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Les indépendants en action

Publie le vendredi 1er octobre 2004 par Open-Publishing


de Sébastien Homer

S’ils étaient sponsorisés, le slogan de quelque fabricant de chaussures de sport
leur irait comme un gant : « Just do it ». Mais, au regard de leur positionnement éditorial
et de leur situation financière, les médias libres préfèrent la philosophie punk
du « do it yourself ». En français : faites-le vous-même.

Et de nous proposer une semaine durant de les imiter : « Vu la concentration
des outils de communication et des médias entre les mains de quelques marchands
d’armes, il est urgent pour nous que chacun s’en empare, explique Samantha Lavergnolle,
maîtresse des lieux, en l’occurrence la Maison des médias libres dans l’Est parisien.
C’est pourquoi nous avons fait appel à différents médias indépendants pour que
les gens se réapproprient ces outils. »

Sourire d’Olivier Azan, l’un des membres de la télé associative Zaléa : « L’an dernier, on avait attendu la rentrée sociale. En vain. Pourtant, durant l’été, tout le monde disait que la rentrée allait être chaude. Là, on sait très bien qu’il ne se passera rien. Et pourtant, ce ne sont pas les raisons qui manquent ! Alors on s’est dit qu’on allait organiser nous-mêmes notre rentrée sociale. »

Au programme donc de Hack’T 1 (1), une semaine de débats, de démonstrations, d’ateliers pour apprendre à se servir d’une caméra, d’un micro, d’un ordinateur. Avec, en guise de maîtres de cérémonie, des télés comme Zaléa, des radios comme FPP, des éditeurs et diffuseurs comme Co-errances ou Les périphériques vous parlent, des sites Internet comme Bellaciao ou Indymedia, des hébergeurs comme Réseau 2000... Et un lieu, la Maison des médias libres. Un lieu à l’image de ces intervenants, bénévoles, activistes : foisonnant, un peu bordélique, riche d’expériences mais précaire, voire en sursis. En effet, si le bâtiment a été loué à la SNCF, la Ville de Paris y verrait bien s’installer une « maison de l’environnement », courant 2005. Ce qui pourrait mettre fin à une expérience quasi unique en Europe, le regroupement au sein de l’association ag45 et de ce bâtiment au coeur d’un vingtième arrondissement en devenir d’une bonne partie des médias indépendants.

Mais le danger pour ces empêcheurs d’intoxiquer en rond n’est pas que de se retrouver SDF et éparpillés aux quatre coins de la capitale. Ainsi Zaléa TV devra cette semaine reprendre ses diffusions pirates sur la région parisienne. Car, comme l’explique Boris Perrin, « nous ne sommes plus diffusés en hertzien depuis fin 2003 et le CSA s’est opposé à ce que nous puissions accéder à la TNT. Sans parler de GlobeCast, un opérateur de diffusion par satellite qui a interrompu la diffusion en juillet dernier de notre émission Canal du dialogue, réalisée en partenariat avec le mouvement démocratique tunisien... »

Et Emmanuel de Réseau 2000, association animant des pôles d’insertion par le multimédia et ayant, ces quatre dernières années, formé plus de 4 000 personnes, de dénoncer « la loi sur la confiance dans l’économie numérique puisqu’elle nous oblige, nous hébergeurs, à conserver les données personnelles des internautes et fait de nous la cible de toutes les attaques possibles quant aux contenus. Et ce sans passer par la voie judiciaire. Ce qui nous oblige soit à nous taire, soit à gérer une quantité astronomique d’informations ». Quant à Guy Dardel, de Fréquence Paris Plurielle, il déplore « la faiblesse du fonds d’aide à la création radiophonique » et « les attaques que subit le secteur associatif, mettant au péril notre existence même ».

Qu’importe, à travers Hack’T 1, les médias libres n’ont pas l’intention de baisser la garde, qui plus est lorsqu’un Le Lay avoue que son métier, c’est de « vendre du temps de cerveau humain disponible » à Coca-Cola, proposant à cet effet de nouveaux outils ou de nouveaux modes de fonctionnement.

Ainsi,le principe fondateur d’un site comme Indymedia est « l’open publishing », c’est-à-dire « la publication en ligne libre et sans aucun contrôle a priori, la modération et l’éventuel retrait des contributions n’ayant lieu qu’après publication, explique Gilles. Ce qui met tout le monde sur un même pied d’égalité. Car, si l’information est un pouvoir, il faut que tout le monde puisse bénéficier du même niveau d’information et donc d’une même capacité d’intervention ».

Même démarche du côté de Co-errances, une coopérative d’une vingtaine de membres parmi lesquels sept éditeurs, une douzaine de revues, près d’une dizaine de réalisateurs ainsi que deux labels, dissèque Christophe. « L’idée de départ, portée par des éditeurs indépendants et des réalisateurs, était de se réunir pour court-circuiter les circuits classiques de distribution et de diffusion. » Dont acte.

Outre la tenue dans une librairie du 12e arrondissement du « premier festival des télévisions associatives de proximité autorisées par le CSA pour une durée de six mois éventuellement reconductible et des télévisions associatives de proximité diffusées dans les lieux publics » (2) et au-delà des ateliers d’initiation à la publication en ligne, au montage numérique, au maniement des outils de base qui permettent de faire l’information, ce sera pour les médias libres l’occasion de s’interroger sur leur devenir, leur fonction et sur le paysage médiatique actuel.

Des interrogations qui vont bien au-delà du cénacle militant, surtout lorsqu’on sait que des journalistes professionnels trouvent comme échappatoire à la censure des sites Internet tel Bellaciao.org ou des revues comme CQFD. Mais lorsque l’un des membres de cette coordination des médias libres s’interroge sur le fait que les « organisations et les militants en lutte vont bien souvent tout faire pour grappiller une minute ou deux sur TF1 », Roberto, du site Bellaciao, ne peut s’empêcher d’exploser : « Et alors ? On ne va pas le leur reprocher ! En tout cas, pas question d’opposer les deux démarches. Les militants auront recours à nous à partir du moment où l’on deviendra crédible. »

D’où cette semaine avec projections, initiations et réflexions. Sans perdre de vue que le secteur des médias indépendants - s’il peut se fédérer non pas autour d’une identité militante mais d’une défense commune de la liberté d’expression - reste des plus morcelés. Un indice ? Tous les acteurs de ce secteur n’ont pas forcément répondu présent. « On ne prétend pas être d’accord sur tout et tout le temps, rétorque Olivier Azan de Zaléa. Et encore moins tirer la couverture à nous. Mais les interrogations qui nous traversent - que l’on bosse en télé, en radio ou sur un site Internet - sont somme toutes assez similaires. On espère juste que cette semaine fera boule de neige. Et qu’il y aura un Hack’T 2, un Hack’T 3, etc. » Et lorsqu’on leur demande, lors de la conférence de presse de présentation de cette semaine, si des représentants des « médias dominants » seront présents en face, la réponse est idoine : « Vous êtes tous cordialement invités... »

Sébastien Homer

(1) Hack’T 1 :

du 1er au 8 octobre

à la Maison des médias libres (45, rue d’Aubervilliers,

Paris 18e, Mo Stalingrad).

Tél. : 08 70 71 67 88. Programme complet

sur www.ag45.org.

(2) Du 2 au 4 octobre

à la librairie Alfarabista, 18 bis, av. Philippe-Auguste, Paris 12e.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-10-01/2004-10-01-401643