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"La guerre contre l’Irak" par des familles américaines

Publie le mardi 1er avril 2003 par Open-Publishing

La guerre contre l’Irak

vue et vécue par des familles américaines

" Elle est devenue tout ce que nous redoutions "

( un enseignant de l’Etat de New York )

"C’est une épreuve jour après jour. Pensez à ces jeunes femmes et à ces jeunes hommes. Ils mettent leur vie en jeu pour des raisons qui leur échappent". Alberto Salazar, 42 ans, est ingénieur dans l’aéronautique et vit sur l’île de Whitney, non loin de Seattle, dans l’Etat de Washington. Son fils, Éric, est dans la marine. "J’ai eu la chance de lui parler au téléphone hier - samedi 29 mars -. Son navire se trouve au large du Koweït. Il fait partie de l’équipage d’un hélicoptère ; il y a des moments où leur moral est bon et d’autres faible. La situation est tellement confuse. Avec ma femme, nous ne venons pas d’un milieu militaire. Nous n’avons pas d’expérience de ce genre de situation et nous ne voulions surtout pas en avoir. Alors nous subissons, avec de plus en plus d’angoisse."
"A chaque fois que j’entends, à la télévision ou à la radio, le mot hélicoptère, je sursaute un peu", avoue Jeffrey McKenzie. Lui vit à Gasport, dans l’Etat de New York. Il est enseignant, cofondateur d’une association baptisée "Military Families Speak out" (Les Familles de militaires s’expriment). Ce groupe soutient les proches des soldats et les encourage à prendre la parole et à exprimer leurs doutes sur la guerre, même s’ils sont minoritaires et si certains leur reprochent de trahir les leurs.
"Mon fils Jeremy est un marine ; il est capitaine, raconte-t-il. Il dirige une unité d’assistance médicale et pilote un hélicoptère Blackhawk, explique Jeffrey. Je me souviens, dans les premiers jours du conflit, on nous a annoncé, un soir, qu’un appareil similaire s’était écrasé ou avait été abattu. J’ai attendu dix heures avant de recevoir, le lendemain à 8 h 30, un courrier électronique m’annonçant qu’il était en vie. La nuit a été longue."
M. McKenzie ne veut pas s’apitoyer sur son sort. "Tous les proches de soldats sont dans cette situation et, parfois, c’est bien pire. Je ne sais pas exactement où est mon fils ; il ne peut pas me le dire. Il m’a envoyé un message aujourd’hui -samedi 29 mars- pour me raconter qu’il avait transporté beaucoup de civils irakiens blessés dans des hôpitaux. Cela me réconforte un peu de savoir qu’il contribue à diminuer les souffrances."
Jeffrey McKenzie dresse un premier bilan de cette guerre que "nous n’avons pas pu empêcher". "Elle est devenue tout ce que nous redoutions, dit-il,meurtrière, acharnée, longue, avec de lourdes pertes parmi les militaires et les civils et cette haine de l’Amérique qui grandit. Et cela va durer."
L’enseignant continue à militer, à manifester contre le conflit et à soutenir les familles. "Les gens réagissent très différemment en fonction de leur personnalité, de leur caractère, de leurs peurs,ajoute-t-il. Certains ne peuvent plus supporter d’entendre ou de voir les informations à la télévision et d’autres ont les yeux rivés sur l’écran 20 heures sur 24."
Alice Copeland Brown, 65 ans, de Canton, dans le Massachusetts, refuse " de se laisser dominer par les émotions". Son fils David, 44 ans, est major quelque part en Irak. Elle s’en prend avec véhémence au gouvernement. "Nous sommes exactement dans la situation où nous ne voulions pas être, avec une guerre d’usure, de guérilla. Il fallait être simple d’esprit comme Donald Rumsfeld et les généraux pour ne pas prévoir que les Irakiens allaient adopter la seule stratégie possible pour résister. Celle du faible au fort. Qui va en subir les conséquences ? Nos pauvres soldats, comme d’habitude, comme au Vietnam. Derrière les beaux discours sur la bravoure et le sacrifice, il n’y aura rien, des pensions misérables et une médaille de pacotille pour ceux qui rentreront."
Mme Copeland Brown a longtemps travaillé pour l’industrie militaire. Elle affirme que "la sécurité des soldats est le dernier des soucis des marchands de canons et du Pentagone. Je sais de quoi je parle. Ceux qui se battent et ceux qui dirigent les entreprises et le pays n’appartiennent pas au même monde."
Steve Fryburg éprouve aussi un sentiment d’injustice. Il vit à proximité de Dayton, dans l’Ohio, ou il tient un café. C’est un ancien militaire et un policier à la retraite. Son fils Sean est réserviste, ingénieur dans l’armée, aujourd’hui quelque part au Moyen-Orient. "Il était au Koweït, attaché à la 1re division de marines. J’espère qu’il y est toujours", dit-il.
"Même si nous sommes sincères en voulant libérer la population irakienne, ajoute l’ancien militaire, nous sommes perçus comme des envahisseurs et c’est cela la réalité. Vous ne pouvez pas sauver le village en le détruisant. Il est évident que, dans un combat contre la seule armée irakienne, nous gagnerons sans trop de problèmes. Je suis patriote, je soutiens nos troupes et mon fils. Saddam Hussein est un tyran sanguinaire. Mais quand vous mettez un régime le dos au mur, il utilise tous les moyens à sa disposition. Dans les villes, au milieu des civils, cela sera difficile, coûteux en vies et moralement difficile à assumer. Ma femme, Rosemary, le vit très mal. On se précipite le matin et le soir devant la télévision à l’affût de la moindre information. Je crains que les généraux ne sachent pas trop non plus comment cela va finir."
Rebecca Love a 24 ans. Elle travaille à Boston dans une compagnie d’assurances et n’a plus de nouvelles de son fiancé, Scott, 26 ans, qui sert dans les marines, depuis trois semaines. "Sa mère ne dort plus la nuit, dit-elle, et je tente de lui remonter le moral. D’après ce que je crois comprendre, son unité a dû se battre lors des derniers jours à Nassiriya."
" Je me force à suivre les informations ; c’est souvent très pénible, dit la jeune femme. Je me sens seule aussi. Je suis d’une famille conservatrice qui soutient George Bush et il est difficile de faire part de mes doutes sur cette guerre, ses objectifs, la façon dont elle est menée. Pour eux, ce serait trahir mon pays et trahir Scott. Je plains beaucoup nos soldats. Ils pensaient être accueillis en libérateurs ; ils pensaient revenir au pays pour la fête nationale du 4 juillet."