Accueil > Plus qu’un vote-sanction, une demande sociale
L’analyse de François Miquet-Marty, directeur des études politiques de l’institut Louis-Harris.
Quelle est votre première réaction après ce deuxième tour des régionales ?
Ce n’est plus un vote sanction contre Raffarin, c’est un raz-de-marée pour la gauche, à la fois en pourcentage de voix et en nombre de régions conquises. La gauche faisait 37% en 1998, 49% aujourd’hui : c’est bien plus qu’une progression ! On constate à la fois un très bon report des voix de l’extrême gauche vers la gauche de gouvernement et une surmobilisation de ses électeurs avec une hausse très nette de la participation. Ce n’est plus une confirmation, c’est une amplification du premier tour.
Comment expliquez-vous l’effondrement de la droite ?
La droite a également fait le plein de ses voix avec là aussi de bons reports de l’UDF vers l’UMP. Mais elle n’avait pas de réserves de votants et la dynamique de la participation profite à la gauche. 76% des sympathisants de droite étaient déjà allés voter la semaine dernière et seulement 19% des abstentionnistes du 1er tour envisageaient de voter à droite au second tour. Pour Chirac, la sanction est également très forte. L’UMP, le « parti unique » de la majorité présidentielle et parlementaire qu’il avait constitué est très affaibli et devra à nouveau compter avec l’UDF. Quant aux électeurs d’extrême droite, ils n’ont visiblement pas souhaité limiter la victoire de la gauche en reportant leurs voix sur la droite modérée.
Peut-on se limiter à n’y voir qu’un vote-sanction ?
Ces élections ne traduisent pas seulement un vote sanction mais surtout une demande sociale forte, une demande de gauche gouvernementale. La gauche socialiste enregistre à nouveau de bons résultats dans les catégories populaires, ouvriers et employés, meilleurs que ceux obtenus en 1998. La parenthèse de 2002, qui s’était traduite par un fort déficit auprès des catégories populaires qui l’avaient largement boudé, est comblée. Les électeurs ont dit non à la politique fiscale et de lutte contre le chômage du gouvernement Raffarin, à ce mélange d’autoritarisme et d’indifférence aux mouvements sociaux qui le caractérise aux yeux de l’opinion.
Dans ces conditions, le Premier ministre actuel peut-il demeurer en poste ?
La question du changement du Premier ministre est complexe. Si la réorientation de la politique vers plus de social s’impose avec une réorganisation profonde des portefeuilles ministériels, rien ne dit que Jean-Pierre Raffarin ne reste pas, aux yeux de Chirac, l’homme de la situation. Il n’est pas le plus impopulaire des premiers ministres de la Ve République et garde 35% d’opinions positives, alors qu’Alain Juppé ou Edith Cresson étaient tombés bien plus bas. Il peut encore servir afin de mener à bien la réforme de l’assurance-maladie jusqu’aux Européennes de juin qui s’annoncent également difficiles. Cela n’empêchera pas de donner plus d’importance aux titulaires de portefeuilles sociaux comme François Fillon ou Jean-Louis Borloo et pourquoi pas d’adjoindre de nouvelles responsabilités à Nicolas Sarkozy dans un gouvernement resserré.
Les Français n’auront finalement guère été sensibles à cette « régionalisation » de la politique qu’appelait de ses voeux Jean-Pierre Raffarin...
C’est un échec cuisant pour Raffarin qui voulait « régionaliser » ces élections et faisait de la proximité des élus avec les électeurs un des fondements de sa politique. Une des leçons de ce soir est que les Français ne sont pas tant passionnés par ces enjeux locaux et qu’ils ont préféré adresser un messsage national aux responsables politiques. La sacro-sainte proximité n’est peut-être pas l’unique planche de salut des politiques.