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Le procès expédié d’un dossier gênant

Publie le vendredi 21 décembre 2007 par Open-Publishing

Le procès expédié d’un dossier gênant (la libre belgique)=
BERNARD DELATTRE

Mis en ligne le 21/12/2007

Ouverture du procès des six Français détenus au Tchad. Théoriquement, ils risquent jusqu’à vingt ans de travaux forcés. Mais, dans les faits, ils pourraient être assez vite de retour à Paris. Le tout étant de sauvegarder les formes.
CORRESPONDANT PERMANENT À PARIS
Ils sont six, six Français détenus au Tchad depuis plus d’un mois à la suite du retentissant scandale de "L’Arche de Zoé", du nom de cette ONG qui a tenté d’exflitrer une centaine d’enfants prétendument orphelins et soudanais victimes de la guerre au Darfour. Avec leurs complices locaux présumés (trois Tchadiens et un Soudanais), ils sont jugés à partir d’aujourd’hui par la Cour criminelle de N’Djamena. Poursuivis pour enlèvement de mineurs, escroquerie, grivèlerie et usage de faux, ils encourent de cinq à vingt ans de travaux forcés.

Les accusés observent depuis dix jours une grève de la faim pour dénoncer l’instruction "à charge", menée tambour battant en tout cas, qui a précédé leur procès. Ils dénient toute légitimité à la justice tchadienne pour juger des faits présumés qu’ils continuent à contester catégoriquement. Et considèrent ne pas pouvoir "faire confiance" en cette justice. Au départ, les prévenus pensaient même "ne pas participer à une parodie de justice". Ils ont fini par changer d’avis et sont résolus désormais à se servir des audiences comme d’"une tribune médiatique".

Leurs avocats défendront "l’aspect humanitaire" d’une opération destinée à "sauver des enfants dans un contexte de crise humanitaire". Le parquet tchadien pourrait lui-même jouer l’apaisement et faire preuve de modération. Les accusés pourraient bénéficier de circonstances atténuantes au motif que les enfants, s’ils ont été soustraits à leurs familles dans des conditions douteuses, n’ont tout de même pas été enlevés de force.

"Pas de perversité"

Aussi, le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, dit attendre "de la clémence" de la Cour. Pour lui, "il n’y a pas eu de perversité" dans la démarche des bénévoles de "Zoé", qui auraient été "pas malfaisants" mais simplement "croyaient faire le bien" et "se sont trompés en le faisant".

Ce procès est-il surtout destiné à ne pas froisser l’opinion publique tchadienne ? Le Tchad pas plus que la France, en tout cas, n’ont intérêt à ce que les relations bilatérales s’enveniment à la suite d’un procès inéquitable ou conclu par des peines exagérément lourdes. Selon les indiscrétions, un "scénario de sortie de crise" aurait d’ailleurs déjà été échafaudé par les présidents Sarkozy et Déby en marge du récent sommet Europe-Afrique de Lisbonne. Il prévoirait, certes, une condamnation des humanitaires français, mais surtout l’application rapide à leur bénéfice de la convention d’entraide judiciaire franco-tchadienne. Ce texte permet, après leur condamnation éventuelle, leur extradition et l’exécution, voire l’aménagement, de leur peine en France.

Les Français pourraient, dès lors, être rapidement de retour au pays et ne pas y moisir éternellement en prison. Cet apaisement permettrait à la fois aux Tchadiens de sauver la face, à la France de ne pas mettre en péril le déploiement en janvier de l’Eufor (la force européenne de sécurisation de l’est du Tchad), et au quai d’Orsay de limiter les déballages potentiellement gênants. Car il est clair que les mises en garde de ce ministère, préalables à l’opération humanitaire, n’ont, sur le terrain, pas abouti et qu’il y a eu au minimum des dysfonctionnements de communication entre Paris et l’ambassade de France à N’Djamena ainsi qu’entre les Affaires étrangères et la Défense françaises.

Rentrés au pays, les militants de "Zoé" ne seraient toutefois pas tirés d’affaire. La justice française instruit une éventuelle violation de la réglementation sur l’adoption internationale. Et de gros dommages et intérêts pourraient leur être réclamés, notamment par les familles qui ont payé pour adopter un enfant, mais ne l’ont jamais reçu.