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LA NOUVELLE LOI ANTITERRORISTE US : "C’est une régression de huit cents ans"

Publie le samedi 30 septembre 2006 par Open-Publishing
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Propos recueillis par Sophie Besse

’’C’est une régression de huit cents ans’’ par Reed Brody, directeur du bureau européen de Human Rights Watch

Que dénoncez-vous dans le texte en cours d’adoption ?

 Deux choses. Ce texte dit que les "combattants ennemis" n’ont pas le droit de saisir les tribunaux pour contester la légalité des conditions de leur détention. Il constitue une remise en cause de piliers du droit anglo-saxon comme la Magna Carta ou l’Habeas Corpus (contre l’emprisonnement arbitraire). C’est une injustice flagrante et une régression de huit cents ans.
Le texte donne aussi au président des Etats-Unis le pouvoir d’interpréter le "sens et l’application des Conventions de Genève" (de 1949 qui codifient les droits et les devoirs des combattants et des civils en temps de guerre). La Cour Suprême des Etats-Unis avait infligé un revers au président américain en juin 2006 en décidant que la prison de Guantanamo était couverte par Genève et que les décisions des tribunaux militaires bafouaient ces conventions. La Cour s’est appuyée sur les arguments de professeurs de droit international, du CICR (Comité international de la croix rouge) et surtout sur la jurisprudence de tribunaux ad hoc comme la Haye. Le droit américain et les conventions de Genève interdisent les mauvais traitements. George W.

Bush estime que leurs termes sont vagues. Le texte de loi dit que l’interprétation du président prime, ce qui peut avantager un fonctionnaire américain accusé de mauvais traitements.

Comment lutter contre le terrorisme dans le respect des droits de l’Homme ?

 Outrepasser le cadre légal n’est pas nécessaire pour lutter contre le terrorisme. Loin de nous assurer contre des attaques, les humiliations systématiques des détenus musulmans aux Etats-Unis font au contraire l’affaire des djihadistes. Dans la lutte contre le terrorisme, il faut être intransigeant mais certaines méthodes sont illégales, et génèrent des risques.
La question se pose de savoir s’il sera possible d’attaquer le texte en justice. Un détenu pourrait tenter de saisir un tribunal, la Constitution américaine stipulant que c’est un droit. Une telle procédure prendra alors des années. Il a fallu trois ans pour que la Cour Suprême statue sur Guantanamo. Mais cette décision a aussi montré la force de la démocratie américaine. Le système constitutionnel du partage des pouvoirs rend les dérives plus difficiles.

Est-il possible de renverser ce nouveau mécanisme ?

 Les responsables des exactions d’Abu Ghraïb ne sont pas les simples soldats mais leurs supérieurs, Ricardo S. Sanchez, le commandant des forces terrestres de la coalition en Irak, ou Donald Rumsfeld, le secrétaire américain à la Défense, qui a autorisé des méthodes en violation du droit international. Il existe suffisamment de preuves pour qu’une instruction judiciaire soit ouverte contre l’ex-directeur de la CIA George Tenet par exemple, mais il est clair que le gouvernement ne peut pas déposer les plaintes. Aux Etats-Unis, seul le gouvernement peut attaquer le gouvernement. Les agents de la CIA qui auraient autorisé les mauvais traitements, les décideurs craignent qu’une administration démocrate élue après George W. Bush ne poursuive les républicains. Mais je n’y crois pas vraiment, cela ne fait pas partie des traditions américaines. Quand la majorité change, on passe à autre chose.

http://permanent.nouvelobs.com/etranger/20060929.OBS4134.html