Accueil > Marie-George Buffet sur RTL (audio)
En l’absence de Jean-Michel Aphatie, en vacances, c’est Christophe Hondelatte qui officie. Il recevait jeudi matin la candidate communiste à la Présidentielle. Elle a déclaré qu’elle voulait "contribuer à une majorité politique à gauche", en plaidant pour un programme répondant "aux attentes populaires".
– Christophe Hondelatte : On fera un peu de politique politicienne, je vous rassure, Mme Buffet, dans un instant ; et on reviendra sur ce qui se passe à l’extrême gauche. Je voudrai d’abord qu’on parle d’actualité, donc d’Airbus. Alors, je ne doute pas évidemment que vous allez entrer dans la lutte face au plan qui a été annoncé, hier : 10.000 suppressions d’emploi en Europe ; mais est-ce qu’il ne faut pas en passer par là pour sauver Airbus, Mme Buffet ?
Marie-George Buffet : Non, il y a quelque temps, vous vous rappelez en 2005, on disait : "Airbus est l’exemple européen, justement de coopération, de mise en oeuvre des technologies, etc." Aujourd’hui, on nous dit : "Il faut licencier, il faut fermer des sites". Or, je vois que les dividendes se portent bien. Si on a besoin...
– On s’est peut-être trompé quand on a dit que c’était l’exemple ?
Oui, mais si on a besoin de dégager des ressources nouvelles, il faut prendre sur les dividendes des actionnaires et ne pas utiliser, une fois de plus, l’emploi comme variable d’ajustement. Nous avons aujourd’hui des dividendes qui ont augmenté de 45% en 2006. On nous explique que peut-être on n’aura pas assez de salariés pour répondre aux commandes de l’A380. Il faut un travail de recherche et de projet extrêmement important pour l’A350 ; donc, on a besoin d’emplois qualifiés EADS et on ne peut pas demander aux salariés de payer les erreurs de gestion de ceux qui... Voilà.
– Dans la logique libérale, et jusqu’à nouvel ordre, c’est le système qui prévaut. Sans dividende, pas d’actionnaires. Sans actionnaires, pas d’Airbus.
La logique libérale fait qu’aujourd’hui la France connaît un tsunami industriel. Moi je parcours la France. Par exemple, en ce moment, sur les équipementiers de l’automobile, ça ferme partout. J’étais, hier, devant une entreprise Bréa où Renault lui demande de baisser ses prix. Son actionnaire principal qui est un fond de pension britannique lui demande de dégager des profits. Et les salariés me disaient : "L’entreprise ne peut même plus investir à la modernisation des machines outils et bientôt, on ne va plus être compétitif. On est en train de tuer l’industrie française au nom des actionnaires". Eh bien moi je propose qu’il y a un droit de gestion, un droit de regard dans la gestion des syndicats et des élus territoriaux. Ca permettra que l’entreprise retrouve son rôle citoyen, son rôle social tourné vers la production et pas tourné vers les actionnaires.
Et vous savez vraiment quand on parcourt la France, on s’aperçoit quand même qu’en ce moment, les Fonds de pension et les Fonds d’investissement qui s’abattent comme des prédateurs sur notre industrie, restent deux ans sur une entreprise, sucent tout ce qu’ils peuvent en sucer, et puis ensuite disparaissent et laissent l’entreprise fermée. C’est quand même extrêmement inquiétant. Moi j’ai écrit au président de la République, hier. Il faut qu’on réunisse d’urgence l’Assemblée nationale pour discuter de ce qui se passe au niveau de notre industrie aujourd’hui.
– La prochaine, disons, Assemblée nationale.
Oui, mais elle pourrait toujours se réunir. On va la réunir pour élire un nouveau président. On peut la réunir pour parler industrie.
– Regardez, les capitaux étrangers ont créé 40.000 emplois en France, l’année dernière. Ce sont ces fameux fonds de pension dont vous parlez, là ?
Oui, mais d’abord, ce sont des emplois précaires. Je reprends l’exemple de cette entreprise.
– Pas tous !
Je reprends l’exemple de cette entreprise. Il y a des embauches mais sur des emplois extrêmement précaires. On a les contrats en durée indéterminée qui partent en retraite, aujourd’hui - on a dit "C’est le Papy boom" - c’est le départ massif en retraite, et les embauches se font surtout sur le plan de l’intérim.
– Raisonnement recevable, Mme Buffet ! Sauf qu’avec vos petits bras musclés, vous ne pouvez pas, seule, et même la France avec ses petits bras musclés, ne peut pas lutter contre le système qui prévaut dans le monde entier - c’est un système capitaliste.
Oui, mais à ce moment-là, il ne faut plus qu’il y ait des hommes et des femmes politiques. Il ne faut plus d’Assemblée nationale, il ne faut plus de gouvernement. Si on déclare que le Politique ne peut plus rien contre l’Economie, il faut baisser les bras et ne plus agir. Mais c’est comme ça que la gauche a perdu en 2002.
– Quand bien même, seriez-vous présidente de la République, dans deux mois, vous ne pourriez pas changer le système ?
Oui... Mais si ! Par exemple, j’ai parlé tout à l’heure des droits des salariés dans la gestion d’une entreprise. Je vais vous prendre un autre exemple. J’ai déposé une loi, il y a trois semaines, à l’Assemblée nationale pour responsabiliser les donneurs d’ordre. Vous prenez aujourd’hui PSA ou Renault. Ils font pression sur les filiales qu’ils ont même créées, sur les prix, c’est-à-dire qui entraînent délocalisations et licenciement. Est-ce qu’on peut responsabiliser les donneurs d’ordre en faisant en sorte que ce soit eux qui soient en charge de fonder un fonds de restitution pour maintenir les salaires des ouvriers licenciés comme à Thomé-Génot jusqu’à ce qu’ils retrouvent un emploi.
Est-ce qu’on peut faire, en sorte, que les fonds publics de nos entreprises soient vraiment contrôlés pour qu’ils soient utilisés - les 65 milliards - vers l’emploi et non pas pour préparer les délocalisations ? Est-ce qu’on peut faire en sorte que se crée un pôle financier public à partir de la Banque de France, de la Caisse des Dépôts et de Consignations pour permettre une politique du crédit, faire en sorte que les PME ne soient pas écrasées par les charges financières des banques ? Voyez, la Politique peut quelque chose sur l’Economie s’il y a un désir de relance industrielle, et non pas de laisser faire les prédateurs financiers.
– Alors, est-ce qu’on peut dire, ce matin, Mme Buffet - j’ai cherché dans les articles de presse, c’est assez amusant d’ailleurs comme exercice, comment on vous appelle - et partout on vous appelle candidate du Parti communiste français. Or, je crois que ça n’est pas le cas ?
Oui, je suis candidate de la gauche populaire et antilibérale, parce que j’ai voulu respecter l’engagement que j’avais pris auprès des collectifs antilibéraux, de quitter ma responsabilité de secrétaire nationale du parti. Mais ceci dit, j’assume complètement d’être communiste et d’être militante communiste.
– Oui, mais néanmoins, vous vous êtes dit : "Tiens, est-ce qu’en supprimant faucille, marteau et références au Parti communiste, il n’y a pas moyen de grapiller un point". Pour l’instant, ça ne le fait pas ? Vous êtes à 2,5 points dans les sondages.
Mais c’est pas le problème. Le problème c’est que nous avons commencé à construire un rassemblement en 2004. J’ai moi-même conduit une liste aux élections régionales d’Ile-de-France, ouverte à d’autres sensibilités de gauche et nous avons fait un score intéressant. Nous avons eu plusieurs élus ; ensuite, nous avons eu cette bataille commune au niveau du référendum et de la victoire du "Non" de gauche, le 29 mai 2005. Et puis, nous avons commencé à construire un programme ensemble. Nous avons buté sur la question de la candidature commune parce qu’il y a eu des oukazes de certaines organisations mais moi, je suis fidèle à cette démarche de rassemblement.
Vous savez, moi quand je regarde les sondages aujourd’hui, ma principale inquiétude, c’est l’état de la gauche. Moi, je ne me sens pas d’extrême gauche. Moi ce qui m’intéresse c’est la gauche toute entière. Or, aujourd’hui, on voit la gauche qui est à 40%, 42%, 45%, un niveau très, très bas. Donc, je me dis : "Comment, aujourd’hui, on va donner à voir d’un programme audacieux, d’un programme qui porte une dynamique populaire, qui répond aux attentes populaires pour faire en sorte que la gauche batte la droite ?". Parce que ça, c’est mon obsession : je ne veux pas laisser les clefs de la République à Sarkozy et faire en sorte que cette fois-ci, la gauche réussisse.
– Vous diriez que vous avez un peu de mal quand même à exister dans cette campagne, Mme Buffet ?
Oui, bien sûr, ça fait des mois et des mois qu’on nous a déjà prédit les candidats officiels qui seraient pour le second tour.
– Oui, enfin...
Mais si, mais si...
– Non, vous pouvez taper sur les médias, dire qu’il y a une bipolarisation, etc. Non, mais sur les médias ou sur le système politique. N’empêche que votre principal problème, c’est Bové, Laguiller, Besancenot et les autres...
Non, le principal problème c’est de donner à voir qu’à gauche, une autre politique est possible que celle que nous avons menée à chaque fois que nous étions au pouvoir ; et que cette fois-ci, non seulement...
– Oui, mais vous êtes cinq à dire la même chose !
Non, justement. On peut tout simplifier. Mais qu’est-ce qui a fait que la Ligue communiste a présenté son candidat dès le mois de novembre, c’est justement qu’il n’était pas d’accord sur cette orientation. Moi je pense qu’il faut contribuer à une majorité politique à gauche, à un gouvernement de gauche qui mette en place une politique qui permette de répondre aux attentes et ne pas échouer comme on a échoué en 2002.
D’autres, en effet, dans l’extrême gauche, pensent qu’aujourd’hui on ne peut pas avoir ce genre de majorité, qu’il ne faut surtout pas s’adresser aux électeurs socialistes, et donc il faut rester dans une opposition, dans une contestation ; qu’il faut déjà préparer une nouvelle opposition de gauche.
Non, moi je pense qu’en huit semaines, on peut faire en sorte que ça bouge à gauche, que la gauche gagne parce que quand même, les hommes et les femmes que je rencontre, ils ne sont pas en train de me dire : dans vingt ans, dans trente ans, est-ce que vous réussirez à faire passer une gauche idéale ? Ils sont en train de dire : "Mme Buffet, est-ce que dans quelques mois, on va pouvoir faire passer des lois nécessaires pour que nous ne soyons pas licenciés, pour que nous puissions avoir droit à un logement de qualité, etc ?"
– Mme Buffet, vous étiez l’invitée politique de RTL ce matin. Merci.
Merci.
Sources :