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Palestine : temoignage d’une observatrice francaise a Gaza

Publie le mardi 22 avril 2003 par Open-Publishing

Temoignage de Catherine Pesnelle,
membre de la 51 eme mission,
du 7 au 14 mars 20

Trois jours dans la bande de Gaza
< Bienvenue dans notre grande prison >

Par Catherine Pesnelle
Temoignage de Catherine Pesnelle, membre de la 51eme mission, du 7 au 14 mars
2003.

Caen, le 3 avril 2003

Ces mots dans la bouche du docteur Mouna prennent tout leur sens lorsqu’on
vient de passer le check-point d’Erez : un terrible check-point parce que, de
loin, il a pris des allures de simple gare routiere ou de grand peage, sauf
que notre bus conduit par un Palestinien est force de nous laisser sur ce qui
est, en fait, une frontiere quasi hermetique pour les habitants de Gaza :

un passage pour les Israeliens, un pour les etrangers, un pour les voitures,
ou meme celles de l’ONU passent a la fouille et, a l’abri des regards, un
long tunnel grillage pour les ouvriers palestiniens qui mettent des heures a
le franchir deux fois par jour (ils n’ont pas le droit de dormir en Israel)
pour aller faire de la basse besogne chez l’occupant, des esclaves, payes a
la journee, sans garanties sociales, des esclaves que des dizaines de cars
dechargent et d’ou ils sortent en courant pour rejoindre une immense colonne
compacte qui ne bougera qu’au gre de l’humeur des soldats !

Cette operation discriminatoire et concentrationnaire a pour effet d’aneantir
socialement une population qui n’a d’autre choix, compte tenu du chomage
aggrave suite au bouclage, que de subir pour survivre. Les Palestiniens
eux-memes parlent de .

Nous passons nos bagages et vetements aux nombreux detecteurs pendant que nos
passeports sont examines un par un, et nous savons d’ores et deja que nous
serons marques au rouge, au retour, pour avoir ose aller de l’autre cote :

dans la bande de Gaza entierement encerclee par une ceinture de securite
controlee par Israel, cote terre comme cote mer !

Obsession ou phobie, si les Israeliens occupent ce territoire depuis 1967,
pour autant ils ne le considerent pas comme faisant partie d’Israel !

Si ca n’est pas le principe d’une conquete, qu’est que c’est ?

Au-dela d’un no man’s land herisse de chicanes et barre par d’enormes plots,
au-dela de la derniere guerite et de l’ultime controle d’identite, c’est Gaza
ou J... nous attend patiemment. Il nous emmene a l’hopital Al-Awda, dans le
camp de Jabaliya.

Nous sommes recus dans une salle de reunion que les tirs israeliens
empechaient de traverser la semaine precedente ; et invites a visiter les
blesses.

Ce n’est pas le moment d’invoquer la pudeur, le respect du patient... il faut
voir, nous dit le medecin, il faut constater les jeunes blesses a la tete et
au ventre, puisque nous faisons fonction de temoins a defaut d’une force
d’interposition que les Palestiniens reclament et qu’Israel refuse...

Les services d’urgence sont debordes, les malades entasses... Le docteur
Mouna nous demande de diffuser son rapport intitule <Pendant que vous
dormez>. Elle nous dit qu’ecrire (et elle ecrit tous les jours !) l’aide a
conjurer son angoisse.

Le temps d’apercevoir les ruelles encore sablonneuses des quartiers resserres
du camp, et J... nous conduit jusqu’a une ecole detruite, la semaine
precedente, a coups de roquettes lachees depuis des F16 (plusieurs enfants
sont morts a cette occasion), puis vers des champs devastes a proximite d’une
colonie, et enfin sur les decombres d’une ferme que la 34eme mission
bas-normande avait vue en pleine prosperite :

terroriser la population, detruire les habitations, araser les terres
cultivees, abattre les arbres fruitiers soit de facon deliberee, soit en
pretextant la dialectique de l’agression... tels sont les procedes
regulierement utilises par l’armee pour permettre aux colonies de s’etendre
et ainsi toujours decouper et grignoter davantage les Territoires... jusqu’a
leur annexion complete ? C’est a redouter !

Long moment passe avec le fermier, qui nous dit ne plus pouvoir regarder sa
fille dans les yeux, mais finira par citer Voltaire et nous donner
rendez-vous dans le futur, quand sa terre sera libre.

Une nuee d’enfants nous raccompagnent jusqu’au bus...

Chacun quete un regard, un sourire, et le dernier signe de la main, alors que
notre bus s’eloigne deja... Le bleu de la mer est d’une cruelle ironie !

Il nous faut les laisser sur ce champ de ruines pour comprendre comment un
directeur d’une ecole chretienne de Gaza, rencontre dans l’apres-midi, en
vient a concevoir que certains jeunes preferent la mort a cette non-vie et a
plaider pour eux...

Comme pour ces hommes et femmes qui choisissent de mourir dans leur maison
lorsqu’on leur laisse deux minutes pour en sortir avant destruction...

La soiree dans des familles ne fera qu’alimenter notre constat d’une detresse
totale. Les uns rencontreront des chretiens souffrant d’isolement dans un
monde a majorite musulmane, cherchant des moyens de subsistance paralleles...

Les autres verront un pere menacant de sa folie femme et enfants parce que
trop blesse par la prison (pour n’avoir fait que passer la frontiere
clandestinement en vue d’un travail...) puis par la mort de son fils...

D’autres encore entendront le reve de ceux qui voudraient fuir en Europe...

Ce jeune qui veut aller en Italie, mais... meme se promener en ville est un
probleme, alors obtenir un visa... impossible !

Pour s’echapper, il n’a que sa terrasse et sa glaciale aux murs
habilles de couvertures ou de simple plastique, un lit de fortune, une grosse
radio et, dans un petit reduit adjacent, ses serins, toute une collection
qu’il bichonne, qu’il fait proliferer et chanter... son seul luxe !

Comment ne pas le comparer a ses oiseaux prisonniers ?

A l’hotel Marna, deux etudiants nous attendent : tant pis pour la fatigue !

Sur que nos oreilles et nos yeux sont satures du malheur vu et entendu, et
pourtant comment refuser d’ecouter leurs souffrances et appels :

<Pourquoi le monde a-t-il oublie la Palestine ? <trl026.html> >, declame l’un
d’eux dans un poeme... Maigre consolation pour eux de n’avoir pour seul
auditoire qu’une mission de passage !

Rafah, le lendemain :

le pire est a venir ! Rafah, c’est une ville peuplee de 137.000 personnes dont
68% sont des refugies forces en 1948 de quitter le nord de la Palestine
mandataire pour venir s’installer ici.

Rafah, c’est un endroit strategique parce que frontalier avec l’Egypte,
entoure du cote est par le Neguev et du cote ouest par la Mediterranee, donc
forcement pris en etau entre bases militaires et colonies... une cible
permanente pour l’armee qui, non contente de controler une zone tampon le
long de la frontiere, cherche constamment a gagner du terrain en securisant
son espace autour des dernieres conquetes.

Comment deloger insidieusement un peuple ? par une guerre d’epuisement, en
touchant a ses besoins vitaux... l’eau, l’electricite, les maisons, les
magasins, les terres...

Et si ce peuple cherche a reconstruire, a reparer... on revient a la charge,
on l’intimide par des tirs repetes, on terrorise ses enfants, on va jusqu’a
tuer au besoin celui qui s’aventure sur ce qui devrait etre son terrain de
jeux et qui n’est plus qu’un terrain de chasse !

Alors, la encore, ces enfants nous suivent... on ne peut lire encore les
traces de leurs insomnies sur leurs jeunes visages, mais on sait que le
centre medico-social redoute pour eux de graves troubles psychologiques...

Les equipes s’y attellent deja par le theatre, le dessin... toute prevention
est impossible quand on est face a une attaque journaliere et qu’on craint
meme son acceleration !

Les femmes auront aussi leur espace de rencontres et detente, elles qui
souffrent dans l’ombre et n’osent plus sortir...

Dans ce centre, auquel les missions bas-normandes apportent leur modeste
soutien financier, tout sera concentre :

consultations diverses, activites physiques et artistiques... pas besoin de
se deplacer trop longtemps dans les rues... en situation de guerre, il faut
limiter les dangers au maximum.

C’est aussi a Rafah que nous aurons a rejoindre cette jeune Americaine,
Rachel Corrie, et son equipe d’internationaux (International Solidarity
Movement) ;

nous la verrons engagee, megaphone et banderole a l’appui, dans une
negociation avec les soldats, postes sur un mirador, dans leur camp retranche
derriere une haute muraille metallique.

Cette fois-la, c’est pour proteger de leurs tirs des Palestiniens occupes a
refaire une canalisation fraichement detruite... Nous sommes rassures... la
reparation a pu se faire... Brefs echanges... nous nous quittons...

Une autre intervention l’attend, elle grimpe sur un engin avec quelques
copains et un ouvrier, elle est jeune, pleine de combativite...

Pouvons-nous concevoir a ce moment que l’impensable se produira dans quatre
jours... elle mourra, ecrasee par un bulldozer israelien <rep22.html> pour
avoir voulu empecher la destruction de maisons dans ce meme camp !

Rachel aura ete la premiere personne des missions civiles froidement executee
par l’armee israelienne parce qu’elle demandait seulement le respect du
droit ! Serait-ce un avertissement pour d’autres missions ?

Apres avoir vu ce qui ressemble a un enfer quotidien, le tour oblige par
l’aeroport detruit nous semble superflu !

Nous qui sommes seulement de passage, nous disons : c’est trop ! Alors eux...
condamnes sur place !... c’est pourquoi ils veulent autant que l’on voie... et
puis, cet aeroport, c’etait l’espoir, l’espoir d’une autonomie, l’espoir un
essor economique...

C’est devenu le symbole de l’echec... cette large saignee dans les pistes
d’envol, c’est aussi, a la face du monde, une signature geante : Israel ! en
autodefense ! non ! Israel en guerre.

De toute facon, il faut savoir que, si le processus de paix a permis la
creation de cet aeroport, il stipulait aussi son maintien sous tutelle
israelienne... ou l’on voit que le ver etait dans le fruit !
Meme si leur cadre est commun, aucune mission ne ressemble a une autre ! La
notre est heteroclite... elle aime rire... c’est salutaire !

On resiste comme on peut a l’horreur. Mais on a un modele imposant : la
34eme... nous sommes de faux pelerins (notre alibi pour passer la frontiere),
qui faisons un vrai pelerinage dans les pas de nos predecesseurs... Il faut
aller a Al-Tufah !

Al-Tufah, c’est le passage par check-point vers Al-Mawasi, une ville cotiere
de 8.000 habitants, coupee du reste de la bande de Gaza par des clotures
electriques entourant une base militaire et des colonies israeliennes toutes
... (comme s’il y en avait de legales !)

Les habitants ne peuvent passer qu’a pied, pendant les heures ou il fait
jour, et par petits groupes ou individus appeles par haut-parleurs ! Ils
avancent au milieu de la zone de controle, s’arretent sur ordre, continuent
sur ordre... grande tension perceptible de loin et qui nous fait progresser
avec gravite, scruter le regard inquiet de notre guide... Il n’est pas le
seul a nous deconseiller d’etre la !

Les enfants eux-memes nous repoussent... nos tee-shirts ne servent a rien,
ils ne les rassurent pas, au contraire, ils compliquent une adaptation deja
tellement difficile !

S’ils veulent passer, il vaut mieux que l’on s’en aille... ca enerve les
soldats qui nous intiment l’ordre de partir... ca signifie des humiliations
supplementaires pour les familles...

La mission de protection, impuissante face a un tel rapport de force, une
telle agressivite, se replie entre les maisons criblees de balles ou
carrement effondrees sous les coups de mortier.

Et toujours, l’attroupement autour de nous, pour nous raconter les derniers
malheurs : une femme a vu un char rentrer dans sa maison sans sommation, elle
a tout perdu... La colere est la... contagieuse...

Il faut qu’on se rappelle toutes, ces histoires, qu’on le dise a notre
retour... c’est ce qu’ils attendent de nous.

Ce n’est pas le maire de Khan Younis, meme si son ton est plus protocolaire,
qui dementira les agressions, les violations, les persecutions de son peuple,
au contraire ! Ni le comite de refugies, lui qui s’organise pour parer a la
detresse des jeunes...

Ni cet homme brise qui se fait menacant parce que notre attention flotte un
instant ! Leurs chants a la gloire du pays, qui concluent notre rencontre,
n’en seront que plus emouvants !

Finir celle longue journee dans une maison du camp, c’est encore faire un pas
de plus vers la realite quotidienne de ces gens...

Manger dans une salle dont la vitre est trouee de ricochets de balles,
entendre les rafales de mitrailleuse et les deflagrations d’obus tires par
des chars, regarder la TV qui decline les tueries du jour a Hebron,
Tulkarem...

C’est une soiree comme tant d’autres, c’est la symphonie nocturne des
Israeliens, nous dit notre hote, pour nous detendre.

Lui, l’adulte, il peut reperer les tirs, evaluer et resister... mais ses six
enfants qui dorment au-dessus de nos tetes... comment font-ils ?

Et que feront-ils de ces souvenirs de terreur quotidienne ?

Car les actes de guerre s’accumulent sans repit, le Centre Palestinien des
Droits de l’Homme, qui les recense, nous apprendra, au retour, que deux jours
avant notre passage, a 17h, depuis la colonie de Neveh Dekalim, un tank
tirait sur Al-Mawasi et le camp de refugies de Khan Younis ; a 19h, l’occupant
bombardait le bloc J du camp de refugies de Rafah... Le lendemain, a 19h45 :
nouveaux tirs...

Resultats de ces deux petites journees : un enfant touche a la poitrine, un
autre a la jambe, cinq adultes gravement blesses, dont un ambulancier...

Les hommes doivent evacuer vers l’hopital l’un des leurs en le portant de
maison en maison pour eviter les tirs !

Retourner a Gaza-City, apres ce chaos, c’est comme retourner sur une terre
libre ! Il n’en est rien :

c’est juste le contraste entre le danger de mort permanent aux limites du
et un danger plus diffus ailleurs mais dont on prendra encore la
mesure exacte, une fois rentres, par les bulletins du CCIPPP :

incursions de blindes qui auront dure jusqu’au 10 mars, plus de quarante
civils pris pour cible, la plupart etant des enfants, et degats sur des lieux
publics, des maisons, des terres... on n’en finirait pas de decliner le
harcelement israelien pour faire mourir de mort lente tout un peuple.

C’est un des problemes de cette guerre, son savant eparpillement, camoufle
derriere l’alibi d’un danger existentiel, le pretexte des represailles, et un
habillage juridique des exactions...

Mais pendant que les medias font des gros plans sur le drame des attentats
kamikazes en Israel, les Palestiniens subissent les plus lourdes pertes :

pour le seul mois de mars 2003, plus de 100 tues et 638 blesses
(cf. article du journal le monde du 4/3). Mais les morts ne comptent pas
pareil...

Ferions-nous des bonnes victimes aux yeux du monde, dit-on la-bas ?
Prendre un dernier repas avec les Palestiniens de Gaza, ce n’est pas comme
lorsqu’on quitte des amis en se disant : ;

c’est avoir le sentiment de les abandonner, proche de la situation de
non-assistance a personne en danger !

Il fait bon sous la tonnelle du Centre culturel francais, la narghile est
delicieux !

Mais derriere la pudeur et la dignite des derniers echanges, l’angoisse est
la, pour eux qui sont face a une acceleration des agressions avec l’imminence
de la guerre en Irak et l’ombre du transfert qui plane, pour nous qui avons
vu et revu des situations inhumaines, d’une injustice absolue et n’avons que
de pauvres mots a leur opposer !

Et, la rage au ventre, il nous faudra repasser par ce terrible sas d’Erez qui
selectionne les hommes au mepris du droit universel et laisse impunement en
prison un million deux cent mille Palestiniens qui crient leur solitude.

Catherine Pesnelle