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Tarnac vu du ciel — et ses moutons noirs placés sous surveillance électronique

Publie le mercredi 11 novembre 2009 par Open-Publishing
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Le principal suspect des “inculpés du 11 novembre” avait un fil à la patte. Les policiers de la SDAT, la brigade antiterreur, l’ont filé à l’ancienne, mais aussi en collant une balise GPS sur sa voiture. Et il semble bien que dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, les relevés topographiques de cette laisse électronique aient convaincu les policiers que la présence de son véhicule au dessus des voies ferrées, où allait avoir lieu un incident sur les caténaires, était le signe de leur culpabilité — confirmant leurs lectures subversives.

Pour une instruction du parquet anti-terroriste, visant de soi-disant ultragauchistes pourchassés par une poignée d’ultrasécuritaires, ça n’est pas très étonnant. Après tout, si cette « association de malfaiteurs » devait être présentée comme crédible, il fallait employer tous les moyens pour les localiser et les prendre en flag. Il y a donc eu les réquisitions classiques — écoutes téléphoniques, mails et SMS, et la balise pour localiser leurs véhicule. Seulement, ils n’ont pas été pris en flag, dommage, mais ont été « localisables » à tout moment. Non, le plus surprenant c’est que le recours à un tel mouchard — c’est bien plus qu’un simple micro espion, à vrai dire — n’est absolument pas prévu en tant que tel dans le code de procédure pénale (CPP). Ça fait partie de l’arsenal que peut requérir le juge pour “faire éclater la vérité”, comme on dit en principe. Pourtant, placer le véhicule d’un simple suspect sous surveillance GPS peut être tout autant attentatoire à ses libertés qu’une écoute téléphonique — qui, elle, est bien plus encadrée. La filoche électronique, un truc clandestin qui mérite une petite mise en lumière.

Dans l’affaire de Tarnac, Libé met le couvert dès le 15 novembre. « La cellule invisible mise au jour », sans conditionnel… Soit trois jours après le coup de filet hypermédiatisé du 11 novembre à Tarnac — souvenez-vous de cette Une ravageuse que n’aurait pas reniéValeurs actuelles : « L’ultragauche déraille ». Rectifié tant bien que mal début décembre par un Laurent Joffrin pathétique : « Des terroristes, vraiment ? » (“des journalistes, vraiment ?” répond Acrimed).

Libé du 15/11, suivi par Libé du 3/12. Pris d’un doute ? (source)

Bref — les flics, cités entre guillemets, livrent les premiers éléments « à charge » à Libé :

« C’est dans cette communauté de vie que les cinq suspects d’actes de sabotage ont été arrêtés : le leader supposé Julien C., sa compagne Yldune L., 25 ans, le Belge Benjamin R., 30 ans, et sa copine de 29 ans Gabrielle H. ainsi que Manon G., 25 ans. Le procureur et les enquêteurs n’ont pas de preuve en béton contre ces « subversifs », pas d’ADN, pas d’empreinte digitale, même pas de téléphonie. « Et pour cause, notre ami Julien C. est un pro de la clandestinité qui n’utilise pas de portable et change de voiture comme de chemise », explique un policier qui le surveille depuis six mois : « Il emprunte parfois des téléphones à des gens dans la rue pour appeler, même un jour à un magistrat à Rouen ». »

Ah oui, l’info qui vaut le détour : « subversifs » par leurs lectures et leurs fréquentations, ça on le savait, et en plus par leur méfiance des technologies — ils n’utilisent pas de téléphone mobile, première erreur ! C’est sans doute ce qui a convaincu le juge Thierry Fragnoli d’autoriser une filature avec localisation géostationnaire — tout en confirmant les soupçons de luddisme qui pèse sur les copains de Tarnac… Car avec la triangulation d’un téléphone GSM, la localisation est même plus précise qu’une position relevée par satellite. Libé l’écrit donc le 15 novembre :

« La nuit du 7 au 8 novembre, les policiers de la SDAT et de la DCRI suivent à distance la Mercedes de Julien C. et Yldune L. qu’ils ont piégée avec une « balise électronique ». (…) La Mercedes s’arrête vingt-cinq minutes entre 4 et 5 heures du matin sur le pont ferroviaire de Dhuisy en Seine-et-Marne [sous la ligne TGV-Est] et puis repart. »

Un rapport de la SDAT, publié dans Mediapart dès le 22 novembre, n’évoque pas directement cette surveillance électronique et ne donne pas d’éléments sur les moyens déployés. Mais la présence du véhicule à proximité des voies, à deux reprises dans la même journée, semble avoir convaincu les policiers que cette présence était un signe qu’ils avaient participé au « sabotage » des caténaires. Le commune de Dhuisy est en effet traversé par la ligne du TGV-Est — facile à vérifier. Extrait du rapport policier (publié ici par Mediapart) :

« En effet, cette surveillance montrait Julien Coupat et Yldune Levy circulant à bord d’un véhicule Mercedes immatriculé (…) 76 qui, après avoir quitté la région parisienne, opéraient de nombreux allers et retours dans la campagne seine-et-marnaise aux abords de la commune de Duisy (Seine-et-Marne) tout l’après midi du 7 novembre puis dînant sur la commune de Trilport (Seine-et-Marne). (…) Cet arrêt à proximité d’une voie ferrée, cible potentielle de la mouvance anarcho-autonome, nous conduisait à procéder à des recherches sur cette voie une fois les objectifs éloignés. Ces recherches n’amenaient la découverte d’aucun engin explosif, mais au passage du premier TGV, vers 5 heures, une gerbe d’étincelles d’une intensité anormale et un mouvement d’oscillation sur la caténaire étaient observés. Un rapprochement était immédiatement opéré avec l’idéologie de blocage des axes de circulation et des flux de communication (…). »

Si le flag n’a pas pu être établi ce jour-là — la preuve concrète que les deux suspects ont balancé un objet sur les lignes TGV juste avant l’incident —, c’est peut-être aussi parce que les policiers n’étaient pas présents sur les lieux à ce moment précis. Il semble que non, selon un copain journaliste, la filature était continue, mais ils changeaient souvent de bagnoles. Le recours aux balises électroniques n’a pas eu le temps de jouer son rôle : confondre les suspects. On comprends d’ailleurs pourquoi les flics au coeur de l’enquête osent aujourd’hui pester contre leurs chefs de la place Beauvau, qui ont préféré envoyer les robocops arraisonner la ferme de Tarnac avant d’avoir des preuves réellement « à charge ».

Les balises GPS « du commerce » ressemblent à de vulgaires gadgets pour maris ou patrons largués. On appelle ça plutôt un « traceur » en langage d’espion de seconde zone, tapez 2 ou 3 mots clés et vous trouverez votre bonheur.

Mais quid du contexte règlementaire de l’usage d’une telle balise dans les mains de la PJ — pas forcément réservée aux gros bras de l’antiterreur.

Et bien un traceur de géolocalisation relève de l’article 81 du code de procédure pénale. Trouvaille ? Pas vraiment. Ça ne dit pas grand chose : « Le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge. » Il peut donner « commission rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire exécuter » les mêmes « actes d’information nécessaires ». Seul truc, il faut que tout ceci soit consigné dans le dossier, c’est à dire mentionnée dans le dossier à laquelle aura accès la défense (« il est établi une copie de ces actes ainsi que de toutes les pièces de la procédure ; chaque copie est certifiée conforme (…), toutes les pièces du dossier sont cotées », etc.) Si ce n’est pas dans la procédure, ça peut faire annuler toute l’enquête.

Alors oui, il doit y avoir des mesures dérogatoires pour les lois antiterroristes qui permettent de placer des micros et des balises un peu partout sous couvert de cet article 81. Mediapart a même balancé le 22 avril, sans être démenti, que « des hommes des « services » se seraient dernièrement intéressés de près au parloir de la prison de la Santé. En clair : on les soupçonne d’avoir placé des micros espions dans le lieu même où Julien Coupat se rend à chacune des visites qu’il reçoit (…). Réponse officielle de la police : « La procédure antiterroriste prévoit de pouvoir sonoriser une pièce, sur demande exprès du ma- gistrat. Si tel est le cas, cela devrait apparaître dans le dossier d’instruction, lui-même couvert par le secret d’instruction. »

Pourtant, une balise GPS — qui peut selon certains être assez miniaturisé pour se loger dans une micropuce empoisonnée à injecter sous la peau—, répond au même principe technique que le « bracelet électronique mobile ». On connaît le bracelet électronique fixe, qui permet de maintenir une personne à domicile, qui donne l’alerte dès qu’un périmètre est dépassé (article 723-9 du CPP). Mais la SEM, la surveillance “mobile” — articles 706-53-14 et suivants du CPP, créé en 2006 par l’ex-garde des Sceaux Pascal Clément —, est pour l’instant un joujou qui ne s’applique qu’aux personnes condamnées. Celles en liberté conditionnelle, comme celles — qui ont purgé leur peine — bientôt concernées par la scélérate ”rétention de sûreté” adoptée en février 2008 [1].

Normal, me direz-vous, que la protection constitutionnelle soit plus forte quand un individu plutôt qu’un véhicule est soumis à ce traçage invisible… Mais il y a sûrement des failles juridiques à exploiter pour les avocats de personnes victimes de ces méthodes de surveillance, méthodes qui offrent autrement plus de capacités de nuisance — pour les droits de la défense, s’entend — que deux pandores planqués dans une caisse banalisée.

La même ambiguité plane autour du fameux “logiciel espion” prévu dans le projet de loi LOPPSI, que nous avons présenté un peu vite, dans un précédent billet, comme un “mouchard”. Justement, ce n’est pas un mouchard au sens de “microphone planqué”. Un micro planqué n’a d’utilité judiciaire que s’il est installé à l’insu de la personne. Il entre, lui aussi, dans le cadre de l’article 81 du CPP. Soit. Mais un “logiciel espion” — un rootkit, ou encore un virus troyen, pour employer des termes de pros de l’intrusion furtive —, installé à l’insu de le personne visée, a un pouvoir de nuisance sur la vie privée du suspect incomparable à celui d’un simple mouchard. C’est une perquisition électronique. Une extension claire et nette du domaine de la perquisition. Pourtant, une “perquize” est un acte judiciaire hyperencadré qui s’effectue, sauf cas extrêmes, en présence de la personne mise en cause.

On imagine bien l’énorme complexité technico-judiciaire de ce “rootkit” : il devra pouvoir jouer le rôle d’un mouchard invisible sur les faits et les actes reprochés, ou la préparation de tels actes ; mais devra être dans le même temps complètement sourd et aveugle dès que l’ordinateur servira à autre chose — écrire une lettre où des opinions politiques ou religieuses sont proférées, par exemple —, car pénétrer dans un ordinateur sans autorisation, ça viole des principes constitutionnels d’ordinaire inviolables. Il y aurait de quoi être schizo — mais un logiciel n’est pas schizophrène.

Bien sûr, on va nous enfumer en expliquant que ces logiciels furtifs seront “configurables” pour ne pas menacer outre-mesure l’intimité de la personne. Ce sera faux. On va comparer ça à une simple écoute “de situation” ou de “comportement”, comme de coller un micro sous le bureau d’un chef mafieux ou de placer un méchant dealer sur écoute. Et bien non : ce n’est pas du tout la même chose. Et on imagine le pire lors des débats parlementaires pour aller expliquer la différence à nos chers représentants…

Alors, la balise GPS est-elle à la liberté de mouvement ce que le “spyware” de la LOPPSI est à la vie privée et au secret des correspondances ? Sans doute pas tout à fait. Les juristes trancheront. On est quand même mal barré.

« S’il devait y avoir une jurisprudence Coupat », lâche William Bourdon, l’avocat d’un des prévenus de Tarnac interrogé par Mediapart, ordonnance du juge Fragnoli à l’appui (reprise ici), « alors ce serait la voie ouverte pour démoniser et criminaliser tous les mouvements sociaux très contestataires ».

[1] Aparté — Le juge Fragnoli aurait quand même pu provoquer jusqu’au bout le principal “mis en cause” en lui proposant, lorsqu’il l’a libéré fin mai et placé sous contrôle judiciaire, un placement sous bracelet électronique. Pas le truc mobile avec GPS, hein — c’est donc réservé aux personnes condamnées — le bracelet fixe est en effet un recours possible en cas de contrôle judiciaire (article 138 du CPP), ça remplace le pointage hebdomadaire au commissariat. Mais le chef des ultragauchistes l’aurait envoyé chier — la loi ne l’impose pas : il faut « l’accord de l’intéressé recueilli en présence de son avocat ».
Lire aussi une très bonne source : « Julien Coupat est-il filoché ? », sur le blog de Georges Moréas, « Commissaire principal honoraire de la Police Nationale »

http://numerolambda.wordpress.com/2009/06/10/tarnac-moutons-noirs/