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Le Venezuela en rupture avec le modèle néolibéral de la santé

par Jesse Chacón

Publie le jeudi 5 avril 2012 par Jesse Chacón - Open-Publishing
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Le 23 mars dernier le journaliste colombien Juan Gosain écrivait dans El Tiempo : “Il faut le dire sans anesthésie, le système colombien de santé est mort. (..) A Bogota un désespéré est monté au dernier étage d’une clinique, menaçant de se jeter dans le vide, parce qu’il demandait depuis huit mois à Saludcoop un rendez-vous avec le médecin. Le même soir à Cartagena, le médecin de garde fut attaqué à coups de poing par un ouvrier qui attendait depuis trois jours à la réception. Il ne supportait plus le mal de tête. Il avait subi une embolie cérébrale”.

Tel est le quotidien de la population dans un pays qui depuis le début des années 90 a déstructuré le système public de santé et l’a fait migrer vers un système dont le centre de gravité se trouve dans les entreprises privées tout en démantelant le système public de cliniques et d’hôpitaux par la privatisation. Les usagers migrent vers ce système qui en plus de recevoir une partie des subventions de l’État – on subventionne les riches – reçoit l’argent issu du paiement mensuel des usagers.

Aujourd’hui, après plus de vingt ans, ce modèle est devenu une immense escroquerie pour le public, puisque les usagers « assurés » par ce système voient le secteur privé retarder ou supprimer des traitements par souci de maximiser les profits – 19.000 millions de dollars par an – et les exemples dramatiques donnés par le journaliste Juan Gosain ne font qu’illustrer cette situation.

Dans le modèle néolibéral de la gestion de la santé appliqué en profondeur à des sociétés telles que la Colombie ou le Chili, nous pouvons identifier les caractéristiques suivantes :

- Compte tenu de la déréglementation des systèmes de santé nationaux, ceux-ci relèvent désormais du droit commercial et quittent le champ de la santé comme droit humain.

- Compte tenu de la privatisation des systèmes de santé nationaux, on cesse de protéger les fabricants nationaux de médicaments.

- On approfondit la monopolisation du secteur des médicaments par des brevets monopolistiques et la propriété intellectuelle.

- Les entreprises privées créent des sociétés de soins qui capturent les ressources publiques et celles des usagers, tout en dégradant la qualité des soins.

- Sous couvert de l’argument de la décentralisation, les gouvernements nationaux transfèrent leurs responsabilités aux municipalités ou aux régions, sans tenir compte de la protection des droits exigée par les protocoles internationaux signés par les Etats-nations et qui les responsabilisent comme garants universels.

Alors que ces caractéristiques se sont aggravées dans ces sociétés jusqu’à en faire des sociétés centrées sur le marché, le Venezuela, depuis le cycle de révolution bolivarienne, reprend la construction d’une société centrée sur l’État, où l’État retrouve son rôle d’axe structurant de la société et de l’économie, sans nier le jeu contradictoire et dynamique de sa relation avec le marché et la société civile.

La lutte pour la construction d’un état social de droit fut et reste la référence capable de doter de sens les concepts politiques et la politique elle-même. Sous cet horizon la santé vit une redéfinition structurelle, car au lieu d’être vue comme une marchandise remise au capital privé, elle est récupérée comme un Droit Humain, dont la garantie et la gratuité sont responsabilités d’État.

Le Venezuela a développé progressivement son système de santé, à travers l’existence d’un immense réseau de prévention et de soins primaires : la Mission Barrio Adentro I (“Au coeur du quartier populaire I“, NdT), ce qui lui a valu la reconnaissance non seulement de la population mais aussi d’organismes internationaux tels que l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation Panaméricaine de Santé (OPS).

Cet effort fait partie de la politique de garanties de l’État, qui suit les orientations contenues dans la Constitution Bolivarienne et dans les normes internationales. Le droit à la santé est prévu dans le pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (ONU) et plus spécifiquement dans l’observation générale numéro 14 du Comité du PIDESC. Celle-ci exprime l’obligation de remplir les critères de gratuité et d’universalité et tous les États latino-américains ont signé et ratifié ces protocoles ; cependant seuls les gouvernements d’orientation socialiste comme le vénézuélien les respectent pleinement.

Cette politique de garantie, universelle et gratuite, est représentée par une extension de la couverture des soins de santé : en juillet 2010 on comptait 6.711 centres de consultations médicaux populaires, 556 salles de rééducation, 507 Centres de Diagnostic Intégral et 30 centres de haute technologie. Aujourd’hui 81.8% de la population est soignée par le système public de santé, tandis que 18.8% se tournent vers le secteur privé.

A ces réussites s’ajoutent une augmentation du personnel médical qui se consacre aux soins primaires. Selon les chiffres du rapport mondial de la santé de l’OMS, on comptait en 1998 au Venezuela 2 médecins pour 10 mille habitants. A l’heure actuelle on en compte 19,4. Cet indicateur est important pour la comparaison avec des sociétés néolibérales comme la chilienne et la colombienne. Au Chili selon des données de l’OMS, on a 10,9 médecins pour 10 mille habitants ; en Colombie 13,5.

De son côté l’opposition vénézuélienne, en tant qu’expression du néo-libéralisme local et des recettes du Fond Monétaire International, présente un programme sous la candidature de Capriles avec la claire intention de revenir en arrière et de démonter ce rôle de garant de l’État national. Son intérêt profond est la capture du secteur de la santé comme secteur commercial, comme on peut le lire dans le programme de l’”Assemblée de l’Unité” :

- “Sera mis en place un Système Public National de Santé (SPNS) qui renforcera la fonction rectrice du Ministère.” Ils ignorent le rôle de garant et de financement du Ministère de Santé, puisqu’il ne s’occupera plus que d’établir des règles et de coordonner un système dont l’axe est constitué par le secteur privé et par les municipalités.

- “Seront garanties les ressources pour couvrir une assurance publique de santé de spectre large et universel, financé par des ressources fiscales, qui garantira à toute la population des services adéquats et de qualité“. Ce qui semble un objectif profondément noble et social. Mais l’idée de “ressources fiscaless” limite le financement du secteur à la collecte d’impôts, faisant obstacle au financement par des ressources propres venant d’entreprises publiques liées au développement national telles que PDVSA (pétrole), CANTV (téléphonie..), etc.

- “Sera transféré le réseau des établissements de soins médicaux de la Mission Barrio Adentro I et II aux États régionaux.” Ici l’intention est claire : démonter la responsabilité de l’État national, un truc déjà utilisé au Chili et en Colombie pour transférer le poids aux localités et aux régions, lesquelles sous ce poids finissent par transférer les opérations au privé.

- “Sera revu l’Accord de santé Venezuela-Cuba et sera adjoint le réseau d’établissements médicaux de Barrio Adentro I et II au Ministère du Pouvoir Populaire pour la Santé (MPPS). De la même manière seront noués des accords de coopération avec le secteur privé dans le but de contribuer à affronter la crise qui affecte le réseau des hôpitaux publics nationaux.” Quand il est dit “sera revu” , il faut lire “sera supprimé“. ce sont des affirmations contradictoires puisque dans celle qui précède on dit que les établissements doivent être transférés aux états régionaux, pour die ensuite qu’ils doivent être adjoints au Ministère de la Santé. Incohérences propres d’un empressement à réaliser le rêve exprimé à la fin du programme de “nouer des accords avec le secteur privé”, autrement dit de faire de la santé un commerce lucratif.

Les propositions de Capriles sur le thème de la santé sont une invitation à revenir au passé, à revivre la douloureuse nuit fond-monétariste, à privatiser le système de santé.

Le 7 octobre 2012 les vénézuéliens décideront s’ils continuent à construire leur système public de santé inclusive ou si recommence au contraire un processus de privatisation de la santé qui ne couvrira que celui qui peut payer.

Jesse Chacón

Director GISXXI

www.gisxxi.org

Source : http://www.gisxxi.org/articulos/venezuela-y-la-ruptura-del-modelo-neoliberal-en-salud-jesse-chacon-gisxxi/

Traduction : Thierry Deronne pour www.venezuelainfos.wordpress.com

http://venezuelainfos.wordpress.com/2012/04/04/le-venezuela-et-la-rupture-avec-le-modele-neoliberal-de-la-sante-par-jesse-chacon/

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