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L’auteure de « Dans l’enfer des tournantes » est décédée à l’âge de 31 ans.

Publie le mercredi 8 septembre 2004 par Open-Publishing

Samira Bellil, la tchatche plus forte que le viol

de VAILLANT Luc LE

Une vie violente, une dénonciation radicale des tournantes, un bref espoir d’apaisement et une mort soudaine. Samira Bellil, 31 ans, vient de mourir d’un cancer à l’estomac. Elle avait publié, en 2002, Dans l’enfer des tournantes (Denoël). Ce témoignage vigoureux et agressif, cru et véhément, avait braqué les projecteurs sur les viols collectifs, la difficulté à les dire, et la nécessité de dépasser désir de vengeance et traumatisme. Son récit était dédié à ses « copines de galère pour qu’elles sachent qu’on peut s’en sortir » et à Boris Cyrulnik, psy qui plaide pour la résilience.

Samira naît en Algérie. Elle est placée quelques années en nourrice en Belgique, puis rejoint sa famille en Seine-Saint-Denis. Sa mère est femme de ménage. Son père est ouvrier dans une usine de cartonnages. Il est passé par la prison, a la main leste. Adolescente, Samira sort, s’amuse. Elle écrivait : « Je voulais la même liberté qu’un mec. Respirer, croquer la vie, quoi de plus naturel. » Elle a 14 ans, elle est amoureuse d’un caïd de quartier, mais c’est un de ses seconds, K., qui veut sa part et la séquestre. Elle racontait les atermoiements de son violeur, l’extrême agressivité, puis la banalité gentille. Et de s’interroger sur l’impossible liberté des filles qui refusent de rester cloîtrées. Elle écrivait : « Une fille qui traîne, c’est une pute, donc qu’elle ne se plaigne pas s’il lui arrive des embrouilles. » K. la viole à nouveau. Elle porte plainte. Et K. hérite de huit ans de réclusion.

Vivre dans le quartier lui devient impossible. Elle est la donneuse, la balance. Elle prend la tangente, s’en sort plutôt mal. Elle se décrivait ainsi dans sa traversée de l’après : « Galérienne, fugueuse, voleuse, fumeuse de teshi, buveuse d’alcool, chercheuse d’embrouilles à plein temps, "sortage" de mecs à tout-va. » Elle va de placement en foyer en petits boulots, de crise d’épilepsie en hosto psychiatrique, de bagarres entre filles en amours foireuses.

Samira entame une thérapie et décide de rendre publique sa vision des choses. Sa tchatche et sa fougue emportent l’adhésion. D’autant qu’elle ne joue pas les petites saintes, admettant qu’elle renverrait bien son violeur en prison, même s’il a payé sa dette à la société. Inquiète de la montée du fondamentalisme, proche des Ni putes ni soumises avec lesquelles elle avait marché, elle s’appliquait pourtant à ne pas jeter l’anathème sur tous les gamins des cités. Devenue éducatrice en banlieue, elle disait : « La cité, c’est plein de gens formidables qui essaient de s’en sortir courageusement. Car tous les petits gars de chez nous ne sont pas des violeurs, loin de là. » De l’association Ni putes ni soumises au ministre de la Cohésion sociale en passant par le PS, tous ont salué, hier, son courage et son engagement.

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