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Radis explosifs et courgettes incendiaires

Publie le mercredi 23 mai 2007 par Open-Publishing

Radis explosifs et courgettes incendiaires
Date Wed, 23 May 2007

Le texte qui suit a été distribué au voisinage dans la semaine même qui a suivi la
perquisition d’un squat de Montreuil. Nous en publions ici une version légèrement
modifiée. Au-delà de la simple information (qui donnerait tous les détails de la
perquisition), il s’agit ici de partager la posture qui est la nôtre.

Tout le monde a pu le remarquer. Dans les médias, dans les rues, dans certaines
postures, certaines paroles : une petite terreur s’installe. Terreur quotidienne :
des sirènes qui ne cessent de passer et de s’éloigner, des contrôles d’identité
pour un oui ou pour un non, des discours incessants qui nous disent que le danger
peut
sans arrêt surgir, à chaque coin de rue. On finirait presque par s’y habituer.

Ce mardi 24 avril, à 7h du matin, il y a eu une perquisition dans notre maison
occupée à Montreuil. Après avoir défoncé la porte, une trentaine de flics sont
rentrés, avec leurs flingues et leurs chiens. Nous étions alors une quinzaine
d’habitants présents, réveillés en sursaut par les coups de bélier sur la porte.
Ils nous ont braqué, jeté à terre et menotté dans le dos avant de nous parquer sur
le palier du 1er étage. Sans aucune explication autre que "Il ne s’agit pas d’une
expulsion !", ils se sont mis à retourner la maison, piétinner les matelas avec
leurs chiens, vider les étagères. Ils ont finalement dit chercher des explosifs ;
ils n’ont rien trouvé d’autre que des brochures, et puis un potager. Ils en ont
tout de même profité pour prendre des identités, des informations, pour prendre
aussi tout le monde en photo, pour voler des outils et des affaires
personnelles. Petite histoire d’un flicage devenu trop ordinaire.

Certains penseront qu’on ne devrait pas s’en étonner. Qu’on n’habite pas dans un
squat sans avoir nécessairement affaire aux flics, attirer la curiosité du pouvoir
et les délires de fichage. Nous savons effectivement que toute volonté d’autonomie,
d’organisation collective, de solidarité matérielle concrète, de résistance active
est toujours menacée. Les émeutes de novembre 2005, qui furent l’occasion de
multiples perquisitions au hasard, de l’installation de check-points,
d’enfermements massifs.Tous les récents mouvements sociaux, où beaucoup se sont
retrouvés avec des procès absurdes. Le sort des sans-papiers et des travailleurs
immigrés, dont les solidarités de débrouille, dont les vies clandestines sont mises
en
danger perpétuellement. Nous connaissons enfin le sort de tous ces petits rapports,
ces minuscules relations qui, dans les écoles, sur les lieux de travail, dans les
rues, ont été brisés pour peu qu’ils portent en eux un soupçon de subversion.

La perquisition que nous avons subie vient nous rappeler la fragilité dans laquelle
cette petite terreur a placé tout souci d’émancipation et de lutte. Et en même
temps, il demeure la rage : le refus que tout passe et que ce monde dure, le refus
que l’on nous prenne pour des animaux domestiqués dont il suffirait de gérer la
"grogne", le refus que l’on fasse de la politique une affaire d’expert, de
technique, de police et de propagande. Le refus de la dépossession qui résigne, qui
rend cynique et impuissant.

Si nous écrivons ce texte, ce n’est pas pour faire pleurer dans les chaumières,
pour donner un argument de plus dans le constat désagréable qu’on peut dresser sur
ce monde. Nous voulons seulement souligner que d’autres, aussi, éprouvent ce
sentiment de fragilité et gardent tout de même la rage et l’espoir. Nous l’écrivons
aussi pour remercier ceux qui déjà sont venus nous demander des nouvelles et nous
proposer de l’aide.

Nous garderons cette maison, ce jardin, nos rêves et nos rages. Nous ne lâcherons
pas cette mince idée : qu’en ces temps de terreur, les rencontres et l’organisation
commune sont nos meilleures armes.

Des habitants du Chatô et leur armée de légumes