui de comprendre où on s’est trompé, et pourquoi, et quel nouveau chemin emprunter.

Ce n’est pas non plus un problème de nature juridique. De ce point de vue, il est vrai que de différentes garanties entouraient et limitaient dans le "paquet" Treu le recours à la précarité et que donc la loi 30 n’est pas une issue cohérente et imposée par cet ensemble de normes. Mais il est vrai aussi que ce complexe de normes est l’enfant de l’idéologie de la flexibilité. Alors, la demande d’abrogation de la loi 30 signifie une césure avec cette idéologie, pour laquelle parler de travail signifie parler de "marché du travail", et pour laquelle la rigidité du marché du travail constitue un obstacle à la compétitivité et donc à la croissance. Au contraire, il ne faut pas mettre au centre le "marché", mais plutôt les "droits" du travail et dire que la croissance découle de politiques publiques pour le développement et de bons salaires, pas de la flexibilité.
Face au bulletin de guerre quotidien, qui annonce inexorablement l’énième défaite de l’industrie nationale, l’idée d’une nouvelle intervention publique dans l’économie commence à prendre de plus en plus de place dans l’opinion publique, comme unique solution possible pour renverser la tendance vers la dissolution de la structure productive italienne. Le feu continu des derniers Japonais du néolibéralisme qui, isolés dans leurs tours dorées, ne se sont pas encore aperçus qu’ils avaient perdu la guerre, est un symptôme indirect de cette conscience croissante. A ce propos, il suffit de lire l’article publié hier dans le supplément économique du Corriere della Sera, signé par Geminello Alvi. Nous connaissons l’auteur à cause de ses écrits précédents et nous savons que, par métier et par vocation, il a l’esprit de contradiction, il a un culte pour l’hétérodoxie et la provocation intellectuelle. Le fait qu’il se déchaîne depuis quelque temps avec une véhémence croissante contre toute apparence, même la plus petite, de rôle rénové de l’Etat dans l’économie, nous réconforte et nous fait dire que nous sommes sur le bon chemin pour conquérir un consensus de plus en plus grand sur notre plateforme de politique économique.

Les thèses exposées par notre auteur sont au nombre de deux. La première affirme que Prodi et Bertinotti ne font qu’un, parce qu’ils sont tous les deux des partisans du rôle public dans l’économie. La deuxième thèse, dans une hyperbole digne de Gaber, essaye de soutenir que l’intervention publique est de droite (carrément d’origine fasciste !) et le libre marché est de gauche. Cela nous étonne qu’un auteur qui est toujours en quête d’originalité coûte que coûte ne s’aperçoit pas qu’il répète, dans une forme à peine plus sophistiquée, les invectives berlusconiennes concernant "les communistes amis de Prodi, porteurs de misère, de faim et de terreur". Et pourtant c’est ainsi, la rouille ronge tout le monde. Rentrons au coeur des motivations alléguées, en négligeant les aspect secondaires de l’élocution bizarre, typique de notre auteur.

Sur la première thèse, qui concerne la coïncidence des programmes entre Refondation et Prodi, il y a peu de choses à dire. De notre côté, nous avons proposé depuis longtemps une hypothèse de politique économique organisée et détaillée, alternative à l’échec du néolibéralisme. Maintenant, nous attendons que les travaux de la "Fabrique du programme" commencent et que ses ouvriers soient nombreux. Nous ne pouvons qu’ajouter que "qui vivra, verra" même si nous pensons, en vérité, que le chemin est plus difficile de comme il a été décrit.

Au contraire, la deuxième thèse mérite une réponse plus articulée. Il est totalement faux d’affirmer, comme le fait Alvi, que le fascisme italien augmenta les salaires et les dépenses publiques. Jusqu’à l’éclatement de la grande dépression des années 1930, la politique économique du régime fut caractérisée par une orientation nettement libérale et une compression dramatique des niveaux des salaires. Ce ne fut que la crise verticale du système bancaire et industriel qui poussa Mussolini à créer l’IRI (Institut pour la Reconstruction Industrielle, NdT), pour sauver de la faillite le Gotha du capitalisme privé italien, qui applaudit à l’époque. La gestion de l’IRI qui s’ensuivit fut marquée par une orientation basée sur l’initiative privée, dont témoigne même sa forme juridique, celle de la participation au capital social des entreprises, que revêt en Italie l’intervention publique, forme bien différente des nationalisations typiques de l’expérience anglo-saxonne. D’ailleurs, il n’est pas besoin de remonter aussi loin dans le temps pour savoir que le fascisme, en tant qu’expression en dernière instance des intérêts du capital, n’est nullement hostile aux formes les plus extrêmes du libéralisme, il suffit de regarder le Chili de Pinochet et l’adoration qu’ont encore aujourd’hui envers ce pays les Chicago boys, les prêtres du culte néolibéral.

Et alors, dans la politique économique italienne tout de suite après la guerre il y a beaucoup plus de continuité qu’on ne veut le faire apparaître. Et il est incontestable que le démarrage industriel et le boom économique qui s’ensuivit doivent beaucoup plus à des personnages tels que Sinigaglia et Mattei qu’à Corbino et Einaudi. In fine, il est vrai, comme l’écrit Alvi, que les USA ne sortirent de la crise que grâce à la Deuxième Guerre Mondiale, mais cette crise, si meurtrière, ne fut-elle pas provoquée, peut-être, par la rigide orthodoxie libérale de Hoover, que notre auteur semble tant aimer ? Et enfin une dernière note. Nous n’avons pas compris le conseil qu’on nous adresse de pousser pour une augmentation des salaires. Est-ce que notre journaliste n’a jamais entendu parler d’augmentation généralisée des salaires et des retraites, de salaire de citoyenneté, de taxation des rentes et de réduction des impôts aux travailleurs ? Dans notre vision, la redistribution du revenu est l’autre face, inséparable, de l’intervention publique et d’une nouvelle programmation économique pour sortir du gouffre où le libéralisme nous a précipités.

En conclusion, nous nous sentons humblement obligés de donner un conseil à Geminello, qui connaît bien l’histoire économique, sûrement mieux que les propositions de politique économique de Refondation : attention ! l’obsession de l’originalité peut déboucher sur la falsification consciente ou, pire, sur la désinformation consciente.
Aussi parce que la guerre est finie.

* Cesare Salvi est sénateur des Ds et ancien ministre du Travail.

http://www.liberazione.it/giornale/050201/R_PEZZO.asp