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La guerre des images

Publie le samedi 11 février 2006 par Open-Publishing
7 commentaires

de Serge Lefort

Jyllands-Posten serait le champion "de la liberté de la presse, de la laïcité républicaine et des droits de l’homme" Le Monde. Pourtant, depuis le 21 janvier, le très conservateur quotidien danois étale à la "une" un reportage sur le baptême d’un prince royal : photos, articles et vidéos. Ce petit détail illustre les vrais intentions de ce journal quand il a publié, il y a plus de trois mois, une caricature assimilant l’Islam au terrorisme. Il ne s’agissait pas, comme certains voudraient nous le faire croire, de dénoncer le poids du religieux dans la société, mais bien de stigmatiser la population musulmane. Victime d’une ségrégation sociale et politique, elle est soumise aujourd’hui, au Danemark comme en France, à une campagne haineuse contre sa culture qui, dans l’imaginaire occidental, serait liée au terrorisme.

Il paraît que les caricatures produites au Danemark furent le résultat d’un test pour mesurer le degré d’autocensure des artistes. Mais alors, pourquoi ne se sont-ils pas attaqués à la religion dominante de leur pays ? Pourquoi, au lieu de soutenir la politique de l’extrême-droite [1] très restrictive en matière d’immigration et de droits des étrangers au Danemark, n’ont-ils pas caricaturé la famille royale et l’Eglise Danoise. Pourquoi les valeureux journalistes français, solidaires de cette provocation, ne disent pas que :

Dans la Constitution il est écrit que "l’Eglise évangélique luthérienne est l’Eglise du peuple danois" et qu’elle est soutenue par l’État.

Lorsque l’on est baptisé à l’Eglise Danoise, on en devient automatiquement membre, mais chacun est libre de s’en retirer par la suite. Néanmoins, 90% des Danois sont membres de l’Eglise Danoise. Un enfant baptisé reçoit un certificat de naissance et de baptême où sont inscrits son lieu de naissance, sa date de naissance son numéro personnel (plus ou moins comme celui de la sécurité sociale) ainsi que l’identité de ses parents. Si l’on ne souhaite pas faire baptiser son enfant à l’Eglise Danoise, on doit tout de même s’adresser à un de ses bureaux pour recevoir l’attestation de naissance et d’identité. L’enfant n’est alors pas membre de l’Eglise Danoise, mais tous les enfants doivent avoir leur numéro personnel, un numéro que seule l’Eglise Danoise est habilitée à délivrer. L’attestation de naissance et d’identité contient le nom de l’enfant, son numéro personnel, ses lieu et date de naissance ainsi que l’identité de ses parents, et éventuellement si l’enfant est baptisé dans une autre Eglise. [2]

Quand les médias hexagonaux associent unanimement "le monde arabo-musulman" à l’Islam et au terrorisme, ils font la preuve d’un racisme social, politique et culturel et, de plus, ils mentent sciemment.

 Les six pays les plus importants, en terme de population majoritairement musulmane, sont l’Indonésie, le Pakistan, le Bengladesh, le Nigéria, la Turquie et l’Iran ; six pays non arabes.
 Si les peuples arabes sont majoritairement musulmans et de tendance sunnite, il ne faut pas oublier que pour beaucoup il s’agit plus d’une référence culturelle que religieuse et qu’il existe une minorité laïque trop souvent ignorée et très rarement soutenue.
 Enfin, il convient de rappeler que les grandes puissances, en premier lieu les États-Unis mais aussi Israël, ont depuis les années 1950 instrumentalisé les groupes islamiques. Les puissances occidentales ont armé, instruit et payé des groupes mercenaires se revendiquant de l’Islam pour faire la guerre à leur place. Ironie de l’histoire, les amis d’hier sont devenus les ennemis d’aujourd’hui [3].

Les médias, au Danemark comme en France, revendiquent hypocritement la liberté de la presse pour justifier leur racisme. Au nom de l’audimat, déguisé sous les trémolos de la république catholaïque, ils prônent une nouvelle guerre de religion avec les armes éprouvées de l’image. Cette technique n’est pas nouvelle. Elle fut largement utilisée par les puissances coloniales en Amérique au XVIe siècle, en Algérie et en Palestine au XXe siècle.

Pour des raisons spirituelles (les impératifs de l’évangélisation), linguistique (les obstacles démultipliés des langues indigènes), techniques (la diffusion de l’imprimerie et l’essor de la gravure), l’image exerça au XVIe siècle un rôle remarquable dans la découverte, la conquête et la colonisation du Nouveau Monde. Parce que l’image constitue avec l’écrit l’un des outils majeurs de la culture européenne, la gigantesque entreprise d’occidentalisation qui s’abattit sur le continent américain assuma - en partie du moins - la forme d’une guerre des images qui se perpétua pendant des siècles et dont rien n’indique qu’elle soit close aujourd’hui [4].

Un exemple, parmi d’autres, de ce racisme colonial nous est donné par Jean-Marcel Bouguereau dans son article "Salubrité publique" : "C’est une œuvre de salubrité publique car, comme ce fut le cas pour les autres religions, il faut habituer la religion musulmane à supporter la moquerie et la caricature." Vous avez bien lu ! Salubrité publique est un terme particulièrement insultant dans ce contexte puisqu’il désigne l’ensemble des mesures édictées par l’Administration en matière d’hygiène des personnes, des animaux et des choses. Il a été utilisé par beaucoup d’antisémites contre les juifs qu’ils comparaient à de la vermine dont il fallait se débarrasser parce qu’ils infestaient la "civilisation" occidentale. Les images et les mots sont des armes idéologiques qui précédent et accompagnent la guerre. Nous n’en sommes pas encore-là, mais "il y a quelque chose de pourri" dans cette société qui exclue les Français des DOM-TOM et des ex-colonies et qui diabolise leur culture.

Serge LEFORT

[1] Le Dansk Folkeparti (parti du peuple danois) a obtenu 13,3 % lors des élections législatives du 8 février 2005, soit 24 députés, et soutient la coalition du Venstre (parti libéral) et du Det Konservative Folkeparti (parti conservateur).

[2] Source Wikipédia.

[3] Sur cette question, trop longue à développer dans le cadre de cet article, voir :

 COOLEY John K., CIA et Jihad 1950-2001 - Contre l’URSS, une désastreuse alliance, Frontières, Autrement, 2002.

 FAURE Michel Faure et PASQUIER Sylvaine, Washington-Islamistes Liaisons dangereuses, L’Express.
[4] GRUZINSKI Serge, La guerre des images : de Christophe Colomb à "Blade Runner" (1492-2019), Fayard, 1990.
Sélection bibliographique sur le même thème :

 BERTAUD Jean-Paul, Napoléon, le monde et les anglais : guerre des mots et des images, Autrement, 2004.

 Collectif, France-Algérie : images d’une guerre, Institut du monde arabe, 1992.

 FRECHES José, La guerre des images, Denoël, 1986.

 GRAFFENRIED Michael von, Algérie : photographies d’une guerre sans images, Hazan, 1998.

 SANBAR Elias, Les Palestiniens - La photographie d’une terre et de son peuple de 1839 à nos jours, Hazan, 2004.

http://monde.en.question.free.fr/

Messages

  • L’article dit notamment :
    "Un exemple, parmi d’autres, de ce racisme colonial nous est donné par Jean-Marcel Bouguereau dans son article "Salubrité publique" : "C’est une œuvre de salubrité publique car, comme ce fut le cas pour les autres religions, il faut habituer la religion musulmane à supporter la moquerie et la caricature."
    Oui, certes, tout cela a quelque chose d’odieusement paternaliste et l’emploi du mot "salubrité" est inacceptable.
    Mais sur le fond ?
    J’ai l’impression toutes les religions sont amenées à évoluer et à accepter la critique, la dérision, le blasphème... D’ailleurs est-ce que Tariq Ramadan n’exprime pas quelque chose d’assez semblable quand il dit :
    "...Les Musulmans doivent comprendre que rire de la religion fait partie d’une culture plus large dans laquelle ils vivent en Europe, et qui remonte à Voltaire. Le cynisme, l’ironie et en effet le blasphème font partie de cette culture..." (voir toute l’interview à : http://www.iht.com/articles/2006/02...
    Au fait, pour le mrap, si j’ai bien compris, onze des douze caricatures ne relèvent pas du racisme mais du blasphème.

    Tristan

    • chaque personne a ses propos probléme le monde n’est pas toujours facile mais pour survivre on doit continuer àcomprendre ca pourquoi les enfants doivent prendre les consequences c’est ca ma question .

  • Bonjour Monsieur Serge Lefort,
    J’écris pour vous remercier pour la probité, la justesse et la clarté de votre analyse. C’est le seul moyen à suivre pour essayer de réduire toutes ces guerres faussement préméditées et sans aucune raison d’être autre que le propre bénéfice de quelques personnes, qui se sont donné le droit de diriger le monde, ménageant mensonges sur mensonges, en comptant sur des médias instrumentalisés.
    Zeinab ABDELAZIZ,égyptienne,
    Professeur émérite de civilisation française

  • Réponse de jean-marcel Bouguereau aux allégations diffamatoires de M. Lefort

    Monsieur Lefort se garde bien de donner le lien permettant de lire la totalité de cet édito. Ce qui aurait permis aux lecteurs de se rendre compte de la bétise injurieuse des accusations portées contre moi. Quand je vois que vous vous proposez d’effacer de votre site les messages à caractère diffamatoire, vous devriez commencer par vos propres textes, avant de faire des comparaisons oiseuses avec l’utilisation du mot "salubrité publique" sous le III° Reich. Voila, notamment, ce que j’ai écrit à propos, je le rappelle, de la publication des caricatures par Charlie :

    "C’est une œuvre de salubrité publique car, comme ce fut le cas pour les autres religions, il faut habituer la religion musulmane à supporter la moquerie et la caricature. Il faut battre en brèche l’idée qu’il est blasphématoire de représenter l’image de Mahomet alors que l’on peut admirer dans des musées d’art musulman, y compris dans des pays arabes, des miniatures musulmanes représentant le prophète avec ses compagnons. Il faut refuser le chantage selon lequel ces caricatures réduiraient l’Islam à la violence et au terrorisme. D’autant que les réactions hystériques et violentes de certaines minorités, souvent manipulées par des états en mal de légitimité, ne font que conforter ce sentiment. Il faudra être patient. Il faudra du temps. En France, il a fallu plus d’un siècle, après le mouvement des Lumières, pour en arriver à 1905 et encore 30 ans pour que l’Église accepte le projet laïc de la République. Or souvenons-nous que l’Andalousie d’Averoès avait esquissé le concept de laïcité plusieurs siècles avant la philosophie des lumières. Pour ceux qui ne le savent pas, c’est ce savant et philosophe musulman qui, il y a un millénaire, donc bien avant Jules Ferry, affirma que la recherche de la vérité ne devait pas être encadré ou limité par les livres sacrés, que la science devait être indépendante de la religion"

    C’est du racisme ça ?

    Jean-marcel Bouguereau

    • Quand je vois que vous vous proposez d’effacer de votre site les messages à caractère diffamatoire, vous devriez commencer par vos propres textes

      Bonjour,

      bellaciao n’est pas l’auteur de ce texte, qui a ete publié en "open publishing"... Vous avez bien fait d’exercer votre droit de réponse...

      TM

    • Allez voir sur le site original comment le dénommé serge Lefort a réagi à ma réponse. C’est très instructif sur une certaine paranoïa. Je cite serge Lefort : "Ce lecteur commente lâchement mon article en usurpant l’identité d’un éditorialiste. Le procédé est connu. Dans les années 40, des Français ont dénoncé - de manière anonyme - des juifs au gouvernement de Vichy pour qu’il les livre aux nazis".

      Et quand je lui répond en donnant mon mail au cas ou il voudrait vérifier, il sucre ma réponse, comme les staliniens, toutes proportions gardées, effacaient sur les photos les personnages qui les génaient...

      Jean-Marcel Bouguereau

    • CIRCULEZ, IL N’Y A PLUS RIEN A VOIR

      Voud devriez faire attention en reprenant d’autres sites que ceux-ci respectent justement le droit de réponse. Sur son site "le monde en question", en dessous de l’article "guerre des images" M Serge Lefort a mis depuis ce dimanche matin ce commentaire inhabituel :

      "Les commentaires pour ce billet sont fermés."

      L’histoire mérite d’être racontée, car elle est symmptomatique.

      Vendredi 17 M. Serge Lefort faisait parvenir un mail au Nouvel Obs dont voici le texte :

      "Monsieur,
      Puisque Jean-Marcel Bouguereau, rédacteur en chef au Nouvel Observateur, persiste à pratiquer l’insulte et le harcèlement - de 7h du matin à 23h du soir -, je publierai prochainement l’intégralité de sa « production ».

      Les lecteurs jugeront !
      Bien cordialement
      Serge Lefort"

      Etant l’auteur que ces réponses hâtivement assimilées à de l’insulte et du harcèlement je ne pouvais qu’ être ravi que M.S.L. se décide enfin à donner suite à mon droit de réponse. M.S. L., pour une fois, avait raison : les lecteurs "jugeront". Dans sa bouche, il s’agissait d’un véritable retournement. C’est nouveau que les lecteurs puissent juger ! Il aurait pu les laisser juger depuis le début, mais il a préféré "trapper" toutes réponses, alors que le droit de réponse est une obligation légale mais surtout morale. Car c’est moi a été pris à partie dès le Jeudi 9 fèvrier dans son article ou l’on m’accusait rien moins que de "racisme colonial" et même - puisque la grandiloquence ne fait visiblement pas partie des interdits de M.S.L. - "d’antisémitisme". J’étais l’insulté mais c’est moi qui était acusé de faire un "caca nerveux".

      Comment M.S.L. a-t-il changé d’avis sur la maturité de ses lecteurs ? Grosso modo, il a fallu une bonne semaine. D’abord M ; S.L. a mis en doute mon existence ( ce qui est la chose la plus facile pour refuser un droit de réponse), mais dès le 12 fèvrier il avait eu confirmation que j’étais bien Jean-Marcel Bouguereau et non ce "lecteur" tout droit sorti de l’imagination de S.L. ,accusé de commenter "lâchement" son article "en usurpant l’identité d’un éditorialiste". Il disposait même de mon mail personnel, pas seulement professionnel. Mais il n’a jamais eu le courage de me répondre directement. Puis chaque jour, plusieurs fois par jour même, sans me lasser, j’ai continué à renvoyer mes réponses qui n’ont n’ont tenu en moyenne que deux heures, souvent moins, alors que M. S.L. savait pertinement que ces textes n’étaient pas ceux d’un usurpateur. Vendredi, converti brusquement à la démocratie et au bien des lecteurs, il a décidé de publier l’ensemble de ma "production" pour que les lecteurs puissent juger. Etrange retournement, presque beau pour être vrai ! D’ailleurs Samedi, il publiait une notule indiquant que s’il " s’agit bien de l’éditorialiste du Nouvel Observateur, comme l’affirme Jérôme Hourdeaux, je l’invite à faire ses petits cacas nerveux ailleurs. !" Ca sentait le revirement. Comme entre temps je m’impatientais de voir les lecteurs juger, j’ai continué à mettre à ligne mes réponses avec quelques commentaire du genre de ceux-ci ("PS : Pour que les lecteurs jugent vraiment, allez vous publier les messages où vous m’interrogez pour savoir si j’étais bien "l’émetteur de ce nouveau commentaire" ? Ca serait vraiment marrant" ou bien "Alors mes oeuvres complètes, ça arrive ?" ou même "pauvre type" ou "minable" lorsqu’il persistait à ne pas accepter mon droit de réponse.). C’est évidemment la seule chose que S. L. a gardé en ligne, M.S.L. cherchant à avoir le beau rôle, celui de l’insulté alors l’insulté c’est moi...Non seulement il n’a pas daigné mettre en ligne mes différentes réponses à ses allégations, mais il a fait le mort, avec un courage et un constance qui force l’admiration, se refusant à répondre aux questions simples que je lui posais, alors que son site est intitulé un peu prétentieusement "Le Monde en question". C’est qu’on peut questionner "Le Monde" mais surtout pas M. S.L. ...Maintentant on apprend que "Les commentaires pour ce billet sont fermés". Circulez, il n’y a plus rien à voir, comme disent les flics sur les lieux de rassemblement. Cachez le "caca nerveux" de M ; Serge Lefort que les lecteurs de ce site ne peuvent imaginer tellement, d’ordinaire, ce monsieur est publiquement pontifiant, faisant la leçon à la terre entière notamment sur la liberté de la presse. Liberté ? Mais pas sur son site, qu’il utilise comme une propriété très privée ou les commentaires problématiques sont filtrés et ou, lorsqu’ils ne le sont pas, leur auteur se voit affublé du qualificatif d’usurpateur, dès lors que ces réponses le mettent en cause. Je n’avais pas tort. M. S.L. est un pauvre type. Vraiment ...
      Jean-Marcel Bouguereau
      Dimanche 13 h 05