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Presentation du collectif feministe anarchiste Mujeres Creando - Bolivie

Publie le vendredi 10 juin 2005 par Open-Publishing

Libres, lindas y locas / Libres, belles et folles

" Nous, les putes, voulons mettre au clair que ni Sanchez de Lozada ni Sanchez Barzain sont nos enfants ", disaient les pancartes des membres de Mujeres Creando (Femmes créant) lorsqu’en septembre 2003, en Bolivie, eut lieu la rébellion populaire contre la privatisation du gaz. Ainsi raconta Julieta Ojeda, qui fut invitée à Roca Negra pour expliquer comment, à l’intérieur de l’organisation féministe, anarchiste et latino-américaine, elles interpellent quotidiennement une société qui n’accepte pas d’être questionnée par un groupe qui a comme objectif le changement social.

Mujeres Creando est constitué de prostituées, de divorcées, de lesbiennes, d’hétérosexuelles, de femmes mariées, d’autochtones, de célibataires, d’universitaires, d’artistes, de professionnelles... Et les pancartes qu’elles arborèrent en septembre, à contre courant du reste des manifestants, synthétisent -avec une lucidité créatrice- la philosophie de cette vingtaine de femmes :

Toutes défendent les causes de toutes.
Elles rendent publique leur position face à la réalité.
Elles utilisent comme stratégie les actions dans les rues.
Elles donnent un sens intentionnel aux symboles et connotations du langage.

" Femme, ni soumise, ni dévote. Libre, belle et folle ", “Il est temps de
passer de la nausée au vomie ", " Femme, assez d’agressions, coups de pied
dans les couilles ", " Nous ne pouvons pas détruire la maison du maître
avec les outils du maître ", " Il n’y a rien qui ressemble plus à un
machiste de droite qu’un machiste de gauche ou autochtone : le même
pistolet (double-sens en espagnol : le même pénis) ", " Nous exigeons un
duel entre Ben Laden et Bush et à nous qu’ils nous laissent en paix ",...
Les " graffitures " (mélange entre graffiti et peinture) sont devenus une
marque d’identité pour ce groupe né en Bolivie en 1992 et qui décida de
lutter sur le territoire de tous : l’espace public. Les actions dans les
rues incluent des panels, des journaux muraux et une publication qui est
diffusée en criant dans un mégaphone.

Durant la rébellion de septembre, lorsque les mineurs ont commencé à
descendre de l’Alto et que les morts se multipliaient, les militantes de
Mujeres Creando ont peinturé le devant de la maison du gouvernement avec
du colorant rouge, pour montrer leur dégoût face à l’assassinat d’une
petite fille par un policier lors de la répression d’une protestation dans
la communauté de Warisata.

L’étape suivante fut d’initier une grève de la faim pour demander la
démission de Sanchez de Lozada et pour mettre sur pied une assemblée
constituante. " Nous pensions que cette manière de protester allait
obliger une réflexion autour du type de violence vécue, explique Ojada,
nous sentions qu’il était nécessaire de proposer une autre méthode de
lutte pour que le peuple puisse résister. "

Et même si ces femmes sont systématiquement accusées d’être violentes,
elles ne revendiquent ni la violence ni la lutte armée. Au contraire,
elles légitiment l’agressivité comme un outil parce que " c’est une force
d’affirmation de soi " qui permet aux femmes d’assurer leur défense et
d’avoir conscience de leur volonté personnelle ou collective. On peut
affirmer son agressivité par un cri ou par l’usage de la parole et du type
de mots utilisés, par la créativité.

Maria, lesbienne, et Luz, prostituée, sont entrées dans les bureaux du
Défenseur des Droits Humains afin de commencer la grève de la faim. "
C’est un lieu où on suppose qu’on respecte les droits humains mais ils
nous ont mis dehors à coups de pied, ils nous ont réprimé et ils ont
arrêté deux compagnes ", se rappelle Ojeda, encore indignée. Et ce ne fut
pas mieux lorsqu’elles eurent recours à l’Assemblée pour les Droits
Humains : " Son président nous a dit que en tant que femmes nous devrions
être en train de collecter de la nourriture et des vivres pour les
mineurs. "

Un jour, l’organisation présenta à la télévision des scènes où une main de
femme peinturait, en plein jour, les pénis d’un groupe d’hommes
complètement nus face à l’obélisque de La Paz. Au cours du tournage, la
police arrêta la directrice du programme, un technicien et une des
protagonistes en les accusant d’actes obscènes et d’immoralité. " Si ça
avait été un homme qui peinturait des corps de femmes, ils auraient dit
qu’il faisait de l’art corporel. Cela révèle la double morale qui existe.
"

Le côté le plus provocateur du mouvement de Mujeres Creando est
probablement qu’elles aient révolutionné le mode de militantisme, et de
genre et de classe. Les initiatrices du mouvement provenaient du milieu
militant de gauche mais en constatant que ce milieu recréait les mêmes
modes d’oppression que la société, elles décidèrent de créer une
organisation qui ne soit pas intégrée à un parti politique et qui ne
travaille pas à partir d’une vision institutionnelle.

Elles posèrent le problème qu’en tant que militantes de gauche et femmes,
les seules tâches auxquelles elles étaient assignées étaient celles de
secrétaires, de faire des affiches ou de servir de butin sexuel, indique
Ojeda, et qu’il n’y avait aucune place pour une revendication en tant que
femmes.

Elles cherchèrent aussi à se séparer de ce qu’elles baptisent les "
technocrates de genre ", des femmes d’ong qui ont une vision maternaliste
et un rôle réformateur, et qui créent une relation verticale entre
bénéficiaire et bienfaiteur ; elles s’occupent de trois ou quatre thèmes
spécifiquement féminins -l’avortement, les droits reproducteurs et la
maternité- imposés par des organisations internationales, et elles
dénoncent rarement. Elles ne peuvent même pas assurer la transparence de
leurs organisations et ne rendent pas de comptes publics.

" Nous croyons que la lutte est intégrale et c’est pour cela que notre
groupe est hétérogène, cela nous aide à approfondir l’analyse que nous
pouvons avoir sur le féminisme et la réalité bolivienne, ajoute la
sociologue aymara de 30 ans. Le féminisme, pour nous, doit questionner le
système patriarcal d’oppression et ce système est à la fois social,
politique, culturel,... Nous ne pouvons pas réduire cette analyse à la
seule dichotomie homme-femme. Lorsqu’il est question de terre ou de
territoire nous sommes présentes, parce qu’il y a des compagnes qui sont
autochtones. C’est la même chose lorsqu’on parle de prostitution ou de
lesbianisme ou de lutte de classes ; parce que nous savons très bien qu’il
y a des femmes qui ont des privilèges de classe et qui en jouissent sans
les questionner, comme ce que fait la technocratie de genre. "

Ojeda est convaincue que les femmes doivent former leurs propres
organisations, séparées de celles des hommes, parce que c’est la seule
manière de dialoguer dans des conditions égales. " L’organisation mixte
est un problème et s’il n’y a pas de possibilités de respect et de
réciprocité alors ce qu’il reste à faire est de parvenir à une autonomie
propre aux femmes. "

Pendant qu’elle répond aux questions dans un hangar de Roca Negra, la
militante regarde avec insistance la porte de sortie. Elle est attentive
au groupe de personnes qui commence à se rassembler dans l’attente de la
conférence qu’elle doit donner en ce samedi pluvieux. Rapidement elle se
prépare à sortir. Le sac qu’elle tient a été confectionné dans l’atelier
du café de la Carcajada, le Centre culturel féministe que Mujeres Creando
a ouvert à La Paz. " Je ne suis pas la femme de ta vie, disent les lettres
étampées sur la toile blanche, parce que je suis la femme de ma vie. "

Tiré du journal Alterta ! Le cri de la wawa, numéro Hiver 2004-2005. plus
d’infos sur
 http://clac.taktic.org/fr/index.php...

texte repris du site de le NEFAC : http://nefac.net

http://ainfos.ca

http://www.mujerescreando.com/