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Navigo Parano...

Publie le mardi 17 octobre 2006 par Open-Publishing
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Un Navigo pour naviguer Parano...

Depuis quelques temps sont apparus sur les cathodiques métropolitains d’alléchants messages : « Bientôt la carte range va disparaître pour être remplacée par le NAVIGO »... Tout d’abord, je tiens à vous rassurer, la carte orange ne va pas disparaître, pas tout de suite du moins... en tout cas pas tant que je pourrais encore l’utiliser...

La petite Navigo est pourtant tellement séduisante ! C’est le visage de l’avenir et de la modernité, radieux et lisse comme du PVC. Sorte de mise au norme d’un "monde meilleur et sans fil", sa petite puce se rend capable, du fond de votre poche, de faire abdiquer tous les tourniquets qu’elle croisera, vous évitant ainsi la pénible et rétrograde insertion du vieux vilain coupon tout rougeaud, tout tordu et si vite usé.

Et pourtant Navigo ne me séduit pas, pire, ça m’inquiète... Navigo ne s’entend décidément pas bien avec ma parano...

Anatomie. D’un côté nous avons une base de données qui contient une somme d’informations très personnelles sur mon compte : nom, adresse et photo en numérique. De l’autre côté nous avons cette bavarde petite Navigo qui vous "dénonce au central" à chaque entrée, ou sortie, d’une station de métro, mais aussi de bus, de tram, de RER, bref, de tout ce qui me transporte en commun... ajoutant ainsi sans relâche à "votre fiche", la liste exhaustive des noms, dates et heures des check-points que vous avez traversés.

Avec 14,6 millions de cartes oranges mensuelles émises en 2004 et près de 6 millions d’Intégrales, on imagine bien que le dit fichier va vite devenir bien gros et bien dodu. On imagine aussi sans peine ce que l’on pourrait en faire. Auscultée par tranches horaires, elle vous permet de découvrir foule d’infos croustillantes comme votre lieu de travail, vos habitudes nocturnes, votre endroit préféré pour déjeuner...

On peut aller bien plus loin et s’amuser à croiser les trajets de tous les voyageurs et ainsi découvrir qui va où et en même temps. Il devient alors enfantin d’établir par exemple la liste des participants à une manif en comparant les noms de ceux qui sont arrivés à Bastille avant ceux qui, un peu plus tard, sont partis de Richelieu-Drouot... Et imaginez encore cela matiné de critères ethniques, un peu comme ce qui a fait quelques bruits dernièrement.

L’article 6.2 des « conditions générales » est quant à lui assez clair, et indique bien que tous les déplacements sont historisés et donc associés à votre nom, votre photo numérisée, votre adresse, téléphone (non obligatoire . Il est cependant possible d’exercer son "droit d’opposition" à l’utilisation de ses données personnelles à des fins de prospection (6.1 b). Il est aussi à noter que le STIF déclare que ces données de déplacements ne seront gardées que 48h maximum. Belle garantie que celle-là qui n’ôte rien à la dangerosité de la pratique. Il semblerait aussi qu’un surcoût de 5€ soit demandé si l’on désire une carte anonyme... Non, vraiment, Navigo, ça fait rêver...

A l’heure actuelle, la seule base de données qui conserverait une photo (entre autres joyeusetés), est celle des futures pièces d’identité électroniques (Nom de code « INES ») et là, nous avons une base de données gérée exclusivement par un GIE appelé « comutitres » et constitué à l’initiative de la RATP, la SNCF, et l’OPTILE (ensemble d’exploitant privés). Des gens sérieux me direz vous ? Oui, sûrement, comme en témoigne la mésaventure de cet internaute, justement lors de l’achat de son passe Navigo... Moi je dis que ce genre d’histoire, cela soigne bien mal ma parano...

En tout état de choses, et au-delà du sérieux et de l’éthique dont peut faire preuve tel ou tel organisme, dès lors qu’un fichier nominatif (et photographique !) est constitué, il existe un risque, même infime, qu’il soit un jour utilisé à des fins autres que celui auquel il est originellement destiné. C’est là tout le danger du "tous fichés" qui semble frapper notre charmante société. La France n’est, rappelons le, pas plus à l’abri d’un changement de régime aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a 65 ans. Et dieu sait qu’un tel fichier aurait été utile à quelques-uns, il y a 65 ans...

Mais au-delà de l’aspect éthique posé par la constitution d’une telle base de données, se pose la question du mobile, du pourquoi ? Oui, j’ai bien compris, Navigo, c’est beau, la version iPod du titre de transport qui un jour sera sûrement tout aussi personnalisable avec des coques de couleurs... j’ai aussi bien compris, c’est beaucoup plus rapide, je dois bien y gagner une seconde par passage, et seulement si j’occulte le spectacle d’un Navigo passé dix fois sur toutes ses coutures en espérant entendre le machin bipper pendant que grogne la queue, de cette demoiselle sautillante, toute à exposer le mieux possible au composteur la poche arrière de son Jean ou de cet autre distrait qui passe en rougissant l’ensemble de ses poches au-dessus du scanner. Tout cela m’a fait gagner un temps fou...

Alors, pourquoi ces cartes sont-elles nominatives ? Rien pourtant n’empêchait ses concepteurs de s’inspirer de la carte orange. Une carte en deux parties, l’une que vous conservez sur vous en vue des contrôles estampillée à votre nom sur laquelle vous reportez un numéro unique présente sur la carte Navigo avec sa puce magique. Vous présentez les deux aux contrôles, c’est aussi fluide que Navigo et aussi anonyme que la carte orange.

Mais bien évidemment la finalité n’était pas là. En effet, le gros défaut aujourd’hui de la carte orange est l’impossibilité d’automatiser la détection des fraudes ! Car si Navigo permet encore de passer au travers d’un contrôle muni de la carte d’un "ami", cet ami va quant à lui rapidement vous détester lorsqu’il se fera toquer pour "fraude" par la simple analyse de "ses" déplacements un peu trop erratiques. Vous pensez que je suis encore parano ? J’ai failli le croire aussi lorsque je me suis renseigné sur Comutitres et que je suis tombé sur leur éditorial « La lutte contre la contrefaçon est l’affaire de tous » avec cette phrase plus qu’éloquente : « (...) Dans le secteur des transports, le meilleur moyen pour lutter contre la contrefaçon de faux billets et la fraude est de recourir à la télébilletique. (...) ». Comutitres, vous vous rappelez, le GIE qui gère Navigo...

Et voilà donc comment et pourquoi, aidés par une stimulation intensive du "geek" qui sommeille en chacun de nous, les franciliens se retrouveront massivement "mis en base" avec les risques potentiels, ou moins potentiels, que cela implique. L’ensemble auto-justifié par un "si vous êtes un bon citoyen vous n’avez rien à craindre", à décoder par un "si vous étiez de bons (consommateurs) citoyens, nous n’aurions pas à faire cela".

cf http://moutons.karma-lab.net/node/1000

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