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L’Italie est soupçonnée à son tour d’"embellir" ses comptes publics

Publie le jeudi 9 décembre 2004 par Open-Publishing

Après le scandale de la manipulation des statistiques grecques, la Commission s’interroge sur les chiffres de l’endettement italien. Celui-ci dépasse largement les limites fixées pour la zone euro, alors que le déficit budgétaire se maintient, officiellement, en dessous de la barre des 3 % du PIB.

Jean-Jacques Bozonnet et Philippe Ricard, Rome et Bruxelles

Après la Grèce, c’est au tour de l’Italie d’être soupçonnée d’avoir "embelli" ses statistiques budgétaires afin de respecter les standards européens. Joaquin Almunia, commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, s’est dit "préoccupé", mardi 7 décembre, par l’incohérence des données italiennes en matière d’endettement et de déficit.

Il a demandé à Rome de "clarifier au plus vite" la situation.

Les doutes de la Commission remontent au mois de juillet : Bruxelles s’est alors demandé pourquoi la dette italienne avait pu demeurer abyssale - à 106 % du produit intérieur brut (PIB) en 2003, contre 60 % autorisés au sein de la zone euro - tandis que les déficits publics restaient, officiellement, sous le seuil des 3 % défini par le pacte de stabilité.

En principe, si les chiffres du déficit sont exacts, le niveau d’endettement aurait dû reculer plus vite. "L’ampleur des incohérences a atteint un tel niveau qu’il est difficile de le justifier par de simples écarts statistiques", souligne la Commission, dans une récente étude interne. Le gouvernement de Silvio Berlusconi a, depuis, fourni quelques explications, en réponse à un questionnaire envoyé cet été par Bruxelles, mais "des points restent à préciser", selon l’exécutif européen.

PROBLÈME CONNU

Le gouvernement italien se veut rassurant. En marge de la réunion des ministres des finances de l’Union, mardi 7 décembre à Bruxelles, Domenico Siniscalco, successeur de Giulio Tremonti au ministère de l’économie et des finances italien, s’est défendu de la moindre irrégularité. Il a affirmé que ce problème était connu depuis longtemps. Dès le mois de septembre, a-t-il précisé, ses services ont adressé à Bruxelles un document établi à partir des données de la Commission montrant l’évolution de l’écart entre le stock d’endettement et le flux du déficit pour l’ensemble des pays de l’Union sur la période 1994-2004. L’Italie se situerait, selon ce calcul, en dessous de la moyenne européenne. "Seule la Grande-Bretagne a fait mieux que l’Italie", a assuré M. Siniscalco.

Dans la foulée du scandale grec, cette affaire est pourtant de nature à porter un nouveau coup à la crédibilité des statistiques utilisées dans le cadre de l’Union monétaire. Elle conforte ceux qui ont toujours ironisé sur la "créativité" des comptes publics italiens.

La Commission se veut d’autant plus vigilante qu’elle vient de lancer une procédure d’infraction contre la Grèce pour non-respect des règlements statistiques. Entre 1997 et 2003, Athènes a systématiquement sous-évalué son déficit, le déclarant inférieur au seuil de 3 % du PIB fixé pour entrer dans la zone euro, puis pour en respecter les règles. Espérant que le cas grec serait isolé, les autorités européennes ont ces derniers jours multiplié les critiques contre Athènes, les manipulations grecques ayant été mises au jour à la faveur d’un changement de gouvernement. Mais elles ont aussi blâmé les Etats membres, la Banque centrale européenne, l’Office des statistiques européens (Eurostat), et ses homologues nationaux, incapables d’identifier à temps le problème. La Commission demande un renforcement des pouvoirs d’audit d’Eurostat : pour le moment, cet office et ses 700 fonctionnaires ne sont pas en mesure de contrôler sérieusement les données qui leur sont fournies par les Etats membres.

INFORMATIONS INEXACTES

Concernant l’Italie, Bruxelles veille d’autant plus au grain que Rome se rapproche "dangereusement" - dixit M. Almunia - du seuil de 3 % de déficit en 2005. La controverse risque d’animer les discussions budgétaires. L’opposition italienne a placé la situation des comptes publics au cœur de son offensive contre le gouvernement au moment où Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne, fait sa rentrée politique comme principal opposant à M. Berlusconi. Comme Bruxelles, la gauche émet des doutes sur le financement réel des baisses d’impôts programmées en 2005. Le gouvernement se défend. Il a tablé sur une croissance de 2,1 %, alors que la Commission ne s’attend pas à plus de 1,7 %. "Ce n’est pas dramatique", a plaidé M. Siniscalco, devant ses homologues européens, afin de les rassurer : pour lui, "un écart de 0,4 % du PIB ne signifie que 0,2 % de déficit supplémentaire".

Troublante dans un contexte de remise en cause des méthodes statistiques européennes, l’affaire italienne n’a pourtant pas, à ce stade, l’ampleur du cas grec. Gerrit Zalm, ministre néerlandais des finances, dont le pays assure la présidence de l’Union, a d’ailleurs cherché, mardi, à dédramatiser : "Il n’y a aucune indication, à ma connaissance, laissant penser qu’il y a une mauvaise notification des chiffres par l’Italie." La Grèce, elle, avait délibérément transmis des informations inexactes aux autorités européennes, même en 1999, années de référence pour sa qualification à l’euro.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3214,36-390185,0.html