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La France et la Constitution Européenne : dérive historique.

Publie le dimanche 10 avril 2005 par Open-Publishing
3 commentaires

de René Boulanger Journal Le Québécois

 "Article 1-6 :La constitution et le droit adopté par les institutions de l’union, dans l’exercice des compétences qui sont attribuées à celles-ci, priment le droit des États membres."
 « Article 1-12 : les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l’union n’a pas exercé la sienne ou a décidé de cesser de l’exercer."

Après les Espagnols, les Français sont conviés en mai à approuver un projet de Constitution confirmant l’existence d’un État supranational qui supplante les Nations Européennes comme dépositaires de la souveraineté des peuples. Après l’intégration économique et monétaire, il n’est pas surprenant que les apôtres d’une puissance-Europe en viennent à promouvoir la fusion politique. Mais c’est trancher bien vite un débat qui méritait plus d’approfondissement, à savoir le choix entre une communauté d’États Souverains travaillant main dans la main en pleine coopération et un super-État qui impose ses politiques à un ensemble de nations inféodées.

Il n’y a pas d’autre mot qu’inféodation pour décrire le statut que la France s’apprête à acquérir. Vu du Québec, d’où j’écris, cette vision d’un avenir français est assez troublante. Quel contraste avec la France de la crise Irakienne qui révélait au monde le degré de résistance exemplaire que cette puissance moyenne pouvait opérer face à la nouvelle mutation impérialiste de l’hyper-puissance américaine ! Les Etats-Unis ont aujourd’hui les yeux fixés sur le Moyen-Orient mais on le découvre, sur l’Afrique, aussi. Or la France a des responsabilités post-coloniales, face à ses anciennes colonies, c’est d’empêcher la déstabilisation de tout un continent mitraillé par les diktats du FMI et soumis aux assauts d’une politique américaine de pénétration qui vise à se fabriquer des États-Clients au détriment de la paix dans le monde et au bénéfice de la nouvelle droite pétro-religieuse américaine.

Aussi, en renonçant à son rôle de puissance moyenne au profit d’une méga-Europe indifférente aux incursions politiques, économiques et culturelles de l’empire américain, c’est peut-être la francophonie que la France abandonne en s’abandonnant elle-même. Et tout ça pour pas grand-chose.

Car malgré les apparences, l’Union Européenne restera pour les 50 prochaines années, un nain politique face à Washington, parce que la moitié de ses membres sont encore des États-Clients des Etats-Unis et apportent, secondent ou promeuvent au sein de l’Union la vision américaine. En sacrifiant son indépendance à cette puissance illusoire, la France devient un nouveau Gulliver attaché par les milles liens des Lilliputiens au service du méga-capital.

Imaginons, la crise en Irak, si l’Union Européenne avait parlé au nom de la France comme le prévoit la nouvelle Constitution. C’est la politique de Berlusconi et de José Maria Aznar qui aurait prévalu et la France aurait dû s’incliner devant cette pseudo-démocratie de coquins et de requins qui contrôlent chez eux les grands medias d’information. Puisque la Constitution prévoit l’intégration militaire et l’harmonisation obligatoire de la politique étrangère, la France risque de ne devenir qu’un simple figurant sur la scène internationale. Et tout cela pour une Europe qui joue déjà faux.

Pourtant, le simple rapprochement avec l’Allemagne et la formation d’une force d’intervention commune apportent à ces deux États l’assurance d’être parmi les quatre ou cinq premières puissances de la planète. Pourquoi sacrifier cette formule à celle d’une Europe gangrenée par le clientélisme Yankee ?

Vu du Québec, ce renoncement est encore plus désespérant, d’abord parce qu’il fournit des arguments inespérés au camp fédéraliste qui invoquera l’exemple européen pour contrecarrer notre projet d’indépendance. Mais au-delà de ce désagrément, il y a surtout que le Québec a besoin d’un bloc francophone rayonnant et agissant pour faire contrepoids à l’envahissante culture américaine. Or l’Europe qui se construit sera monstrueusement anglophone, pour la bonne raison qu’elle l’est déjà. 70% de la documentation et des communications de l’Union procèdent de l’anglais. Dans ses négociations avec les pays francophones de la zone Caraïbes-Afrique-Pacifique, l’Union impose aujourd’hui l’Anglais comme langue d’échange et de communication. Cet usage si répandu et si effronté de l’Anglais dans les institutions de l’Europe nous montre bien qu’elle n’est pas construite par des humanistes et des lettrés mais par une cohorte de managers rompus au monde des affaires et du commerce pour qui la mise en marché des produits et la mainmise sur les ressources de l’État représentent le sommet de la démocratie. Cette utilisation de la langue des boss, au détriment d’une des plus grandes langues universelles, non seulement me désole mais elle me remplit de dégoût. On ne parle pas ici de la langue de Shakespeare ou de Lord Byron, mais de celle de Mac Donald et de Walt Dysney.

Cette Europe forgée pour gaver les peuples d’un bonheur préfabriqué dans les agences de publicité et de marketing, elle trouve des défenseurs chez les socialistes, les mêmes qui ont sacrifié des milliers d’acres de terre nourricière pour accueillir le temple suprême de l’aliénation qu’est Euro-Dysney. Elle reçoit l’appui de la majorité présidentielle, et pour dire d’un nombre effarant de personnalités ou d’intellectuels habitués à faire l’opinion dans l’hexagone. Tous ces bien-pensants énoncent le merveilleux progrès social que promet le nouvel ordre constitutionnel. Droit des femmes, droit des minorités, droits sociaux, tout y passe ! Ça ressemble à l’euphorie idéaliste qui a présidé à la naissance de l’URSS. Personne n’invoque l’histoire, celle qui montre que toutes les fédérations de peuples ont échoué dans le vingtième siècle, parce que la souveraineté perdue a toujours été le problème en suspens qui a fait éclater ces fédérations. L’Europe des souverainetés était à ce jour la réponse à cette contradiction fatale. Mais que vaut la souveraineté, professent les liquidateurs, face au progrès de l’homme ?

Discours très fort mais que nie la réalité. Exactement comme lorsqu’ éclate une bulle boursière, une directive émise à l’automne par un bonze de l’Union Européenne a contribué à la naissance d’un courant de gauche pour le non. C’est la directive Bolkestein qui donnait le droit aux entreprises d’adopter partout en Europe la législation sociale de leur pays d’origine. Le vieux Parti Communiste Français est entré dans la bataille. Ce parti presque marginal aujourd’hui, est devenu le plus virulent critique de la Constitution Européenne. Alertés par le vieux PCF, les Français se sont mis à lire la Constitution proposée. Plus ils la lisent, plus ils sont contre. Le discours du progrès masquait une formidable entreprise de libéralisation étendue à l’ensemble de l’Europe. Le problème toutefois, c’est que cela reste un faux débat. La vraie question n’est pas celle du néo-libéralisme face à une Europe sociale mais celle de la souveraineté des peuples. La liberté des peuples n’est pas moins importante que la question sociale. Elle transcende toutes les autres questions.

Comment expliquer un tel renoncement ? Pour dire, cela reste un mystère. La France fut un empire autrefois et elle le fut au détriment de bien des libertés. Et maintenant, que se joue sa propre liberté, on dirait que les réflexes ne jouent plus. Il reste que cette civilisation déborde celle de ses frontières. Elle nous intéresse au premier degré. Si les Français laissent l’Américain devenir la culture de l’Europe et leur pays devenir un fief féodal pour politiciens de la magouille, le Québec ne manquera pas de trouver d’autres solidarités dans sa démarche vers l’indépendance mais le combat sera plus rude. La civilisation que nous partageons avec cette vieille France exige encore un effort d’elle pour empêcher le déclin irréversible. Pour l’instant, un brouillard de formules creuses remplace chez elle le véritable travail de la pensée. La médiocrité s’étale ! Mais nous ne parlons ici que du monde politique et médiatique ! Si mes informations sont bonnes, il semble que ce soit le Non qui domine les intentions de vote. Il existe donc encore un peuple qui s’interroge comme peuple. Fort bien si ce projet est rejeté, mais il restera toujours que ce projet a existé. L’Europe des multinationales trouvera bien un moyen de saboter à nouveau l’Europe des peuples. À moins qu’une renaissance politique et surtout culturelle, jaillisse de ce choc causé par la volonté de mise en cage de la liberté nationale. À supposer que ces mots veuillent encore dire quelque chose.

fontarabie@yahoo.ca

Messages

  • Je souscris complètement à l’analyse de ce texte.Le peuple de France est devenu un troupeau bêlant, derrière un leader minable.Plus aucune vision intérieure ni extérieure, la politique nationale est au point mort ,les citoyens sont anesthésiés et le réveil risque d’être terrible, à force d’accumuler les frustrations , j’ai bien peur, que le réveil se fasse sans raison, dans la plus grande anarchie. La France est malade et ruinée, ses élites bichonnées pendant des générations ne sont plus à la hauteur des enjeux, ni moraux, ni pratiques.
    Il nous faut impérativement un nouveau leader, avant l’éclatement de la Nation entre races, entre classes sociales, entre générations.

    • Moi je n’y souscris pas du tout. C’est du "souverainisme" pur. Ce qui n’est pas étonnant puisque c’est au Quebec, que le mot fût inventé. Et ce n’est pas qu’une question linguistique. Il faudrait évoquer l’histoire du Quebec moderne, depuis les années 20,30 et le populisme chauvin et xénophobe qui s’articula autour de l’identité linguistique française. Le grand leader québecquois de l’époque, dont j’ai oublié le nom, était admiré par Salazar et toute une frange de la droite conservatrice-réactionnaire européenne. Le De Gaulle maurassien des années 30 prenait ce leader quebecquois en exemple pour ses vue de l’organisation de "l’empire français" : une domination "française" basée, non sur une différentialisme ethnique ou ethniciste-biologique (modèle nazi ou apartheid afrikaaner), mais sur la "francophonie" et la maîtrise très hiérarchisée des "niveaux de langue". Cela ayant conduit à former des élites parfaitement intégrées à la "culture française" (Senghor, Houphouet etc.), "pensant dans la même langue et avec les mêmes idées que la classe dirigeante française. Une stratégie, afin de, tout en se déployant dans la "mondialisation" (qui n’a pas commencée avec l’élection de Bush !), maintenir des identités nationales extrêment fortes, (articulées sur une certain vision du patrimoine culturel et linguistique), base de la dominiation de classe de ces bourgeoisies. C’est cela le "souverainisme". Et si l’on lit un peu attentivement l’article, il est évident qu’il est souverainiste. Parce que le souverainsisme est l’idéologie cachée de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie ( le "prolétariat" est aphasique. Il n’y a donc pas d’idéologie prolétarienne, puisque l’idéologie est bavardage. Par contre ce n’est pas un complet pléonasme, puisqu’il y a des idéologies aristocratiques, paysannes...). Le projet de traité constitutionnel lui est même est en fait "souverainiste" au sens que j’ai, rapidement, indiqué. le problème est que parmi les groupes "rivaux" intra-européens, on se sait pas encore très bien qui, dans 10 ou 20 ans, sera le "nègre de l’autre", c’est à dire celui qui sera la victime, du souverainisme de l’autre.
      Celui qui impose son code, son jargon, son lexique, ses référentiels, sa syntaxe, sa technique (=discours), bef son langage, et qu’il parvient à persuader l’autre à renoncer à son propre langage pour adopter celui de l’autre, alors ce dernier aura toujours "un métro de retard", et sera sous la domination du premier. La sélection scolaire, de la maternelle à Polytechnique ou à la prison de Fleury-Mérogis, ne fonctionne pas autrement. Le langage et les codes sont enjeu de pouvoir. Dénier à l’autre la qualité de son langage, de sa langue même ( voir l’offensive actuelle médiatique sur la pauvreté du langage des cités : "ils ne parlent que 400 mots, au lieu des 2500 règlementaires. ce sont presque des singes madame !"), en lui offrant de l’éduquer dans son propre langage, sa propre langue, voilà un moyen de domination qui vaut toutes les armées d’Alexandre, de César et de Bush, toutes les polices inquisitoriales, nazies et "soviétiques". c’est le secret de la domination qu’avait révélé au 16ème siècle un penseur comme Etienne de la Boétie.
      Plus trivialement, dans une entreprise, qui commande ? et qui a la légitimité de commander ? On ne brandit pas à tout instant devant l’ "opérateur" les titres de propriétés du capital et de ses délégations de pouvoir et la menace de licenciement (sinon cà ne marcherait en fait pas ! On ne le fait qu’au moment de "crise"). C’est le monopole de l’expertise, de l’information, de la maîtrise dans la compréhension des codes de procédures, qui permet au chef d’ordonner à l’ "opérateur" de faire ceci ou cela, et ce dernier, de s’exécuter.
      Courte contribution très brève, et il faut le dire, sans doute un peu "confuse".
      Références bibliographiques : Jacques Rancière ("la nuit des prolétaires", "le maître ignorant") ; Immanuel Wallerstein (tout ce qui est disponible en français) ; Etienne Balibar ( "Race, classe et nations") ; Pierre Bourdieu ( "la reproduction - critique de la faculté du jugement de goût", "les héritiers") ; Claude Lefort ( commentaire du "contr’un" de la Boétie, commentaire de "la société contre l’Etat" de Pierre Clastres, commentaire de l’oeuvre de Machiavel)
      Exhaurer les fondements, les fondations, qui par nature, ne sont pas toujours visibles ou cachés. Voilà le commencement de la compréhension.

  • cela fait énormément de bien quand on voit la désinformation qui ce fait dans les médias audiovisuels français. nous sommes désolés de la disparition du pape et de rainier III mais pendant que l’on nous innonde sous les reportages de ces deux personnalité, nous n’avons plus d’autre information que ces deux la.ce soir nous avons droit à un show de notre "cher président" qui va vendre le "oui" et nous traiter encore de benêt qui ne comprennent rien et surtout sommes contre le progrés. mais c’est un enterrement de première class si nous acceptons cette constitution, et nous engagerions l’avenir de nos enfants sans qu’ils puissent avoir leur mot à dire puisque nous aurions muselé leur libre arbitre.

    mais ce qui me rassure c’est de voir le pourcentage important pour le "non" malgré la publicité pour le "oui" démontre que le français reste tout de mème dur à manipuler, surtout lorsque l’on veut l’obliger à faire ce dont il n’a pas envie.

    je suis ravie que des personnes externes à l’europe voit comme beaucoup d’entre nous le gros risque que nous encourons si cette constitution était enterinée.