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La petite-fille de Voltaire

Publie le vendredi 28 mai 2004 par Open-Publishing

"La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera."
Émile Zola.

Le patriarche de Ferney serait fier de voir une jeune femme, Fred Vargas, se battre contre l’injustice faite à un homme condamné pour des meurtres qu’il nie avoir commis, et dont l’étude sincère du dossier (1) démontre l’innocence. C’est à cette tâche que s’est attelée l’auteur de Sous les vents de Neptune (2), avec un courage et une obstination qui forcent le respect. Fred Vargas livre sa bataille avec une conviction semblable à celle qui anima Voltaire lorsqu’il prit la défense de Jean Calas, injustement accusé d’avoir assassiné son fils qu’on avait retrouvé pendu dans la maison familiale. Contre lui, les dominicains menèrent une campagne de calomnies, persuadés qu’ils étaient que le père avait étranglé le fils parce qu’il souhaitait abjurer sa foi protestante et se convertir au catholicisme. Selon le Grand Larousse du XIXe siècle, les religieux allèrent jusqu’à lui ériger un catafalque et à le surmonter d’un squelette tenant la palme du martyr. Jean Calas fut condamné au supplice de la roue par le Parlement de Toulouse et exécuté le 9 mars 1762. Voltaire recueillit sa veuve à Ferney et travailla à la réparation de l’honneur de Calas durant trois ans. Le 9 mars 1765, un tribunal extraordinaire cassa l’arrêt de Toulouse, réhabilita la mémoire du malheureux et ordonna l’indemnisation de sa famille. Pendant ces trois années, Voltaire reprocha le moindre instant de joie ou de paix. Cette tragédie donna lieu a de nombreuses pièces de théâtre dans lesquelles s’illustrèrent, entre autres, F.L. Laya ou Marie-Joseph Chénier. On peut rapprocher l’engagement de Voltaire en faveur de Calas de celui de Zola aux côtés du colonel Dreyfus : " Dreyfus est innocent, je le jure. J’y engage ma vie, j’y engage mon honneur. " On connaît la suite, cette lettre ouverte que Zola adressa au président de la République et que l’Aurore publia en une, le 13 janvier 1898. Son action aboutit à la révision du procès qui avait condamné Dreyfus à la dégradation militaire et à la déportation, à vie, sur l’île du Diable, en Guyane. Pourtant, ce n’est qu’en 1906 que fut cassé ce jugement et que Dreyfus fut réintégré à l’armée dans ses grade et fonctions. Est-ce à cause de ce combat que Zola fut retrouvé mort, asphyxié dans son appartement par les émanations d’un poêle, le 29 septembre 1902 ? Il n’aura pas vu triompher la justice.

Ne le souhaitons pas à Fred Vargas ni à tous ceux qui militent pour la libération de Cesare Battisti, arrêté en février 2004 par des policiers de la Direction nationale antiterroriste, au faux prétexte d’une plainte de voisinage et de " menaces de mort envers un voisin ". Aussitôt emprisonné, Battisti fut placé sous écrou extraditionnel. Une mobilisation exemplaire de Français et de Françaises, de tous bords politiques, s’ensuivit, exigeant le respect de la parole donnée et des engagements pris par la France de ne pas extrader ces réfugiés qui " ont rompu avec la machine infernale dans laquelle ils s’étaient engagés, le proclament, ont abordé une deuxième phase de leur propre vie, se sont insérés dans la société française, souvent s’y sont mariés, ont fondé une famille, trouvé un métier ". Par ces mots prononcés en avril 1985, lors du soixante-cinquième congrès de la Ligue des droits de l’homme, François Mitterrand, alors président de la République, avait défini ce qui allait devenir sa " doctrine ". Cet engagement avait été respecté, jusqu’à lors, par les différents gouvernements de la France, de droite comme de gauche, jusqu’à devenir une sorte de " jurisprudence officielle " ; c’est en ce sens que les avocats des ressortissants italiens parlent de " parole d’État ", selon l’avis de Quentin Deluermoz, doctorant en histoire contemporaine. Et c’est cette parole donnée que la justice italienne demande à la République française de bafouer.

" C’est de la vie d’un homme qu’il s’agit, et, derrière lui, de plus d’une centaine d’autres hommes et femmes également menacés du même sort. C’est du droit français qu’il s’agit : si l’extradition était prononcée, cette mesure irait à l’encontre absolue de nos lois et constituerait une très grave entaille dans notre justice et dans notre État de droit. C’est de la parole d’État de la France qu’il s’agit. Si cette parole venait à être reniée, c’est la crédibilité et l’honneur de notre pays qui en seraient définitivement entachés. Cesare Battisti, condamné en Italie par une justice " spéciale ", irrecevable, protégé en France par une parole d’État et par deux arrêts de justice rendus en sa faveur, ne saurait être extradé sans que la France, à son tour, ne commette un crime contre la Justice et n’entre en illégitimité. C’est ainsi que se forme un cercle républicain inviolable : défendre la parole d’État, c’est défendre l’honneur de notre République ; défendre cette République, c’est respecter son droit et sa justice ", écrit Fred Vargas. Merci.

(1) Fred Vargas : la Vérité sur Cesare Battisti, aux Éditions Viviane-Hamy.

(2) Chez le même éditeur.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-05-26/2004-05-26-394369