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Roissy, zone de non-droit pour sans-papiers

Publie le mercredi 15 octobre 2003 par Open-Publishing

Libération
rebonds

Roissy, zone de non-droit pour sans-papiers

lundi 13 octobre 2003

Aéroport international Roissy-Charles-de-Gaulle, terminal 2 B, jeudi 2
octobre à 9 h 45. Des chiens aboient, des cris, des bousculades devant des
files d’attente de passagers médusés. Six ou sept policiers et deux
maîtres-chiens tentent d’embarquer de force un jeune couple et leur enfant
sur le vol Air France 1590 à destination d’Istanbul (Turquie).

Le mari est traîné par les pieds jusqu’à l’avion, au milieu des passagers.
Sa femme hurlant d’angoisse est saisie par deux policiers, suivie d’un agent
tenant leur enfant d’environ 3 ans, témoin de ces scènes traumatisantes,
victime sur le vif de la destruction de l’image parentale.

Trente minutes plus tard, après d’ultimes négociations avec l’équipage de
l’avion, ce couple et son enfant, terrorisés, sont ramenés dans le hall de
l’aéroport pour être évacués vers une destination inconnue. Echec des
méthodes policières expéditives qui, selon une employée de l’aéroport,
seraient devenues quotidiennes à Roissy pour un ministère de l’Intérieur
soucieux de remplir ses quotas d’expulsion ?

Le 26 septembre, Nicolas Sarkozy, lors d’une réunion de préfets, place
Beauvau, n’avait-il pas annoncé : « Vous devez, sans attendre la nouvelle
loi, augmenter les reconduites. Des objectifs chiffrés vous seront fixés
sachant que l’objectif national est de multiplier par deux à court terme le
nombre des reconduites » ?

Doit-on criminaliser les demandeurs d’asile ou les sans-papiers ? On ne peut
accepter dans un pays démocratique que quiconque puisse être traité de
manière aussi déshumanisante, sans assistance (ni avocat, ni représentant
consulaire...). L’annonce de la venue de la Croix-Rouge à Roissy
permettra-t-elle de remédier aux dérives de l’application d’une loi sur
l’immigration, contribuant à transformer l’aéroport en zone de non-droit ?

Les passagers involontairement pris à partie deviennent les otages, sinon
les complices, d’une telle mise en scène. Il faut ici saluer la juste
attitude du commandant de bord qui, malgré d’évidentes « pressions »
policières, a refusé au nom de la sécurité d’embarquer cette famille contre
son gré. Quel aurait été son destin, expulsée en Turquie dans le plus grand
dénuement ? Actuellement en France, cette famille est passible de six mois
de prison ferme pour « refus d’embarquement ».

Peut-on aussi imaginer leurs conditions de détention, maintes fois dénoncées
par différentes organisations non gouvernementales, dans des situations de
précarité extrême ?

Récemment, la presse relatait des conditions de départ de Pierre Falcone,
marchand d’armes mis en examen et aujourd’hui en cavale, qui, muni d’un
passeport diplomatique délivré par le ministère des Affaires étrangères
français, s’envola pour l’Angola.

Il semblerait qu’à Roissy-Charles-de-Gaulle, tous les départs ne se valent
pas.

Coline Brogé, Kristian Feigelson, Patrick Millereux et Marc-Murat Sagman,
passagers du vol AF 1590