Accueil > Les vieux campeurs refusent de décamper

Les vieux campeurs refusent de décamper

Publie le lundi 26 septembre 2005 par Open-Publishing
1 commentaire

Article de Libé : http://www.liberation.fr/page.php?Article=326426

A Tourmignies, d’anciens ouvriers se révoltent contre l’évacuation du site.

Par Stéphanie MAURICE

lundi 26 septembre 2005 (Liberation - 06:00)

Lille correspondance

Tourmignies, dans la campagne lilloise, un vieux camping est en train de céder la place à un « projet de développement touristique ». Les campeurs, ouvriers à la retraite, sont priés de laisser la place aux autres, citadins qui auront les moyens de louer pour le week-end de charmantes cabanes perchées dans les arbres. « C’est le pot de terre contre le pot de fer. On perd tout », pleure un vieux couple.

Derrière les haies de thuyas bien taillées qui encadrent leur emplacement, Michel, 70 ans, et Marcelle, 67 ans, trente-cinq ans de présence, sont catastrophés. « Notre mobile home est trop vieux, on va devoir le laisser sur place, plus aucun camping n’en veut, passé dix ans. Nous ne pouvons pas nous permettre d’en racheter un, même d’occasion. On s’est renseignés, c’est 15 000 euros. » Michel secoue la tête : « C’est une belle saloperie ». Il parle des rosiers qu’il n’a plus le coeur de soigner. Sa femme explique, émue : « L’hiver, avant, ça passait vite, dès le mois de mars, on préparait les paquets pour venir ici, et on repartait en octobre. Maintenant, nous allons rester à l’appartement. Pourtant, on est mieux au grand air. C’est un changement de vie, je peux vous dire qu’on en a passé des nuits blanches à essayer de trouver une solution. »

Questionnaire. Debout dans leur mobil home impeccable, à la déco années 70, tons grèges et marron, ils se souviennent. Michel travaillait dans une usine de fermetures à glissière et, tous les soirs pendant la belle saison, à la fin du boulot, il venait au camping rejoindre sa femme. Le patron de l’entreprise l’accompagnait parfois pour boire l’apéro. « Un jour, on a dû remplir un questionnaire, dire depuis combien de temps on est là. Ma fille me demande : "Papa, j’ai toujours connu le camping ?" Je lui ai dit : "Mais tu as été conçue ici !" Elle a mis son âge, 27 ans, ils ont dû la prendre pour une folle », arrive encore à rire Michel. Il se rembrunit : « Puis, il y a trois semaines, il y a eu une réunion avec ces beaux messieurs, c’est là qu’ils nous ont annoncé qu’on devait partir pour le 31 décembre. »

Questionnaire. « Les beaux messieurs » sont les maires de la communauté de communes du pays de Pévèle (CCPP), nouveau propriétaire depuis le 1er janvier 2005. Ils ont déboursé 1,6 million d’euros pour ces 18 hectares, petit bois et étangs compris, idéalement placés à quinze minutes de Lille, en plein sur le tracé du Paris-Roubaix. « Nous avons des milliers de cyclistes tous les dimanches matin, s’enthousiasme Luc Monnet, maire (UMP) de Templeuve et président de la CCPP. Nous sommes à proximité de la forêt de Phalempin, de la future base ornithologique du bois des Cinq-Tailles » et, de surcroît, dans une zone qui s’embourgeoise grâce à la migration de riches citadins vers cette campagne aux fermes anciennes convoitées.

Autant dire que ce camping façon Astérix et Obélix, avec sa vie de village, ses parties de pétanque et de pêche, ses repas partagés à la bonne franquette entre voisins de vingt ou trente ans, ne pèse pas lourd face au vaste projet de gîte rural, location de cabanons, « arboretum », guinguette et vente de produits du terroir.

Un projet qui fait ricaner dans les caravanes. « Si j’étais riche, j’irais au Touquet ou à Deauville, pas dans un camping où il n’y a même pas la mer », s’exclame Sylvain. Le président du CCPP n’en démord pas : « C’est un très beau site, qui peut être une vitrine du Pévèle, il ne doit plus profiter qu’à un groupe de campeurs, mais ouvert au plus grand nombre. »

Irréductibles. Ce que les élus n’avaient pas prévu, c’est la résistance des ouvriers à l’âme militante. Jean-Paul Chrétien, ancien syndicaliste, a pris la tête du mouvement, soutenu par le maire de Tourmignies : réunion d’information de la base, vote à main levé pour la constitution d’un comité de défense, négociations serrées avec la CCPP. Le combat commence à payer : tous les propriétaires de mobile home et de caravane, quatre-vingts personnes, toucheront entre 600 et 1 000 euros pour couvrir une partie des frais de déplacement de leur matériel.

Restent une vingtaine d’irréductibles, qui vivent ici en permanence. Ils doivent plier bagages avant le 15 octobre, leurs dossiers ont été placés dans les mains des travailleurs sociaux, avec l’obligation de leur trouver une solution de relogement rapide. Pour ce résident, installé depuis trois ans dans le camping : « On n’est pas des misérables, comme les articles de presse l’ont dit, proteste-t-il. Le caravaning, c’est un mode de vie, je n’ai pas tellement envie de reprendre la vie en appartement. L’hiver, c’est bien aussi, il y a de la convivialité, on va manger un bout de gâteau chez les uns, chez les autres, on est chauffés, on a tout ce qu’il faut. » Une voisine, la soixantaine, approuve, carrée dans un fauteuil de jardin, son caniche à ses pieds : « Ça fait un an que je suis ici, j’ai lâché mon appartement à Douai, je préfère être réveillée par les oiseaux, ça change des portières qui claquent. J’habitais dans une cage à poules, les voisins bougeaient une tasse, je l’entendais. » L’hiver ne lui fait pas peur : « Je ne suis pas frileuse, j’ai mon radiateur et mes voisins vont me chercher des jerricans d’eau. » Elle ne veut pas d’un nouvel appartement : « J’ai assez grimpé d’escaliers comme ça, ce sera une maison ou rien d’autre. »

Messages