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Sarkozy privilégie le rôle des gênes au détriment du contexte social

Publie le samedi 7 avril 2007 par Open-Publishing
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D’après l’article de Laurent Mouloud (Humanité)

Passée quasiment inaperçue, une interview de Nicolas Sarkozy éclaire sur son idéologie élitiste. Il privilégie le rôle des gênes au détriment du contexte social.

Philosophie Magazine a récemment proposé huit pages de « dialogue » entre le philosophe Michel Onfray et Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle.
Or, entre quelques passionnantes considérations existentielles de l’ex-ministre de l’Intérieur, du genre « l’être humain peut être dangereux » ou « je pense que la foule est une personne », s’est glissée une tirade sur le déterminisme génétique qui risque d’en faire tousser beaucoup. Y compris dans son propre camp.

Page 35, les deux hommes discourent ainsi du libre arbitre et de l’influence, chez l’être humain, de l’inné et de l’acquis. Michel Onfray expose : « Je pense que nous sommes façonnés, non par nos gènes, mais par notre environnement, par les conditions familiales et sociohistoriques dans lesquelles nous évoluons. » Réponse immédiate de Nicolas Sarkozy : « Je ne suis pas d’accord avec vous. J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. »

Et le candidat à l’Élysée de poursuivre : « Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense. »

Nicolas Sarkozy affirmant que les suicides d’adolescents et la pédophilie sont d’origine génétique ? Cela n’a rien d’un canular. Depuis cinq ans, le candidat à l’Élysée a fait la démonstration qu’il était un chaud partisan des théories comportementalistes, développées notamment aux États-Unis. En clair : les gènes président à la plupart des comportements humains, et l’environnement familial ou social n’influent qu’à la marge.

Donc pour le candidat UMP, tout acte relevant de la seule responsabilité individuelle, la cause des désordres - violences, délinquance - ne peut être imputé au système, mais à une inadaptation « naturelle » de certains hommes, dont la « déviance » est quasi inscrite dans l’ADN.

Déjà la loi « sécurité intérieure » du 18 mars 2003 suggérait ce même « darwinisme social ». « Elle punit comme des délinquants les prostituées, les mendiants, les nomades et les jeunes des banlieues, retournant ainsi la violence pénale contre les victimes de la violence sociale », relève la magistrate Évelyne Sire-Marin. Dans la même veine, le rapport de 2004 du député UMP Jacques-Alain Benisti a cherché à établir une « courbe » pseudo-scientifique « du jeune s’éloignant du droit chemin ». Un véritable destin de délinquant, démarrant, tout jeune, avec les difficultés à parler le français, pour se terminer, adulte, par le « vol avec violence »...

Sans reprendre in extenso ce raisonnement, Nicolas Sarkozy a tenté, pendant de longs mois, d’imposer dans son avant-projet de loi sur la « prévention de la délinquance » le principe d’une « détection précoce des troubles du comportement » chez les enfants de trois ans « pouvant conduire à la délinquance ». Il a été appuyé en cela par le fameux rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Publié en 2005, celui-ci préconisait de rechercher chez l’enfant, dès l’âge de trois ou quatre ans, les signes « prédictifs » d’une délinquance future. Parmi eux, la « froideur affective », « l’indocilité », « l’impulsivité », ou encore un « indice de moralité bas »...

Face à la puissante mobilisation du collectif Pas de zéro de conduite, l’ex-ministre de l’Intérieur a finalement renoncé à ce projet. Momentanément. Quant à l’INSERM, il s’est fait tancer, le 6 février dernier, par le Comité consultatif national d’éthique. « L’histoire des sciences nous révèle la vanité de tenter de réduire à tel ou tel critère la détermination de l’avenir d’une personne », écrit le CCNE. Un avis que Nicolas Sarkozy n’a visiblement pas lu.

Interview du généticien Axel Kahn dans l’Humanité

« Un gène ne commande jamais un destin humain »

Le généticien Axel Kahn (directeur de l’Institut Cochin) démonte les ressorts du déterminisme génétique, qui tente d’établir un lien direct entre les gènes et les comportements sociaux.

Comment le généticien accueille les propos de Nicolas Sarkozy sur le lien entre génétique, pédophilie et suicide ?

Axel Kahn. La notion fondamentale à saisir est celle-ci : un gène ne commande jamais un destin humain. Il ne fait qu’intervenir dans un programme complexe auquel participent de nombreux autres gènes en interaction subtile avec un programme biologique, qui définit la réactivité des êtres vivants à leur environnement. Pour l’homme, son environnement psychologique, psychique, éducatif...

Une fois pour toutes, il faut abandonner ces notions d’un gène du suicide, du crime, de l’agressivité ou de l’homosexualité. Ce qui n’est pas prétendre qu’il n’y aura aucun effet de la matérialité du cerveau dans la manière dont notre esprit réagit aux agressions du - milieu. Cette variabilité correspond profondément à ce à quoi on doit se confronter quand on est en situation de responsabilité. Ce qui est terrible dans ce que j’appelle « la vieille obsession de la nouvelle droite », c’est ce désir d’utiliser le déterminisme génétique comme un moyen efficace pour s’exonérer de ses responsabilités dans les désordres - comportementaux. Lorsque l’on voit la violence, les agressions sexuelles, les suicides dans tels ou tels milieux socialement et économiquement défavorisés, il est confortable de dire que cela n’est que le résultat d’une caractéristique constitutionnelle et que cela ne doit rien aux anomalies du système que l’on contribue à mettre en place. Assumer ses responsabilités implique de prendre en compte la réalité de l’homme, avec sa diversité. Des individus sont sans doute plus fragiles que d’autres, mais cette fragilité fait partie de l’éventail des comportements possibles.

Connaît-on la manière dont interagissent le patrimoine génétique et son environnement ?

Axel Kahn. Il existe deux exemples très parlants. On a observé, il y a une quinzaine d’années, dans une famille néerlandaise une coïncidence entre la mutation d’un gène (le gène MAO-A) porté uniquement par les garçons, et le fait que ces garçons étaient souvent des adultes délinquants, notamment sexuels. Aucun lien statistiquement significatif n’a été relevé entre les deux formes du gène et l’évolution vers la délinquance. Jusqu’au jour où on a pris en compte un troisième paramètre : la maltraitance infantile. On s’est rendu compte que chez les enfants maltraités qui ont hérité d’une forme du gène à faible activité, la fréquence d’une dérive vers la délinquance est jusqu’à cinq fois plus importante que chez les autres enfants. Le gène MAO-A n’est donc pas un déterminant de la délinquance, mais de la fragilité à l’agression de l’intégrité psychique de l’individu lors de l’enfance.

L’autre exemple concerne un gène qui code un recapteur de la sérotonine, essentiel à l’activité cérébrale. Dans la population, rien de statistiquement significatif n’apparaît entre la forme du gène et la dépression. En revanche, des individus qui ont connu des évènements graves, comme la mort d’un proche, et qui portent l’une des formes de ce gène, ont un risque accru de rentrer en dépression, jusqu’au suicide. Néanmoins, la forme de ce gène, en dehors de ces malheurs de la vie, est sans importance.

Pourquoi le débat sur le déterminisme génétique n’est-il pas clos ?

Axel Kahn. Depuis plus d’un siècle, sans discontinuité, on exhibe des résultats scientifiques venant à l’appui de préjugés idéologiques. C’est la définition du philosophe Georges Canguilhem de l’idéologie scientifique : un préjugé qui se drape dans les oripeaux dscience établie pour renforcer sa force de conviction. Dans Nature et Science, les deux plus grands journaux de biologie, 80 % à 90 % des commentaires des articles montrent que leurs auteurs relèvent de préjugés sociobiologiques (la sociobiologie vise à démontrer l’origine biologique du comportement social - NDLR). Or, le plus souvent, l’élément génétique est très faible par rapport à l’élément social et émotionnel.

Entretien réalisé par Vincent Defait

Arnaud Mouillard - http://hern.over-blog.com/

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