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L’ANPE transformée en machine à radier

Publie le jeudi 6 octobre 2005 par Open-Publishing

de AGATHE ANDRÉ

Quand " la bataille pour l’emploi " menée par Villepin consiste à déclarer la guerre aux chômeurs, l’ANPE, instrument de la puissance publique, est priée, malgré elle, d’appliquer l’arsenal législatif coercîtîf pour planquer les chômeurs sous le tapis.

Il fut un temps où la mission de l’ANPE, créée par un certain Jacques Chirac en 1967, consistait à améliorer le fonctionnement du marché du travail, à soutenir dans ses démarches le citoyen privé d’emploi... En 2005, son rôle revient à déterminer son degré d’employabilité et de criminalité pour répondre aux seules exigences des entreprises, et si possible lui faire accepter de bosser bénévolement1.

" Les gens arrivent à l’ANPE avec la peur au ventre, persuadés que, s’ils sont convoqués, c’est pour être radiés, relate Fabienne. NOMS sommes complètement pressurisés, on nous impose de recevoir les demandeurs d’emploi tous les mois, ce qui est impossible même avec trois mille cinq cents nouveaux agents. Notre travail consiste à faire de l’abattage. " L’ANPE :
Abattoir National Pour l’Exclusion, ou comment fasse comprendre à ces feignasses de chômeurs qui se reproduisent comme des petits pains que l’aide n’est pas un droit mais une faveur qui se mérite, et qu’on les préfère, comme en Angleterre, misérables et invisibles. En faisant chapeauter tout le système de reclassement et de financement des demandeurs d’emploi par l’Unedic, Borloo aligne l’organisme public sur une logique purement comptable.

Bouge-toi le fion, feignasse !

On attend, comme pour n’importe quel commercial, que le conseiller
ANPE, détenteur d’un portefeuille-chômeurs, fasse du chiffre, qu’il soit performant et rentable - au moins autant que les organismes de placement privés, rémunérés par l’Unedic et avec lesquels l’ANPE est en concurrence-, c’est-à-dire qu’il sorte le maximum de personnes de la liste des demandeurs d’emploi. Diktat des statistiques oblige, entre juin et juillet, près de soixante-dix-huit mille radiations2 ont été prononcées...

Tout est en place pour aller vers une épuration du fichier. " Mois comme ce n’est pas dans notre tradition, explique Joseph Romand, du SNU-ANPE du Nord-Pas-de-Calais, les circulaires d’application de l’ordonnance du 2 août nous imposent des modifications profondes : il n’y a plus un mot sur l’adhésion du demandeur d’emploi à son projet professionnel. Il n’est question que d’injonctions de la part de l’établissement. " Traduction : on veut de vrais salopards dans les agences, plutôt que vingt-deux mille agents encore sensibles au désarroi social.

Galouzeau de Thatcher

" En introduisant le principe de sanctions graduées, poursuit Joseph, on ouvre les vannes psychologiques des conseillers qui n’osaient pas radier. " On
élargit les actes condamnables : au refus d’emploi valable et au refus de formation s’ajoute le refus des prestations ANPE ; en outre, le chômeur doit faire preuve d’actes positifs, sérieux, mais aussi " répétés " dans sa recherche d’emploi. Le boulot de l’ANPE va se réduire à balancer des convocations massives, à proposer d’émèmes bilans de compétences ou des " ateliers-CV ", à vérifier le nombre de lettres de candidature spontanées envoyées, et à proposer des offres d’emploi dans des secteur désertés, justement parce qu’ils sont invivables.

Si l’ANPE refuse de jouer les videurs, l’Unedic s’en chargera : elle peut radier les demandeurs d’emploi non indemnisés sans avoir à les prévenir, tout comme elle peut sucrer les allocations avant même que les bénéficiaires aient fait un recours auprès du ministère. " L’ANPE est instrumentalisée par le gouvernement pour masquer l’absence de politique de l’emploi, explique Brunot, agent ANPE. On commence à avoir un boulot à la con. Mais au moins, on en a un ! "

1. La mise en place de l’évaluation en milieu de travail (EMT), soit 8 heures de travail gratuit dans les entreprises, est déjà un bon début.

2. Selon l’APEIS, l’Association pour L’emploi, l’information et la solidarité des chômeurs et des précaires.

3. Qui, soit dit en passant, sont du fric qui leur appartient puisqu’elles correspondent à des cotisations effectuées quand ils travaillaient !


Reportage à l’ANPE Chômage : la comédie du travail

Au moment où les " sanctions " à l’endroit des chômeurs - de la diminution progressive des allocations jusqu’à la radiation pure et simple - annoncées par le gouvernement suggèrent chez certains l’idée rassurante que ces oisifs forcés ne pourront plus se la couler douce à ÏANPE, France 5 diffuse un documentaire fleuve sur la réalité quotidienne du chômage et la vie d’une agence de FANPE, celle des Ulis (Essonne). Ce que ïon y voit, ce ne sont pas trois millions de "profiteurs ", mais " trois millions de dingos ". La réponse est cinglante, mais le film montre bel et bien que le chômage rend fou.

Toutes les personnes filmées en font le constat : le chômage est l’expérience d’une rupture qui, peu à peu, coupe de la réalité et de la vie des autres. " C’est noir. On vit tellement en vase clos qu’on a le sentiment de ne plus voir la lumière ", confie Christian, ex-régisseur dans la publicité, qui acceptera finalement un poste de livreur après plusieurs années de ce cauchemar. Sandy, plus crue, compare sa situation avec celle des membres des Alcooliques anonymes ; elle avoue que voir ses autres amis est devenu très douloureux : " Us vont au théâtre, font les soldes ; pire : ils parlent de leur travail. " Alors, elle ne fréquente plus guère que d’autres chômeurs. Quant à Marielle, elle se sépare de son mari.

" Le pire est de ne rien faire, de tourner en rond ", fulmine Pietro. Quand le chômage dure trop longtemps, tenter de rêver à une autre vie, à une autre carrière ne suffît pas pour ces condamnés au désœuvrement ; il devient indispensable aussi de les accompagner psychologiquement afin d’empêcher qu’ils ne sombrent définitivement dans la psychose. De sorte que, aujourd’hui, ÎANPE présente l’image d’un drugstore offrant pêle-mêle des stages de formation, des soutiens psychologiques, des séminaires d’entretiens, voire des clubs de théâtre animés par des comédiens ^u chômage pour apprenne à se vendre.

Autant d’activités qui peuvent devenir pour les chômeurs le moyen de singer la vie active. Certains, comme Abdelahim, donnent bénévolement des cours d’alphabétisation pour avoir une raison d’être ; Géraldine, quant à elle, se lance dans un projet d’entreprise de relookage des chômeurs... Le plus terrorisant étant cet ancien VRP, totalement drogué à l’adrénaline du métier, qui | passe ses journées dans sa \. voiture pour prolonger l’illusion du travail et, au cours de ses trajets désormais sans fin et sans but, imagine une entreprise infernale,

" Nets-peedworking ", où il apprendrait aux chômeurs à se vendre en sept minutes montre en main.

" Les gens qui n’ont jamais connu le chômage ne peuvent pas savoir ce que c’est ", reconnaît Isabelle Contadini,, la directrice de l’agence des Ulis. Pour une fois, la télévision fait son travail d’information, et elle s’en donne le temps : en trois fois cinquante minutes, le téléspectateur aura pu goûter aux joies du chômage.

Marianne DAUTREY

À voir : L’Agence. de Philippe Pouchain et Yves Riou, les 6,13 et 20 octobre à 20 h 55 "sur France 5TNT, et les 14, 21 et 28 octobre à 16 h 45 sur le réseau hertzien.