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Les médias et la mort

Publie le jeudi 15 décembre 2005 par Open-Publishing

http://crisedanslesmedias.hautetfort.com

La mort. La mort est le sujet qui intéresse le plus les médias. Bien sûr, il ne sont pas les seuls à s’en préoccuper. Les concierges, les éboueurs et les footballeurs aussi. Mais ce qu’il y a de particulier avec les médias c’est qu’eux, ils en vivent. Vivre de la mort. Vivre pour la mort (être-pour-la-mort [Heidegger]) est notre condition. Vivre sur la mort (comme on dit vivre sur une rente) est la condition médiatique.

Cette omniprésence de la mort a fait dire au philosophe Michel Serres lors d’une récente chronique sur France Info ( http://www.radiofrance.fr/listen.ph... ) : « Je vois maintenant les médias comme une église intégriste qui parle tout le temps de la mort et qui ne parle que de la mort. La répétition est toujours là et la répétition c’est l’instinct de mort. »

La mort, la répétition. Les médias répètent. Reprennent. Egrainent. Chapelets d’images et de mots. Vides de sens. Mais peu importe. Ce qui importe, c’est de répéter. On se souvient du 11 septembre. Les images des "twins towers" passant en boucles. Les mêmes mots répétés. « On ne sélectionne les nouvelles que s’il y a plus de cent morts. C’est ça les nouvelles. Or ce ne sont pas des nouvelles du tout, c’est la répétition de la mort. Comment voulez-vous que l’occident ne soit pas mélancolique ? », s’interroge Michel Serres.

Certes, parler de la mort ne relève pas uniquement d’une pulsion morbide. La fonction de la vanité et du memento mori est positive : en prenant conscience de la mort prochaine et du temps qui passe, on "choisit" de vivre, plutôt que de se laisser envahir par la pulsion de mort et par les forces de la répétition. Mais, concernant le discours médiatique, qui souvent ne laisse guère de place à la réflexion, on peut s’interroger sur la récurrence des images de mort.

Pour cela, faisons une expérience très simple. Prenons un journal. Time du 19 décembre 2005. http://www.time.com/time/yip/2005/i...
(Le titre en couverture : les meilleures photos de 2005. Les meilleures ? Ouvrons le magazine (dans sa version papier : le portfolio du site Internet compte 24 photos contre 11 dans la version papier).
Première photo : une femme avec son enfant. Visages accablés, visiblement ils ont tout perdu. C’est à la Nouvelle Orléans après le passage du cyclone Katrina.

Deuxième : toujours la Nouvelle Orléans, deux maisons brûlent.

Troisième : le corps du pape Jean-Paul II exposé à la foule.

Quatrième : les attentats du 7 juillet à Londres.

Cinquième : les émeutes en France.

Sixième : la guerre d’Irak.

Septième : le tremblement de terre au Pakistan.

Huitième : Une femme irakienne tient un bulletin de vote. Cette fois, c’est la vie ? Sans doute mais, à part les mains et le menton de la femme, on ne voit rien d’autre que le noir de la burqua. Visiblement, il est question du deuil de quelque chose.

Neuvième : un groupe de cyclistes. Au centre on reconnaît Lance Armstrong. Le sport, c’est pas la mort. Sauf que quand on dit « Armstrong », on entends immédiatement « cancer ».

Dixième : le tsunami, des dizaines de corps enveloppés de plastique vert ou bleu préservés de la putréfaction par de la glace.

Onzième et dernière station de ce chemin de croix : un champ de ruines après le tsunami. Noir et blanc de rigueur.

Il est vrai que l’année 2005 n’a pas été très drôle. Et Time est un journal plutôt austère. Mais ce sont les meilleures photos, pas les pires. Il a peut-être raison, Michel Serres, quand il dit que la mort est notre maître médiatique.http://precoces.org/site/modules.ph...