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Marchands de solidarité : où en est l’économie sociale et solidaire ?

Publie le vendredi 30 janvier 2009 par Open-Publishing

ÉDITO

110 000 salarié.es, 23 000 entreprises, des centaines d’associations, des milliers de bénévoles, 12 % du PIB régional. Voici « l’économie sociale et solidaire ». Un vaste agglomérat fumeux qui crée l’enthousiasme général, au point que le mois de novembre lui est entièrement dédié [1]. Forcément, La Brique se méfie.

Fourre-tout

Quel lien entre les magasins E. Leclerc, le Crédit Agricole, une boîte d’insertion et une association militante ? Aucun nous direz-vous. Et pourtant, grâce à ce merveilleux concept, les structures les plus antagonistes se découvrent une identité commune. Ainsi, mutuelles et coopératives héritières du mouvement ouvrier du XIXème siècle (mais dépouillées de ses valeurs) se retrouvent aux côtés de sociétés nouvelle génération, soucieuses d’un profit encadré d’éthique. Des associations teintées d’autoritarisme et d’opportunisme sont placées au même rang que celles qui défendent l’autogestion et l’indépendance. « L’économie sociale et solidaire n’existe pas  » [2], dirait-on avec notre mauvaise foi habituelle.

On manque de s’étrangler lorsque la mairie de Lille proclame la «  Liberté d’Entreprendre Autrement » [3], la volonté de « faire primer l’humain sur les rapports économiques  ». Ce phénomène social et solidaire semble par avance biaisé, trop ancré dans des logiques capitalistes et institutionnelles bien plus puissantes. Tandis que certains font tout pour s’en détacher, et La Brique les encourage, d’autres s’en accommodent très bien, ou en abusent...

De l’AIT au « tiers-secteur »

Pour ce premier volet, coup de projecteur sur une « épicerie solidaire  ». Son évocation fait écho aux premières coopératives ouvrières de consommation. La réalité en est bien loin.

150 ans plus tôt, le « Commerce véridique  » de Derrion (1834) et la «  Société des travailleurs unis  » à Lyon (1844), donnaient naissance à des épiceries qui conjuguaient mise en commun des denrées de base et luttes sociales. Fruits des expériences mutualistes et coopérativistes, elles alimentaient un fonds social en faveur d’une éducation populaire, en soutien aux canuts grévistes ou afin d’embaucher des ouvriers licenciés pour leur esprit révolutionnaire.

En 1864 à Londres, l’Association Internationale des Travailleurs estimait que « les expériences des coopératives montrent (...) que la production à grande échelle peut être effectuée sans qu’une classe de maîtres emploie une classe de bras ». Ces paroles, les ouvrier.es de la Fabrique sans patron (Fasinpat, ex-Zanon) en Argentine, les mettent chaque jour en pratique depuis 2003. Produire et faire vivre la communauté. Exemple de résistance, difficile à placer dans l’immense « tiers-secteur-d’utilité-sociale-à-but-non-lucratif » nordiste, où l’aspect militant est trop souvent relégué au sous-sol. Parce qu’il s’agit d’être sérieux, crédible, réaliste, de dialoguer avec le monde de l’entreprise, de se pencher sur la recherche de subventions et mettre au point une stratégie marketing...

Dans ce foutoir, La Brique se charge de trouver quelques moutons noirs. Mais pour ce numéro, mauvaise pioche !

- L’épicerie solidaire de Lille-Sud

L’interview de l’association La Pioche, évincée du projet au profit de Carrouf

Un an que l’association La Pioche se démenait pour ouvrir une épicerie solidaire à Lille-Sud. L’idée prenait dans le quartier : réunions avec les habitant.es, les centres sociaux, les associations... Lorsque la mairie suspend le « processus » : elle souhaite intégrer au projet le Pacte 59, une association créée par Carrefour. Un partenariat plus ou moins forcé se met en place. Carrouf finit par manger le projet tout cru et le vide de son sens. Témoignage dépité du président de La Pioche, Xavier Broussier.

De quelle manière le Pacte 59 vous a-t-il mis de côté ?
Le local, on devait le louer avec l’aide de la mairie, mais c’est Carrefour qui a pris la location. Ils ont dit qu’ils nous hébergeraient. Mais dès qu’ils ont eu le local, ils en ont profité pour nous pousser vers la sortie et faire comme ils voulaient, et la ville de Lille a cautionné tout ça. Ils ont fait des travaux tout de suite pour la partie magasin, et tous les espaces qui devaient servir aux ateliers [voir la fin d’interview], ils s’en foutaient complètement. Ils disaient : c’est notre local, on est chez nous, ça ne vous appartient pas...

Le Pacte 59 a récupéré vos financements ?
Ils disaient : "comme on prend le local, on prend aussi les subventions qui devaient permettre de financer le local". Nous, on était en négociation depuis un an, on devait être soutenus par trois délégations de la mairie : action sociale, politique de la ville et économie solidaire. Du coup, ils ont récupéré les subventions qu’on devait avoir*. (...) Il n’y a que l’élue à l’économie solidaire, Christiane Bouchart [cf. ci-dessous], qui a refusé de transférer sa subvention. Lire la suite

- L’économie solidaire ou l’impuissance politique


[1Le « mois de l’économie sociale et solidaire » est organisé par la CRES et l’APES

[2« L’économie sociale et solidaire n’existe pas », Matthieu HELY, www.laviedesidees.fr, 11/02/2008

[3LEA, réseau municipal de ce fourre-tout à Lille.