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L’écrivain Cesare Battisti sera fixé sur son sort le 30 juin

Publie le mardi 18 mai 2004 par Open-Publishing

LE MONDE

L’avocat général a réclamé l’extradition de l’ancien activiste italien.

"Vous êtes Cesare Battisti ?" Il opine de la tête, tandis que ses avocats demandent pour lui une chaise. Ils pressentent, à juste titre, que, ce mercredi 12 mai, devant la chambre de l’instruction de Paris, la bataille d’arguments juridiques entre le parquet général, qui demande l’extradition de l’écrivain, et ses avocats français et italiens, qui la jugent "inique", va être longue. Cesare Battisti s’assied donc devant sa fille et quelques membres de sa nouvelle "famille" élargie : les écrivains Fred Vargas et Dan Franck, le secrétaire national des Verts, Gilles Lemaire, les quelques élus parisiens - Verts, communistes, socialistes - qui l’accompagnent lorsqu’il va pointer au commissariat pour son contrôle judiciaire.

La défense a ménagé un petit effet de surprise. Le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, Me Paul-Albert Iweins, se lève et demande la parole en préambule au président de la chambre, Norbert Gurtner. "Nous avons été émus par un certain nombre de propos contenus dans une note verbale de l’ambassade d’Italie où il est allégué que votre chambre a statué en 1991 sur des motifs erronés, au vu d’éléments fallacieux. Je trouve outrageant qu’une note laisse à penser que tous les avocats sont des escrocs. Les diplomates, d’habitude, contrôlent leurs mots." -"Nous avons compris, M. le bâtonnier", clôt le président.

En quelques réquisitions ramassées, l’avocate générale, Sylvie Petit-Leclair, requiert l’extradition. Elle ne veut surtout pas faire de politique. "Votre juridiction est saisie d’une demande. Elle doit faire abstraction de considérations politiques, quelle que soit l’époque où elles ont été formulées", glisse-t-elle, sans citer la "doctrine Mitterrand" de 1985, qui protégeait les réfugiés italiens. Certes, la même cour d’appel a émis un avis défavorable à l’extradition en 1991. Mais elle estime qu’un fait nouveau est intervenu : la demande ne se fonde ainsi plus sur des mandats d’arrêt mais sur trois condamnations, dont l’une datée de 1993. Elle assure que s’il est extradé, l’écrivain sera protégé. "Il m’apparaît qu’une personne condamnée par contumace en Italie peut obtenir dans le cadre des juridictions de ce pays un recours et une nouvelle audience pour que les faits soient à nouveau jugés s’il démontre qu’il n’a pas pu se défendre correctement ou s’il n’a pas été avisé des étapes de son procès", précise-t-elle. Enfin, elle insiste sur la nouvelle confiance qui se serait installée au sein de l’Union européenne juridique, "consacrée par le mandat d’arrêt européen".

La défense n’est d’accord sur rien. Elle répond ce mardi avec assaut de citations de professeurs émérites. Pour Me Irène Terrel, on juge les "mêmes faits" et il n’est pas question de "confondre faits et titres", comme le fait le parquet. "Il y a des dizaines de personnes dont les titres ont changé. Les demandes d’extradition pourraient être massives !" Pour elle, la demande viole "incontestablement" la règle du non bis in idem, selon laquelle nul ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits.

Enfin, la défense de M. Battisti assure, arguments à l’appui, que rien, dans la procédure italienne, ne prévoit de rejuger M. Battisti s’il était extradé. "J’ai entendu des mensonges dans la bouche de notre ministre de la justice", lance Me Terrel, qui souligne le paradoxe qu’il y a à protéger, dans la loi Perben II du 9 mars, l’accusé contumax, et à faire confiance à la contumace italienne, alors qu’elle a "toujours fait condamner l’Italie par la Cour européenne des droits de l’homme".

Surtout, Me Terrel ne veut pas mettre la politique entre parenthèses. "Il n’y a aucun fait nouveau, si ce n’est des accords plus ou moins occultes entre deux ministres", avance-t-elle. Elle rappelle les interventions publiques de Dominique Perben, "alors qu’il expliquait, dans l’affaire Juppé, qu’il n’était pas dans son rôle d’intervenir". Elle feint d’hésiter, soupèse son silence : "Déjugez vos collègues pour des raisons politiques, ce serait... je n’ose même pas le dire... Il y a séparation des pouvoirs en France." Et conclut :"Je trouve indigne que l’on vous ai saisis et que l’on vous demande de dire le contraire de ce que vos collègues ont dit en 1991 (...). M. le président, mesdames, les gouvernements passent, l’Histoire jugera".

Avant de lever la séance, le président donne la parole à Cesare Battisti. Sans le dire, sans la regarder, on devine qu’il veut répondre à l’avocate générale et à la petite phrase qu’elle a laissé échapper. "Cesare Battisti n’est pas ici depuis si longtemps, 1991, avait lâché Mme Petit-Leclair. Et si sa famille, ses enfants sont installés ici, je crois avoir lu que le Mexique est aussi son pays de prédilection. Je ne crois pas que la France soit un pays qu’il adore particulièrement et que, s’il devait le quitter, cela ne représenterait pas un trouble insurmontable", avait-elle ajouté. "J’étais au Mexique. Je suis venu ici parce que la France m’accordait un statut de réfugié", dit seulement l’écrivain italien avec ses mains et son petit accent. "C’est pour ça que je suis venu. J’ai profité de l’occasion. Si aujourd’hui on me dit que Battisti, il serait aussi bien ailleurs, je n’ai plus rien à faire...". Il marque un temps. "Ailleurs, pour moi, c’est la prison à vie." Il sera fixé sur son sort le 30 juin.

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