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Satire et servilité

Publie le jeudi 9 février 2006 par Open-Publishing
11 commentaires

de Carlo Oliva traduit de l’italien par Brunz & fedepasta

C’est un sacré problème, hein, celui des caricatures anti-islamiques publiées par ce quotidien danois et tout le bordel qui s’en est suivi. C’est un sacré problème parce qu’il représente, ou semble représenter un insoluble cas d’affrontement entre deux systèmes de valeur méritant aussi bien l’un que l’autre d’être protégés.

Parce qu’il est juste, bien évidemment, que les gens ne soient pas offensés dans leurs propres convictions religieuses, surtout lorsque l’on a fait sur elles de considérables investissements idéologiques, mais ceci n’empêche pas qu’il soit tout aussi juste critiquer avec tous les instruments disponibles, y compris la satyre, toute personne ou idée que l’on entend, pour une raison ou une autre, critiquer.

Le droit d’être respecté fait partie des fondements de la cohabitation civile, mais la liberté de pensée et d’expression aussi, et lorsque les relatives instances finissent par, disons, se rentrer dedans, on ne sait jamais comment réagir.

En fait, les deux cornes du dilemme sont moins antithétiques de ce qu’il n’y parait à première vue, et l’on peut très bien les concilier. Mais il faut voir comment. On ne peut, par exemple, avoir recours aux deux arguments dans lesquels le plus fréquemment, ces jours-ci, se sont réfugiés les commentateurs « responsables » et presque tous les poids lourds de la politique, de Kofi Annan vers le bas. Ces derniers se sont empressés d’épousseter la célèbre théorie du « il y a manière et manière », connue aussi sous le nom de « limites à respecter », en expliquant que la liberté de critiquer est sacrée, certes, mais que l’on ne peut aller outre un certain point, ce qui fait que, comme l’écrit pour tous Piero Ottone sur « La Repubblica » du 3 février, on peut même parler mal du pape, mais jamais se moquer du Christ en croix.

Ce qui, en y réfléchissant bien, est un discours un peu bancal, non seulement parce que chaque fois que l’on entend quelqu’un discuter de la différence entre liberté et libre arbitre on peut être mathématiquement sûrs qu’au nom de cette différence il est prêt à nous interdire n’importe quoi, mais aussi parce que lorsque l’on met en cause les limites il faut aussi préciser qui les établit et selon quels critères, et l’on se retrouve inexorablement au point de départ. On ne peut pas non plus s’en sortir en considérant la satyre (narrée, dessinée ou récitée, peu importe) comme une catégorie en soi, exempte d’une quelconque composante offensive, une sorte de plaisant exercice dialectique épuisé pour lequel auteur et destinataire s’échangent de grandes tapes sur les épaules en allant fêter ça au bistrot. Foutaises.

Horace, qui s’y connaissait un peu, la fait remonter aux auteurs de la comédie attique antique, vous savez, Eupolis atque Cratinus Aristophanesque poetae (Serm. I, 4, 1), et lorsque Aristophane représentait Socrate comme un dangereux escroc et Cléon comme un célèbre voleur il ne parlait pas juste pour parler, d’autant plus que les personnages en questions se fâchaient non peu et réagissaient chacun comme ils le pouvaient. Personnellement j’ai toujours pensé que la scène finale du Symposius (St. III, 223d), celle où Socrate et Aristophane discutent agréablement de théorie théâtrale, soit un typique exemple de réconciliation posthume introduite par Platon pour des raisons tout à fait personnelles et qui n’ont rien à voir avec les faits.

Rien à faire. La satyre est, par définition, une activité offensive et agressive, et celui qui la pratique souhaite toujours que sa cible pète une coronaire de rage. C’est une pratique que les modérés peuvent déplorer, mais ce sont elles et elles seules ses règles. Et elle a quand même en sa faveur une paire d’éléments qui peuvent la justifier même aux yeux de celui qui, comme moi, repousse l’agressivité en général.

Pour s’entendre, la satire ne fonctionne que lorsqu’elle à pour cible les puissants de ce monde. Jésus Christ n’a pas grand chose à voir avec ça, et Mahomet non plus : ils sont au-dessus de ces bassesses et les attaquer ne serait pas intéressant. À la limite, on peut les évoquer pour attaquer quelqu’un d’autre : Josué Carducci l’a fait (Pour Eduardo Corazzini, 112-116), quand il décrit le pape régnant pendant qu’au lit "il rêve d’armes et de guet-apens / il semble frémir et rugir / et sur la tête lui pend cloué / Jésus Christ pour qu’il ne s’enfuie".

Ce sont des vers qui en leur temps ont énormément irrité les cléricaux, mais Carducci voulait attaquer Pie IX et il avait d’excellents motifs pour le faire, et il serait hypocrite et impropre de l’accuser d’offense à la religion. La référence au Crucifix cloué pour pas qu’il ne s’enfuie (que le poète, si je ne me trompe pas, empruntait à Victor Hugo), est efficace sur le plan de la démystification et si elle rajoute un peu d’effet choquant, eh bien, tant pis.

Ceci nous emmène à la deuxième considération, qui pourrait rendre le recours à cette technique pour vexer les autres acceptable et, parfois, même nécessaire. La satire n’est pas uniquement caricature. Elle fonctionne quand "elle mord", quand elle met en relief quelque grosse contradiction que le destinataire aurait tout intérêt à cacher. Un pape qui "rêve d’armes", et qui - en dehors de l’image poétique - recourt aux armes pour défendre son pouvoir temporel, n’a rien à faire avec la douce illustration du Christ en croix.

Un chef du gouvernement qui tire de l’exercice de sa fonction l’immunité judiciaire et des enrichissements personnels illicites (je me réfère à Cléon, hein, ne vous faites pas venir d’autres noms à l’esprit) n’est pas digne de son mandat. Peut-être en le lui rappelant publiquement il se fâchera, mais cela fera supposer à la majorité des gens que l’attaque avait mis dans le mille, et qu’il pouvait y avoir quelque chose de vrai.

Si Socrate, par exemple, avait accusé Cléon de monopoliser les systèmes de communication de masse, ça ne l’aurait pas du tout troublé, même en négligeant le fait que de véritables systèmes de ce type n’existaient pas à l’époque. Si quelque âme rieuse m’accusait d’être divorcé et de défendre, malgré cela, la doctrine matrimoniale de l’église catholique, je réagirais avec une sérénité extraordinaire, parce que je ne suis pas divorcé et parce que je ne défends pas du tout cette doctrine.

D’autres, peut-être, pourraient se vexer plus. On peut ainsi supposer que le musulman fidèle qui s’irrite pour un dessin ou son Prophète accueille au paradis un certain nombre de "martyrs de la foi" en disant "Ça suffit, ça suffit, nous avons fini les vierges !", le fait surtout parce qu’en soi il se rend compte que l’hypothèse de ce type de récompense ‘post mortem’, si prise à la lettre, ne peut qu’infirmer un peu la crédibilité de sa théologie.

Evidemment, celui qui attaque et vexe, doit considérer les conséquences. S’il s’attaque à la démocratie, il doit savoir et prévoir que les réactionnaires qu’il aura contribué à porter au gouvernement pourront, comme première mesure, lui enlever la liberté d’exercer son métier (c’est arrivé, grossièrement, à Aristophane).

Et s’il s’attaque à des violents, il peut s’attendre à quelque rétorsion violente dont - par ailleurs - les autorités ont le devoir de le protéger, tout comme elles ont celui de défendre sa liberté d’expression. Sur la logique de celui qui de ces mêmes autorités exige a) des excuses et b) l’engagement pour que l’épisode ne se reproduise pas, c’est-à-dire une forme quelconque d’intervention de censure, ce n’est même pas la peine de s’arrêter.

Même sur celle de ceux qui par faiblesse, par peur ou par tendance innée au vivre tranquille, acceptent ces prétentions, il n’y a pas grand chose à dire non plus. Ce sont des formes de servilité qui s’observent souvent chez celui qui exige de son prochain une attitude servile. Mais tout ceci n’a pas grand chose à voir avec les offenses à la religion. Avec ceux qui se servent de la religion pour leurs propres fins oui, mais, de grâce, qu’est-ce que cela vient faire dans tout ça ?

Messages

  • Pour la religion chrétienne, les caricatures ne touchent que la hiérarchie cléricale : le pape, les curés, les prêtres etc. Jamais le sacré. Il n’y a jamais eu de caricature de Jésus ou de Marie.

    leila

    • Leila, on vient de de faire un exemple de satyre sur le crist (dans l’article que tu serais sencée avoir lu, ou compris, vu que tu y réponds) datant du 19ème siècle.
      Les expressions les plus courrantes en Italie sont "porco Dio" et "porca madonna", ça te donne la mesure de l’irréalité de ce que tu dis...

    • leila, n ecoute pas trop tonton le barbu
      et puis les caricatures en asie, ils aiment aussi beaucoup :

      http://www.worldpress.org/cartoons.cfm

      antony

    • C´est pas de irrealité, c´est d´hypocrisie accepter satire de Mahome "terroriste" et considérer les critiques a Israel comme de antisémitisme où non pas accepter - comme la presse a déjà reconnaitre - de satire sur le nouveau Benoit de Vatican au Christ "gay", etc ... L´exemple de 19ème siècle c´est pas un vrais exemple. La question se pose aujourd´hui contre les peuples musulmans, visée comme les "diables" de notre siècle (XXI), visage imposer en particulier par la extrême droite de tout le monde. Je ne croit pas aucune religion, mais je croit au respect humaine. C´est ça la question.
      Jo

    • Ecoute Leila, le seul moyen de rendre la méchanceté de le satire acceptable est de garantir sa liberté absolue, autrement ça devient de la propagande, de l’oppression. E Jordanie le directeur du journal qui a publié les « caricatures de Mahomet » est en taule. « Die jude » en Allemagne, (avec « l’ameloque »), étaient le seul sujet des caricatures (d’état) consentis par les nazis. Je partage ton combat, mais mon combat inclut le soutien à d’autres minorités, les laiques, les « penseurs », les opprimés de Turquie, Jordanie, Maroc etc. Parce qu’on oublie le fait que là-bas, aucune liberté n’existe, aucune caricature d’un puissant n’est consentie, et leur puissant c’est le clergé au pouvoir. La situation du monde est triste, que les bourreaux prétendent d’exporter leurs techniques d’oppression et de contrôle globalement est choquant et révoltant. J’ai déjà bien du mal à lutter contre les oppresseurs d’ici, que les minorités qui m’entourent me foutent la paix pendant que j’essaie de les défendre , avec leur prétendre l’indéfendable.

    • alors vraiment vous ne lisez pas souvent et vous ne regardez pas les films qui sont sortis sur le sujet , avant d’affirmer il faut se rensegner si vous le désirez j’ai en stock moi catho croyante une série de films et dessins humoristiques sur jesus sa vie son oeuvre, marie, et combien d’autres sur tous les avatars des dieux des différentes religions, mais bon cherchez donc sur les moteurs de recherches, moi personnellement j’en ai vu de très drôles qui ont fait l’unanimité aux 4 points cardinaux...........
      Courtoisement
      chalimar

    • Et alors on va se foutre sur la gueule pour quelques dessins ? La réflexion s’arrête-t-elle face à la religion ? Non ou alors on s’entretue, pour le bénéfice de qui ? Il paraît que le dessinateur de la caricature de Mahomet avait fait des dessins sur le Christ, il y a 3 ans et que ses caricatures ont été refusées par le même journal danois pour ne pas "choquer" (article du journal britannique "Le Guardian"). Il vaudrait mieux s’interroger sur la montée des intégrismes religieux musulmans et chrétiens, et d’une renaissance du fascisme en Europe, aux USA, et des dictatures ailleurs, qui se servent de la religion musulmane pour consolider leur oppression, de tout ce qui les sert. comme cette histoire de caricatures et la guerre pour le pétrole. Étudions car le sSavoir c’est le Pouvoir. JdesP

    • Leila ne connait même pas les Monty Python. Quelle inculture !

      Kalou

    • Vite qu’on la brule ! Cette infidèle !

  • Comment pouvez vous considerer cet acte comme un simple acte de citique ou un droit lié à la liberté d’expression ?!!!!!!
    Puisque vous voulez une liberté d’expression totale et sans limite,eh ben,bruler des ambassades,tuer les personnes qui publient ce genre de photos honteuses etc... seraient tout simplement une façon loyale de s’exprimer !!!!!!
    La critique n’a jamais été une arme pour blesser,au contaire, lorsque on veut critiquer on doit convaincre et non detruire.
    Mesdames et messieurs rappelez vous du boycot du film "La passion du Christ" était ce une diffamation ? Ce film a exprimé un point de vue qui ne vous a pas plu ? Ou est ce qu’elle était passée la liberté d’expression ?!!! Nul ne le sait,céest le mystere.
    Alors s’ils vous plaient,étudiez le coran avant de le juger,adressez vous à des Imams pour mieux le connaitre et srtout le comprendre et enfin RESPECTEZ nous.
    Merci