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L’appel de Simon

Publie le vendredi 6 août 2004 par Open-Publishing

de FRANCINE BRUNSCHWIG

Le Vaudois atteint de leucémie et sa famille veulent attirer l’attention sur le don de cellules souches du sang. Un geste simple qui, contrairement à ce que l’on croit, n’a rien à voir avec la moelle épinière.

Ses yeux brillent, son sourire est plein de malice. Lorsque son père, le pasteur Shafique Keshavjee, lui a parlé de la parution d’un article sur le don de moelle osseuse (ou de cellules souches du sang périphérique), le jeune garçon lui a dit qu’il acceptait de voir sa photo dans le journal. Simon, 12 ans, est atteint de leucémie et lutte pour sa survie.

« Ce qui nous motive, bien sûr, c’est la maladie de notre fils et sa recherche d’un donneur compatible puisque ses frères, hélas, ne le sont pas. Mais d’autres enfants, comme lui, sont en attente. Pour Simon et tous les autres, nous aimerions informer sur le fait que chacun peut devenir donneur de moelle », expliquent Mireille et Shafique Keshavjee-Hoffmann, les parents de Simon et de trois autres garçons. Parmi leurs amis, a constaté le couple, plusieurs n’avaient jamais entendu parler du don de moelle. A l’ignorance s’ajoute aussi souvent une confusion entre moelle osseuse (c’est d’elle qui s’agit) et moelle épinière (pas concernée du tout).

Campagne d’information

La sensibilisation au don souhaitée par la famille Keshavjee tombe bien. Le Registre suisse des donneurs de moelle, qui compte près de 20 000 inscrits, aimerait doubler le nombre de nouvelles recrues (actuellement près de 1000) enrôlées chaque année. Cela afin d’assurer la stabilisation du registre. Car chaque année, des volontaires devenus trop âgés (âge requis pour l’inscription : entre 18 et 45 ans. Limite d’âge pour être donneur : 55 ans) ou ne manifestant plus signe de vie doivent être rayés de la liste.

Une démarche réfléchie

« Nous aimerions inscrire en Suisse 2000 nouveaux donneurs par an », affirme le Dr Philippe Schneider, directeur du Service régional vaudois de transfusion sanguine (CRS) à Lausanne, qui accueille les candidats et effectue les analyses. Le centre lausannois a d’ailleurs lancé, voilà quelques semaines une campagne d’information et de recrutement pilote, ciblée sur les donneurs de sang, une population déjà sensibilisée au don. Mais le Dr Schneider précise aussitôt qu’un afflux subit de candidats émus par la maladie d’un enfant susciterait clairement davantage de problèmes qu’il n’en résoudrait. « S’inscrire comme donneur implique un engagement à long terme, qui doit être bien réfléchi. Se pose aussi la question de la gestion et du financement des analyses nécessaires pour assurer la qualité du registre », explique le Dr Philippe Schneider. « Et s’il est vrai que plus il y a de donneurs dans le monde, plus les chances d’en trouver un compatible sont grandes, il arrive hélas qu’il soit impossible de trouver la compatibilité tissulaire recherchée. » Le Registre suisse travaille au niveau mondial avec un réseau de 9 millions de donneurs (lire ci-contre).

Après une rémission de près de deux ans grâce à la chimiothérapie, Simon Keshavjee a fait une rechute au début juin. Au CHUV, où il est soigné, on l’a soumis à un nouveau traitement en espérant une nouvelle rémission. Si tel devait être le cas, une greffe sera tentée, à condition de trouver un donneur compatible, ce qui reste extrêmement difficile.

« La greffe m’a sauvé la vie »

Une greffe apporte de l’espoir, pas de certitude. Rien ne garantit à l’avance que les cellules cancéreuses du sang - détruites préalablement par une chimiothérapie très agressive assortie d’une radiothérapie - aient toutes disparu pour laisser la place au sang nouveau que va produire la moelle greffée. « Dans les conditions les plus favorables, le taux de réussite d’une greffe de moelle est de 60 à 70% », indique le professeur Bernard Chapuis, chef du service d’hématologie aux HUG à Genève, l’un des trois centres, avec Bâle et Zurich, où se pratiquent les greffes (et, préalablement, sur le donneur, les prélèvements destinés à la greffe). Mais quand il n’y a plus rien à faire, on n’exige pas de certitude, seulement de l’espoir. « Ma situation médicale était désespérée, la greffe m’a sauvé la vie », témoigne aujourd’hui Alice, 16 ans, rescapée d’un lymphome suivi d’une leucémie. L’adolescente vaudoise a été greffée voilà sept ans. Mais ce n’est que l’an dernier que les médecins lui ont dit qu’elle pouvait se considérer comme guérie.

Bien que confrontée à des effets secondaires dus aux traitements qu’elle a dû subir, Alice sourit à la vie. A l’époque, elle a eu la chance de trouver trois donneurs compatibles, en Allemagne, en Italie, aux Etats-Unis. Les médecins ont choisi celui qui convenait le mieux. « On ne connaît que son sexe et son pays d’origine. Bien sûr, on aurait envie de lui dire merci », témoigne la mère d’Alice. L’an dernier, le père de l’adolescente s’est annoncé comme donneur. « La maladie de ma fille m’a sensibilisé. Mais j’ai eu besoin de temps pour effectuer la démarche. Je l’ai faite parce que je sais combien cela peut être utile et que l’engagement exigé est parfaitement gérable. »

Un jour, peut-être, comme la personne qui a sauvé la vie de sa fille, il recevra un téléphone lui annonçant qu’un malade, en Suisse ou quelque part dans le monde, est prêt à recevoir son don. Jusqu’au dernier moment, il restera libre d’accepter ou de refuser. « Si j’étais appelé aujourd’hui, je serais prêt et je dirais oui. »

FRANCINE BRUNSCHWIG

Cruciale, la comptabilité tissulaire

« Lorsqu’on parle du don d’organes, on oublie souvent de mentionner le don de moelle osseuse ou de cellules souches du sang capables de produire du sang régénéré », explique le Dr Maya Beck Popovic, médecin responsable de l’Unité d’hémato-oncologie pédiatrique du CHUV. C’est le plus souvent lors de leucémies (mais aussi d’autres maladies) qu’est envisagée une greffe. Chez les enfants comme chez les adultes.

« La chimiothérapie constitue en général le premier traitement pour la leucémie. Elle permet de guérir 80% des cas chez les enfants », indique le Dr Beck. On parle de rémission dans un premier temps (le taux de cellules cancéreuses baisse drastiquement à tel point qu’elles ne sont plus visibles), de guérison après cinq ans au moins sans réapparition de cellules cancéreuses. Dans chaque cas, les facteurs pronostics de la maladie vont déterminer le type et l’intensité des traitements. Une greffe peut être envisagée d’emblée ou plus tard, en fonction des résultats des chimiothérapies.

Avant toute greffe, il faut établir qu’il y a compatibilité tissulaire entre le donneur et le receveur. Ce sont les antigènes HLA (Human Leucocyte Antigen) qui sont déterminants. Ils proviennent pour moitié de la mère et pour moitié du père. On cherche donc d’abord dans la fratrie et la famille proche (25% de chances). Sinon, on se tourne vers les donneurs non apparentés. Le Registre suisse de donneurs de moelle travaille avec le réseau mondial (9 millions de donneurs).

La plupart des individus possèdent les mêmes antigènes HLA, mais les possibilités de combinaisons différentes atteignent le million. Complexes, elles varient énormément selon les populations.

D’un point de vue génétique, le métissage complique la situation. On estime que pour un individu de race blanche habitant la Suisse, les chances de trouver un donneur compatible sont de 50 à 60%.

F. Bg

Le guide du donneur

S’inscrire comme donneur de moelle implique d’être prêt à subir un prélèvement de moelle osseuse ou de cellules souches hématopoïétiques (qui participent à la formation des cellules sanguines). Condition : avoir un groupe tissulaire compatible avec un receveur en attente d’une greffe. Si c’est le cas, un coup de fil vous demandera de vous rendre à Genève, au Centre de prélèvement et de greffe pour la Suisse romande. Mais il se peut aussi qu’il n’y ait jamais de coup de fil. Un entretien approfondi avec un professionnel du service de transfusion de sa ville et une prise de sang déterminent l’inscription dans le registre. Plus tard, le groupage sanguin et tissulaire implique l’injection de facteurs de croissance et une nouvelle prise de sang de 20 ml. Un numéro de donneur est attribué, qui préserve l’anonymat. Aujourd’hui, le prélèvement de cellules souches directement dans le sang a tendance à remplacer la prise de moelle. Pour le donneur, l’intervention (une prise de sang de plusieurs heures à l’aide d’un appareillage spécifique) est nettement moins lourde qu’un prélèvement de moelle (ponction dans les os du bassin nécessitant une anesthésie complète). Le donneur ne peut pas toujours choisir. « On opte pour l’une ou l’autre des méthodes », précise le Dr Philippe Schneider, directeur du Service régional vaudois de transfusion sanguine à Lausanne. En fait, pratiquement, le don de cellules souches hématopoïétiques ressemble aujourd’hui à un don de plaquettes sanguines.

F. Bg

UTILE

Service régional vaudois de transfusion sanguine CRS, Lausanne (tél. 021 314 65 60) www.dondemoelle.ch

http://www.24heures.ch/home/journal/gros_titres/index.php?Page_ID=6445&art_id=39598&Rubrique=Gros+titres