Italie : les espions qui viennent d’Arcore

de ALESSANDRO ROBECCHI

Pour une fois, pas de politique. Essayons de saisir le côté humain de la vie.
Les sentiments, les passions, les tristesses infinies de notre parcours terrien.
Toutes ces choses qui vous donnent - en tant que communistes - la pellagre et
le scorbut, et vous commencez à vous gratter et n’en finissez plus. Faisons un
effort. Descendons un peu dans les profondeurs des sentiments des gens, comme
si nous étions un épisode du feuilleton La vie en direct, ou un reality quelconque
ou un surreality comme le Tg5 de Carlo Rossella. En somme, ce truc là. Pendant
un instant, envoyons une pensée à ces jeunes pleins de bonne volonté de Forza
Italia qui ont frappé aux Fédérations du parti de Silvio pour "se rendre utiles".

Ces braves jeunes, animés par une forte passion et "tous personnes très crédibles" en proie à une sincère fièvre libérale, ont décroché le combiné, appelé la plus proche fédération de Forza Italia et se sont portés volontaires pour aider le parti. En eux, battait un cœur indompté, mais les résultats ont été très décevants. Oui, jeune homme, laissez nous votre numéro, on vous écrira. Oui, oui, bien, laissez moi votre nom. Oui, bien sûr, je comprends l’enthousiasme, nous allons vous rappeler, d’accord ? En somme, la grosse carcasse du parti qui a la majorité relative a escagassé, si vous me passez le gallicisme, les nouveaux aspirants impolitiques qui veulent faire la politique de Silvio. Ils allèrent pour moderniser, hardis, jeunes et forts et furent vite modernisés : merci, nous n’achetons rien, laisse nous travailler, gamin. C’est quand la vie assène des coups pareils qu’on finit dans le tunnel de la drogue, ou qu’on devient communiste.

Je ne sais pas si vous arrivez à imaginer la tristesse de la situation : un jeune qui se porte volontaire à Forza Italia est déjà une chose terriblement touchante. Nous en imaginons les profondes motivations morales, du genre trouver les sous pour la dernière traite de la grosse jeep. C’est triste, oui. Mais un peloton de vieux hâbleurs de village moyens et petits, de minuscules apparatchiks de province qui disent "non, merci", craignant de perdre quelques positions dans une machine de sous pouvoir décorative comme le parti de Silvio, est encore plus triste. Si vous unissez ces deux profondes tristesses, vous arriverez peut-être à vous approcher de l’essence des choses.
Et ici entrerait le côté humain de la chose : tout ces espoirs enfreints, tous ces enthousiasmes frustrés. On était en passe d’y tomber, mais ici ... coup de théâtre ! Eh oui. On découvre que les jeunes, hautains volontaires envieux de "poursuivre un rêve" c’est lui, Silvio en personne, qui les avait envoyés. C’est-à-dire Lui, rusé comme un renard, avait envoyé quelques gaillards espions juvéniles pour vérifier le comportement de ses petits sergents sur le terrain. Et comme les petits espions en herbe ont été repoussés avec des pertes, chiffonnés et pris en dérision, traités comme la petite marchande d’allumettes ou même pire, insultés. Il s’en est beaucoup indigné.

Cela, il est inutile que ce soit moi qui vous le dise, ouvre de nouvelles perspectives incroyables à la gauche. Maintenant, toute fédération, section, cellule et table de bridge de Forza Italia sait que si un jeune se porte volontaire et demande à apporter son enthousiasme pour procurer au pays de nouveaux dommages, deuils et désastres, il pourrait être envoyé par Silvio en personne. Maintenant on les acceptera tous pourvu qu’ils soient particulièrement stupides, mufles et confiants dans les tableaux truqués du professeur Brunetta, le professeur des arnaques. Silvio va commencer par en embaucher mille. Mille nouveaux employés qu’on enverra (en couples, un lui et une elle, qui sait pourquoi ils sont arrivés aux Ken et aux Barbies de Forza Italia) faire du prosélytisme sur le terrain et à "dépoussiérer" le parti, qui sait, à porter la parole de Silvio dans les mini-potentats locaux qui se servent du grand drapeau de Forza Italia pour s’occuper comme toujours de leurs petits oignons bien à eux (et non de ceux de Silvio, crime fédéral). Ils seront sélectionnés, entraînés et envoyés au front. Ils auront des sièges lumineux et élégants. Probablement de belles cravates et des pulls en cashmere.

Ils travailleront sur le terrain en convainquant les gens et en recueillant des fonds parce que Silvio ne voudrait tout de même pas payer de sa poche, il ne manquerait plus que cela. Le scénario est d’une tristesse presque insupportable : mille nouveaux précaires jetés sans filet sur un terrain glissant. Espérons qu’aucun d’eux ne tombera de l’échafaudage ou ne se pincera un doigt dans la photocopieuse car les contremaîtres du parti seraient prêts à les abandonner blessés sur le bord d’une route départementale comme on le fait dans les meilleurs chantiers de construction du règne. Tout cela alors que le Chef prépare une fiction sur son bon gouvernement et dit aux amis : "Les scénaristes sont déjà au travail". Comme vous le voyez, il n’est pas question de politique mais seulement de tristesse infinie. J’attends avec anxiété que Ken et Barbie viennent frapper à la porte, me rendre visite, demander de l’argent, m’étonner avec leur credo libéral. Après quoi, je le crains, je me mettrai à pleurer.

Traduit de l’italien par karl & rosa - Bellaciao

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