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La parole donnée à Cesare Battisti l’a été aussi à ses filles

Publie le mardi 13 juillet 2004 par Open-Publishing

J’ai rencontré Cesare Battisti , il y a maintenant quelques années pour lui proposer la réalisation d’un film sur l’homme et l’écrivain qu’il est aujourd’hui. Ce projet s’inscrivait dans une trilogie sur les auteurs de roman noir dont les ouvrages portent un regard critique sur la société et ses injustices et dont j’apprécie particulièrement les ¦uvres.

Très rapidement, en le voyant vivre, en parlant avec lui de son travail, en lisant ses livres, j’ai apprécié ses qualités humaines. Aussi, entre la décision de faire un film, la recherche d’un financement, les journées de tournage réparties sur le temps d’écriture de son dernier roman Le Cargo sentimental et les finitions du film, il s’est écoulé près de cinq ans. Durant ce temps, apprenant à nous connaître, nous sommes devenus amis, ainsi d’ailleurs que nos deux filles qui ont quasiment le même âge.

Je dois dire qu’il ne m’est même pas venu à l’esprit de l’interroger sur son passé dans la lutte armée, sur ce qu’il avait fait ou sur ce qu’il n’avait pas fait. Je ne m’intéressais qu’à l’aspect historique des événements et à ce qu’il pouvait en restituer, par le biais du roman, à travers ses personnages et son travail littéraire. De toute façon, mon jugement sur lui s’est construit sur l’homme qu’il est aujourd’hui. Son passé lui appartenant, c’est à lui seul de décider de ce qu’il doit m’en dire.

Ce jugement est tout à fait clair : il a tout d’un ex-militant politique, radical certes, mais rien d’un extrémiste, ni dans son discours, ni dans ses écrits. D’ailleurs, des représentants de l’Etat, autrement plus compétents que moi pour juger de ces affaires, ont rendu leur verdict en accordant l’asile politique « de fait » à Cesare Battisti, ainsi qu’à tous les autres réfugiés italiens de ces « années de plomb » quels que soient les faits qui leur étaient reprochés. Pour moi, l’affaire était entendue. Il suffit d’ailleurs, aujourd’hui, de prendre connaissance du rapport d’Amnesty International de l’époque et de se documenter un tant soit peu sur les lois d’exception toujours en vigueur en Italie pour se rendre compte de l’ampleur de la campagne de désinformation orchestrée par le biais des médias italiens, relayée par une partie de la presse française. Curieuse déontologie !

Aussi, ai-je été très choqué que le garde des sceaux, Monsieur Perben, diligente cette nouvelle demande d’extradition de la justice italienne, et dans un deuxième temps, circonstance aggravante, man¦uvre politiquement pour provoquer l’arrestation de Cesare Battisti, en totale contradiction avec la parole d’Etat et les décisions de Justice, le procureur général de Paris lui ayant signifié une fin de non recevoir.

Mais, au delà de ce qui a déjà été dit par une multitude de personnes scandalisées par l’arrestation de Cesare Battisti : respect de la parole de l’Etat (celle du président de la République et non pas de celle de François Mitterrand), respect des décisions de Justice (il a été déclaré non-extradable en 1991), respect du droit d’asile..., il me semble utile d’attirer l’attention de tous sur la situation d’une petite fille de 9 ans, la plus jeune des deux filles de Cesare Battisti. Si par malheur son père venait à être extradé vers l’Italie (ce qui veut dire pour lui la prison à vie, c’est un fait !), chacun peut facilement imaginer ce que cela signifierait pour elle de tristesse, d’angoisse et d’incompréhension. Comme c’est une amie de ma fille, j’ai pu en mesurer l’ampleur.

Certains pourraient me rétorquer que son père a pris ses responsabilités en la concevant. Il savait ce qu’on lui reprochait en Italie, etc... Eh bien non, justement ! L’Etat français et la justice française lui ont dit : sous réserve d’abandon de toute action politique violente (ce qu’il a fait), vous ne serez pas extradé, vous n’êtes pas extradable ! Il a même fait plus. Etant écrivain, il a dans ses livres et à travers ses propos publics contribué à une analyse historique des « années de plomb » dans le but d’éviter à la jeunesse d’aujourd’hui de tomber à son tour dans le piège de la violence politique. On peut même dire que l’exil a joué ce rôle qui est d’ordinaire dévolu à la prison : celui d’un temps de réflexion sur les actes qui ont été commis au nom de la lutte sociale par une partie de l’extrême gauche italienne.

Il a donc décidé d’avoir cette petite fille en ayant l’assurance des pouvoirs publics de rester en France et d’y élever sa fille.

Alors, cette petite fille ferait-elle partie d’éventuels « dégâts collatéraux » justifiables par la raison d’Etat ? Mais de quoi parle-t-on ? S’agit-il de prévenir une guerre, de sauver des milliers de vie, d’empêcher un nouveau génocide ou d’éviter de futurs attentats terroristes ciblant des victimes innocentes ? Non ! Alors, quel accord politique avec l’Italie pourrait-il justifier cela ? En démocratie, les décisions de justice s’imposent à tous, me semble-t-il. L’ignorer ne peut conduire qu’à une dérive anti-démocratique et autoritaire du pouvoir.

L’avis favorable à l’extradition rendu le 3O juin dernier par la cour d’appel de Paris confirme malheureusement cette instrumentalisation de la justice par le gouvernement qui a, pour moi, des relents nauséabonds de dictature (même si on lui fait porter le masque de la démocratie).

Cette petite fille « française » est née avec l’assurance des pouvoirs publics français d’être élevée par ses parents. C’est un problème d’éthique et un devoir démocratique. Il n’y a pas à revenir là-dessus à chaque alternance politique.

Pierre-André Sauvageot
Cinéaste
Réalisateur de Cesare Battisti, résistances.

Dictature (Le Petit Robert) : Concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un individu, d’une assemblée, d’un parti, d’une classe