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SECRETS DES SOURCES - Le Monde en guerre contre l’Élysée dans l’affaire Woerth

Publie le mardi 14 septembre 2010 par Open-Publishing

de Emmanuel Berretta

La manchette du Monde publiée lundi après-midi a jeté un pavé dans la mare : "Affaire Woerth : l’Élysée a violé la loi sur le secret des sources des journalistes", pouvait-on lire sur deux colonnes. Une déclaration de guerre en bonne et due forme dans un climat déjà très pesant autour du ministre du Travail. Le journal dirigé par Éric Fottorino indique qu’il dépose une plainte contre X auprès du parquet. Selon le quotidien, les services de contre-espionnage ont été utilisés par l’Élysée pour rechercher l’informateur de Gérard Davet, l’un des limiers du Monde.

Contacté par Le Point.fr, Franck Louvrier, le porte-parole de la présidence de la République, nie toute "intervention" dans ce dossier. De son côté, la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) admet avoir mené une enquête sur l’instruction de la Direction générale de la police nationale, et non de l’Élysée. La DCRI affirme avoir transmis ses informations au parquet de Paris qui conduit, depuis août, une procédure pénale pour violation du secret de l’enquête.

Un haut fonctionnaire déplacé à Cayenne

L’enquête de la DCRI aurait identifié un haut fonctionnaire à l’origine des fuites dans la presse. Selon Le Monde, il s’agit d’un conseiller pénal au cabinet de la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie. Toujours selon le quotidien du soir, le "téléphone administratif" du conseiller aurait été expertisé. Le listing de ses contacts aurait fait remonter le nom de Gérard Davet. Le Monde tient pour certain que les conclusions de la DCRI ont été remises à l’Élysée courant juillet. À la suite de cette découverte, le conseiller aurait été muté en Guyane, près de la cour d’appel de Cayenne. Le cabinet de Michèle Alliot-Marie réfute cette thèse.

Pour la direction du Monde, la loi sur la protection des sources journalistiques a été enfreinte. Ladite loi, renforcée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, prévoit qu’il ne "peut être porté atteinte directement ou indirectement" au secret des sources, sauf à justifier d’un "impératif prépondérant d’intérêt public" et à condition que les mesures envisagées soient "strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi". Dans un édito situé dans le ventre de la une, Le Monde parle d’intimidation, de "cabinet noir". Les relations entre l’Élysée et Le Monde s’étaient déjà dégradées au moment où le journal cherchait de nouveaux partenaires capitalistiques. À l’époque, Nicolas Sarkozy avait récusé la personnalité de Xavier Niel, fondateur de Free, entre-temps devenu l’un des trois actionnaires du journal.

La DCRI souligne, pour sa part, qu’il s’agissait uniquement de vérifier la loyauté de hauts fonctionnaires et non d’espionner les journalistes. C’est ici un point de discussion juridique. La loi, comme on l’a vu, interdit de porter atteinte "directement ou indirectement". Quelle interprétation donner à cette formulation large ? Secret des sources contre secret de l’instruction, le match ne date pas d’aujourd’hui. Les journalistes ne peuvent se voir intimer l’ordre de livrer leurs informateurs. Mais peut-on empêcher l’administration de surveiller ses fonctionnaires ? En tout état de cause, le métier de journaliste va devenir de plus en plus difficile à exercer face à l’arsenal de l’appareil d’État...

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