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Italie : la gauche au-delà du mur d’enceinte

Publie le dimanche 30 janvier 2005 par Open-Publishing
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de Paolo Persichetti traduit de l’italien par karl&rosa

A moins d’une semaine des rendez-vous des 15 et 16 janvier, après que sur les différents quotidiens de la Gauche un peu tout le monde a pris la parole, en essayant d’inscrire dans la liste des thèmes suggérés par Asor Rosa les arguments les plus disparates, il y a une absence, un vide qui au fil des jours ressemble de plus en plus à un précipice.

Certains, en partant d’une réflexion en cours depuis longtemps, ont reproposé un bilan sans pitié du 20ème siècle, qui trouverait dans le choix de la non-violence et dans l’expérimentation d’une "politique douce" son issue naturelle. D’autres pensent, au contraire, à une gauche momifiée, fidèle gardienne du temple, vouée à la conservation de la constitution de 1948, servante de la légalité.

Ailleurs, il y en a qui bouleversent ce schéma, en considérant avant tout que les vieilles formes de représentation sont dépassées. S’en suivent des invitations à pousser à fond la critique radicale du néolibéralisme, mais là aussi les issues ne sont pas univoques : si d’un côté l’objectif est celui de réinventer le welfare, on considère de l’autre que cela amènerait à nouveau à la malédiction du souverainisme étatique.

Il y a ensuite le traditionnel contraste entre ceux qui font passer le conflit capital/nature avant la contradiction capital/travail, parce que celle-ci serait incapable de rompre avec la culture économique "développiste". Entre les deux, la pensée de la différence sexuelle qui réunit tous les paradigmes évoqués ici dans une même condition patriarcale. Ceux qui font passer la réalité nouvelle du monde des associations et du bénévolat avant les vieux modèles fondés sur le système des partis ou le césarisme médiatique actuel ne manquent pas. Il y a enfin les fans du trépied, une sorte de promoteurs inconscients autant que ridicules d’un nouveau tyrannicide virtuel. Des théories, des pensées et des pratiques avancent en ordre dispersé, rigoureusement en dehors d’une synthèse commune, désormais abhorrée , en admettant qu’elle soit encore possible.

Mais parmi les diversités multiples exprimées jusqu’ici, tout le monde semble s’accorder sur une donnée : la difficulté de repenser la décennie 1990. Et pourtant la physionomie toute entière de la gauche actuelle naît de là. Cet étrange refoulement mérite d’être mieux exploré. Il y a peut-être une raison pour cela : les années 1990 ont forgé dans une grande mesure l’identité de la gauche actuelle, aussi bien dans sa version réformiste que dans sa version radicale, alternative ou antagoniste. Il semble qu’on ne puisse penser à la décennie qui vient de passer qu’à travers la catégorie de l’anomalie. L’anomalie berlusconienne, bien entendu.

Enième chapitre de cette "démocratie inachevée" sur laquelle le PCI a déliré tout le long de l’après-guerre, jusqu’à sa fin. Une attitude qui rappelle beaucoup cette culture libérale insensée qui voyait dans le fascisme une "parenthèse", un accident regrettable de l’histoire, venu interrompre le chemin vers la liberté qu’on ne peut pas arrêter. En somme, un phénomène tombé du ciel, sans racines ni causes. Une folie momentanée qui un jour disparaîtrait comme elle était venue. Une lecture effrontément auto absolutoire de la responsabilité que la société libérale eut en engendrant le régime du sein de sa crise.

En des temps plus récents, l’illusion justicialiste a bercé la gauche dans l’idée que le phénomène berlusconien surgissait de l’achèvement manqué de la mission purificatrice de Mains propres et n’était pas, au contraire, une de ses conséquences directes. Le tsunami judiciaire qui a frappé le système politico institutionnel durant la première moitié des années 1990 n’a pas lavé la politique et il n’a pas davantage moralisé la chose publique. En réalité, en balayant les figures traditionnelles de la médiation institutionnelle sorties de l’après-guerre, il a simplifié les lignes de commandement, réduit les zones intermédiaires, en achevant l’instauration du mécanisme majoritaire, favorisant ainsi l’accès direct à la politique des nouveaux cadres directement exprimés par le marché et par la société marchande.

La révolution conservatrice amorcée dans les années 1980 a atteint tous ses objectifs et le parti entreprise a trouvé le chemin aplani vers son ascension au gouvernement. L’idéologie de la répression émancipatrice, le mythe de l’action pénale, la théorie de l’interférence, devenue patrimoine de larges secteurs de la magistrature épaulés par la rue ont contribué à ce résultat. Mais au bout du compte, Mains propres ne s’est révélée qu’une sorte de Thermidor sans la prise de la Bastille, la liquidation par le biais de la justice d’une classe politique dont l’activité régulatrice représentait désormais une entrave coûteuse par rapport aux nouveaux paramètres de la compétitivité internationale. Ainsi le judiciaire, d’instrument de protection réciproque entre les classes dominantes, s’est transformé pendant un certain temps en lieu de conflit même entre des élites, en faisant recours à des pratiques traditionnellement réservées aux seules classes dangereuses ou aux ennemis internes. L’opium judiciaire a contaminé une bonne partie des cultures présentes dans la gauche, changeant profondément l’univers symbolique des mouvements, les différents répertoires qui justifiaient l’action collective.

Certes, tout cela a semblé être une conséquence directe de la crise des grandes narrations qui décrivaient les chemins de libération. Le projet ambitieux, qui animait jadis les intentions de changer le monde, s’est replié vers la modeste prétention de le juger. A la construction d’idéaux chargés de perspectives et d’espoirs on a opposé le culte de la revanche et la furie libidinale du procès. L’idéologie judiciaire est apparue comme une réponse au désenchantement d’un monde perçu désormais comme déchu et corrompu. La politique a changé d’acteurs, de techniques et inévitablement de contenu . Chassée du monde du travail, marginalisée par la rue, soustraite même aux parlements, elle est passée d’abord dans les corbeilles et puis dans les parquets, alors que ceux qui occupaient jadis les rue ont commencé à s’asseoir sur les bancs de la partie civile. Le recours effréné aux raccourcis procéduriers a cristallisé des humeurs répressives et réactionnaires.

La baisse générale du niveau des garanties juridiques n’a amené qu’au préjudice des classes les plus faibles, qui ont depuis toujours moins de moyens et d’instruments de défense, remplissant les prisons et contribuant à la construction d’une législation de plus en plus menaçante. La source de la légitimité découle-t-elle de la légalité ou du suffrage ? - sont arrivés a se demander certains pasdarans de la solution pénale. Le résultat a été la longue décennie berlusconienne. Pourra-t-on jamais en sortir ? A quoi pourra donc servir une éventuelle victoire électorale sans un changement radical de paradigme, qui puisse nous soustraire tous à l’hégémonie berlusconienne ?

http://www.liberazione.it/giornale/050127/default.asp

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