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Rester ou partir : deux solutions politiquement et militairement périlleuses pour Washington

Publie le dimanche 7 août 2005 par Open-Publishing

de Eric Leser

Comment l’armée américaine pourra-t-elle se retirer progressivement d’Irak si l’insurrection ne faiblit pas ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que 21 soldats américains ont été tués au cours des trois derniers jours. "Nous avons à faire à un ennemi mortel et qui, malheureusement, s’adapte très vite", a reconnu le général de brigade Carter Ham, lors d’une conférence de presse, mercredi 3 août, à Bagdad. Même si le nombre d’attaques quotidiennes reste le même depuis plusieurs mois ­ environ 65 ­, les responsables militaires soulignent qu’elles sont de plus en plus sophistiquées et que les insurgés regarnissent leurs rangs plus rapidement que ceux-ci ne se vident.

Selon les calculs de l’agence Associated Press, au moins 1 820 soldats américains sont morts depuis le début de la guerre, en mars 2003, et plus de 13 700 ont été blessés. A la demande de la Maison Blanche, le Pentagone commence à préparer les plans d’un retrait d’une partie de ses unités d’Irak, mais doit bien mesurer le risque de voir les forces de sécurité irakiennes s’effondrer si elles n’ont plus un soutien suffisant. Selon un rapport récent du général Peter Pace, le commandant en second de l’état-major combiné, le deuxième plus haut gradé de l’armée américaine, seul "un petit nombre" d’unités irakiennes sont capables, aujourd’hui, de faire face seules à la guérilla. Un tiers peut le faire avec l’aide des troupes américaines et deux tiers sont "partiellement capables" de combattre. Il y a actuellement 138 000 soldats américains sur le sol irakien et environ 180 000 membres de la police et de l’armée irakiennes entraînés et équipés par les Américains.

Cela ne semble pas troubler le secrétaire américain à la défense, Donald Rumsfeld. "Quand l’Irak sera en sécurité dans les mains du peuple irakien et d’un gouvernement élu avec une nouvelle Constitution, nos troupes seront capables de rentrer à la maison avec les honneurs qu’elles ont gagnés", avait-il prévu de déclarer, mardi, dans un discours à Dallas, au Texas. Son avion ayant eu des problèmes techniques, il n’a pas pu le faire. Mais le texte rendu public ne fait aucune mention de la défaite ou même de l’affaiblissement de la guérilla comme condition d’un retrait.

RÉDUIRE LES PERTES

Pour le secrétaire à la défense et un certain nombre de dirigeants de l’armée, il faut sortir du guêpier le plus vite possible et laisser les Irakiens eux-mêmes régler leurs problèmes. Ils ont renoncé à vaincre l’insurrection et semblent considérer que la seule présence de soldats américains en Irak suffit à l’alimenter. L’ambassadeur des Etats-Unis à Bagdad, Zalmay Khalilzad, a annoncé la création d’un groupe de responsables américains et irakiens pour établir les conditions du transfert des responsabilités de sécurité. "Notre objectif commun est d’aider les Irakiens à tenir debout sur leurs propres pieds le plus vite possible" , a-t-il déclaré.

Le désengagement, qui interviendra au plus tôt après l’avènement d’un nouveau gouvernement à Bagdad, en décembre, et plus vraisemblablement dans le courant de 2006, répond à la fois à des objectifs politiques et militaires aux Etats-Unis et en Irak. Cela permettra au Parti républicain de se retrouver dans une position moins difficile, lors des élections de la mi-mandat de novembre 2006, alors que la guerre est de plus en plus impopulaire.

Selon le dernier sondage réalisé par l’institut Harris, 65 % des personnes interrogées jugent négativement la façon dont la guerre est conduite. Le retrait devrait aussi réduire les pertes, en offrant tout simplement moins de cibles à l’adversaire, et surtout permettre à l’armée de terre, accablée par les problèmes d’effectifs et d’usure de ses troupes, de se reposer et de reconstituer son matériel et ses forces. La plupart des unités en sont à leur troisième tour de combat.

L’armée américaine, composée uniquement de volontaires, éprouve aussi les pires difficultés à atteindre ses objectifs de recrutement. Le déficit approcherait les 15 % depuis le début de l’année. Dernier avantage d’un désengagement : la présence moins visible des forces étrangères pourrait réduire l’intensité de l’insurrection.

Reste à savoir s’il s’agit d’une stratégie réaliste face à une insurrection qui ne faiblit pas, dans un pays qui semble s’enfoncer jour après jour dans la guerre civile. "La violence est de plus en plus focalisée sur des assassinats ethniques, avec les insurgés sunnites visant les civils kurdes et chiites dans des attentats-suicides. Il y a des rapports faisant état d’"escadrons de la mort" chiites, certains liés au ministre de l’intérieur, se vengeant en enlevant et en exécutant des leaders de la communauté sunnite", écrivait la semaine dernière le New York Times .

La plupart des experts militaires indépendants estiment que les 140 000 soldats américains en Irak sont en nombre insuffisant pour vaincre la guérilla. Ils soulignent que, comme au Vietnam, ils "nettoient" des zones qui sont réinvesties quand ils sont appelés à intervenir ailleurs. "Si un quart des forces américaines est retiré, la situation pourrait devenir incontrôlable", affirmait il y a quelques mois le général John Vines, qui dirige les opérations militaires en Irak.

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