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L’émouvant retour des Chagossiens au paradis de leur naissance

Publie le samedi 6 mai 2006 par Open-Publishing
3 commentaires

RÉCIT D’OLIVIER BANCOULT, PRÉSIDENT DU GRC

Publié dans l’édition du samedi 6 mai 2006
Temoignage .

Le mois dernier, un groupe d’une centaine de Chagossiens a fait le voyage tant attendu vers l’archipel qui les a vus naître et d’où ils ont été chassés, dans les années 60, par une coalition de marchands de canons. Le temps d’un court séjour, les armes se sont effacées pour faire droit aux souvenirs.

CHAGOS

OLIVIER Bancoult, président du Groupe des réfugiés des Chagos (GRC), a l’émotion pudique mais il est, comme ses compatriotes, bouleversé par ce qu’il vient de vivre. Il est à nouveau en escale au Port, sa « deuxième maison ». Michel Séraphine, qui représente le maire du Port, Jean-Yves Langenier, rappellera que c’est du Port, en 1989 - 20 ans après leur déportation - que les Chagossiens ont “internationalisé” leur lutte, faisant connaître la formation du GRC et ses objectifs.
Au milieu de ses amis et camarades portois - dont Michelle Picardo, la plus Chagossienne des Réunionnaises peut-être - il raconte.
Le déracinement, le début du cauchemar - à partir de 1965 -, la déportation, l’exil. Et la lutte.
La lutte des femmes d’abord, auxquelles Olivier Bancoult, arrivé à Maurice à l’âge de 4 ans, doit son propre engagement. « Nous ne demandons que le droit de vivre sur notre terre natale », dit-il. C’est ainsi qu’a commencé leur long combat, dans le désarroi de l’exil mauricien. Presque 40 ans d’« un parcours remarquable » : les procès, le chemin toujours poursuivi dans l’espoir de retourner vivre aux Chagos.
Et enfin, à force d’obstination, ce qu’ils désiraient tant s’est produit : un accord entre les gouvernements britannique et mauricien, et un voyage dans l’archipel, du 30 mars au 10 avril 2006. Il y aurait un livre à faire sur toute la patience qu’il leur a fallu pour en arriver là.
« Ce n’est pas tombé du ciel », dit Olivier Bancoult. Pragmatique, il s’en tient à un récit sobre et pudique, en guise de remerciement pour ses « amis portois ».
Il est revenu avec des photos, le “carnet de bord” tenu par l’un des 2 religieux mauriciens qui les accompagnaient, le révérend Mario Li Hing et des objets dont il donnera la clé le moment venu.

Joie et tristesse mêlées

Ce furent d’abord 4 jours en mer : joie et tristesse mêlées, note le carnet de bord. Et dès le 3ème jour, une cérémonie à la mémoire de ceux qui n’étaient pas arrivés au bout du 1er voyage, soit qu’ils se soient jetés par-dessus bord (pour 3 d’entre eux, qui refusèrent l’exil), soit que la traversée leur ait été mortelle.
Chaque moment de la traversée, puis chaque moment passé sur les 3 îles de Salomon, Peros Banhos et Diego Garcia fut intense pour le groupe, composé des quelques-uns des plus anciens de la communauté chagossienne, qui faisaient le voyage à l’envers - telle Rita Bancoult Isou, 81 ans (la plus âgée du groupe), Lisette Talade ou encore Charlesia - et de parents de ceux qui n’avaient pu faire le voyage. Ainsi, le plus jeune du groupe, William Tiatouche, né à Peros Banhos il y a 33 ans, a été l’un des derniers à quitter l’archipel avec sa famille, à l’âge de 2 mois.
Ils ont trouvé les îles de Salomon, où beaucoup étaient nés, et de Peros Banhos dans l’état d’un « paradis laissé à l’abandon », a dit Olivier Bancoult : une végétation folle, le cimetière à l’abandon, l’église en ruine. Partout ils se sont fait un devoir de nettoyer les tombes, déblayer les ruines et rendre hommage aux ancêtres autour de stèles dressées sur leur passage : autant d’actes pour lutter contre l’effacement de leur culture, de leur histoire. À Peros Banhos, où est né Olivier Bancoult, ils ont déblayé 2 tonnes de débris dans les ruines de la chapelle et retrouvé certaines des habitations d’où les familles ont été chassées.
Parti à l’âge de 4 ans avec sa mère qui le tenait par la main, celui qui est aujourd’hui le président du Groupe des réfugiés est revenu avec sa mère, Rita, 81 ans. Ensemble ils ont retrouvé la maison familiale, envahie par la végétation, et exhumé 2 objets inespérés, rongés par la rouille et l’oubli : la tête de pioche du père d’Olivier et la bouilloire de Rita, sa mère. Deux trophées arrachés à l’abandon.

Une ville américaine à Diego Garcia

Diego Garcia est la seule île habitée aujourd’hui. Les Chagossiens y ont découvert... une ville américaine, peuplée d’environ 12.000 militaires et civils britanniques et états-uniens, et de travailleurs mauriciens ou philippins. Depuis le début de cette année, 3 Chagossiens font partie des contractuels qui travaillent sur la base. Au moins les traces de la vie chagossienne ont-elles été plus ou moins entretenues, à la différence des autres îlots, distants de plus de 100 km.
Le groupe a longé des entrepôts d’armements, B52, missiles, bombes, porte-rockets... tous engins de mort pour lesquels on a fait partir les Chagossiens. Ils ont trouvé le cimetière de la Marianne amputé, pour laisser passer la piste d’atterrissage et ont exprimé leur protestation dans une lettre au gouvernement britannique.
Ce voyage était le premier. Olivier Bancoult pense qu’il ne sera pas le dernier. Les Chagossiens veulent revenir - la date de septembre 2006 a été évoquée - pour restaurer les sites endommagés, inscrire au moins les ruines de leur vie effacée dans son écrin de verdure, redresser les croix cassées, couvrir les églises... Tout un chantier les attend.
Pour cela, et pour l’avenir, de nouvelles épreuves judiciaires sont à passer : un appel devant le tribunal de Washington et s’il le faut, devant la Cour Suprême ; une décision de la Cour de Londres sur leur contestation de la loi privée britannique prise en 2004 pour leur interdire le retour.
Olivier Bancoult est serein : « Nous avons droit au retour, droit aux compensations », exprime-t-il. Leur lutte leur a valu le droit à la citoyenneté britannique - qu’ils n’avaient pas demandé. Elle ouvre aux jeunes Chagossiens sans perspective à l’Île Maurice, les portes d’une échappée vers l’Europe. Elle leur permettra peut-être aussi, un jour, de saisir la Cour de justice européenne. Le combat continue.

P. David

Messages

  • additif pour comprendre :

    Les îles sont découvertes au début du XVIe siècle par une expédition portugaise faisant route vers l’Inde.
    1776 : François de Souillac, alors gouverneur français de la colonie regroupant l’île Maurice, les Seychelles et la Réunion, décida d’occuper les Chagos, encore désertes. Il y envoya des colons français et des esclaves africains. L’île Diego Garcia fut une léproserie pour les malades de l’île de France (île Maurice aujourd’hui).
    1814 : Toutes ces îles, exceptée la Réunion, devinrent britanniques.
    1835 : L’esclavage est aboli. Mais les ancêtres des Chagossiens actuels ne purent acquérir de terres, tous les titres de propriété ayant déjà été vendus à des compagnies françaises dont les Chagossiens demeurèrent les employés jusqu’à l’exil.
    Avec l’ouverture du canal de Suez, l’archipel prend une importance stratégique puisqu’il sert de réservoir de charbon pour les navires allant de Grande-Bretagne vers l’Australie.
    Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Royal Air Force britannique s’en sert comme base contre les sous-marins japonais dans l’océan Indien.
    Après 1945, elle permet au Royaume-Uni de surveiller les routes commerciales, dont celles des pétroliers super tankers, trop gros pour pouvoir passer par le canal de Suez.
    Dans les années 1960, avec l’intérêt états-unien pour ces îles, plusieurs changements ont lieu :
    En 1965, le gouvernement de Londres constitue le territoire britannique de l’océan Indien (British Indian Ocean Territory).
    L’île Diego Garcia est louée aux États-Unis pour un bail de cinquante ans, renouvelable pour 20 ans (donc, jusqu’en 2016). En échange, le Royaume-Uni peut acheter des missiles fusées Polaris à prix réduit. En 1971, le gouverneur britannique des Chagos édicta que : toute personne désirant séjourner dans l’archipel ne pouvait le faire qu’avec une autorisation spéciale. Celle-ci ne fut accordée qu’à des militaires britanniques ou états-uniens de la base de Diego Garcia. Les 1100 Chagossiens, bien qu’autochtones, n’eurent pas cette autorisation et furent exilés par la ruse et la force, ils se retrouvèrent aux Seychelles et à Maurice. Analphabètes et sans formation, ils peuplèrent les bidonvilles de Port-Louis. En 2000, la Haute-Cour de justice du Royaume-Uni donna raison aux 8500 descendants des Chagossiens expulsés. Elle leur accorda le statut de citoyen britannique, donc de l’Union européenne, et une indemnisation financière. Une plainte contre le gouvernement des États-Unis est toujours en cours.

  • J’ai vu il y a quelque temps un reportage sur ces gens qui ont été déplacés sans demander leur avis, sans prévoir un accompagnement au point de chute, comme des cailloux.
    C’est vrai que ce "retour" nous laisse plein d’espoir, d’émotion mais aussi plein de haine aussi contre ces institutions qui n’ont vraiment rien à foutre du genre humain.
    Putain ! Le nombre de combats à livrer contre les injustices, les misères, les violences, tous ces néants me semble si astronomique que parfois les bras m’en tombent.
    JP

  • EH OUI !!!

    Claude et JP, je serais toujours à vos côtés pour dire notre solidarité avec tous les peuples du monde en lutte pour leur dignité et la justice sociale.

    Oui, il y en a tant, des combats à mener, pour faire triompher cette exigence pourtant si simplement universelle !!!

    NOSE DE CHAMPAGNE