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La lutte contre le terrorisme et le libéralisme autoritaire

Publie le dimanche 30 janvier 2005 par Open-Publishing

de Salvatore Cannavo’ traduit de l’italien par karl&rosa

La presse nous signale un flot de réactions contre la juge Forleo, tantôt violentes comme dans le cas de la Ligue, tantôt plus modérées, comme dans le cas du ministre de l’Intérieur, Pisanu, mais qui convergent toutes sur un point : la sentence ne soutient pas, comme elle devrait, la lutte au terrorisme, qui représente la priorité des politiques de sécurité du gouvernement italien et des gouvernements occidentaux.

Au delà de la clameur et du lynchage explicite de la magistrate milanaise - qui savait qu’elle devait s’attendre à une telle réaction et qui apparaît donc encore plus méritoire - se cache la colère pour une "erreur de système" dans une structure bien plus vaste et complexe que les déclarations incohérentes de quelques ministres ou même du président de la Chambre des Députés.

En effet, la juge Forleo a mis en discussion la thèse principale de la guerre des civilisations, de la stratégie de la guerre globale permanente qui demande à tous les centres de l’Etat et à tous les pouvoirs de converger harmonieusement vers le but final de combattre le terrorisme.

Mais ce qui est promu, c’est surtout une guerre idéologique, une grande campagne politique, symbolique et médiatique où les véritables articulations étatiques se rangent naturellement. La sentence milanaise démentit cette prétention et propose, plutôt à voix basse, il faut le dire, une conception du droit liée à son objet naturel - le rapport concret avec la norme et la responsabilité individuelle - et non en tant que servante d’une campagne idéologique à l’échelle planétaire.

Evidemment, ce n’est pas la première fois qu’on veut plier le droit à la raison d’état, mais c’est la première fois que cela est proposé dans des termes globaux, dans tout le soi-disant monde occidental et en faisant recours aux mêmes principes qui en réalité sont concrètement niés, à savoir aux principes libéraux. Cette tentative de bouleversement normatif, donc, ne bouleverse pas la société libérale que nous connaissons - parce que trop souvent elle s’est octroyé des dérogations même à ses propres valeurs - mais celle qui nous est quotidiennement proposée.

Il s’agit d’une contradiction interne - une erreur de système, justement - qui définit les contours d’un "libéralisme autoritaire" où l’on ne nie pas les valeurs de liberté, de tolérance, de respect, de responsabilité, mais où ces mêmes valeurs sont englobées dans un principe généralissime qui règle et ordonne tout : le principe suprême de la lutte contre le terrorisme en tant que discriminant d’une société organisée et organe régulateur de la liberté résiduelle possible.

Au moment où l’on fait abstraction des fait prouvés et des normes en vigueur - c’est ce que la juge milanaise a montré - la "lutte contre le terrorisme" devient une catégorie seulement politique, qui justifie le recours à un état " d’exception permanente" pour reprendre le concept de Giorgio Agamben qui écrit en effet dans son ouvrage "L’état d’exception" : "L’état d’exception a atteint aujourd’hui son développement planétaire le plus grand. L’aspect normatif du droit peut ainsi être impunément oblitéré et contredit par une violence gouvernementale qui, en ignorant à l’extérieur le droit international et en produisant à l’intérieur un état d’exception permanent, prétend toutefois qu’elle est encore en train d’appliquer le droit". Le principe libéral ne vient donc pas contredit mais reproposé dans un contexte transformé dans lequel les éléments essentiels sont altérés et reformulés.

En réalité, en polémiquant avec Clementina Forleo, en tentant de la réduire à un "monstre" juridique, le gouvernement italien a montré son véritable objectif : s’aligner sur la doctrine de la guerre permanente en subvertissant le droit et en vantant un "Patriot Act" à l’italienne, comme semble le faire Casini quand il fait allusion à la nécessité de "changer la loi", ou bien en imaginant un Guantanamo à la sauce milanaise comme en rêve la Ligue. Dans les deux cas, le libéralisme auquel veut se référer la droite italienne continue à paraître trop limité pour les exigences de domination de la guerre globale.

http://www.liberazione.it/giornale/050127/default.asp